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'nais d'après Lenain rend toujours médiocrement le mélancholisme des peintres Laonnois.

Le musée de Rouen possède un intérieur de ferme de Lenain. M. de Montalivet, au château de Lagrange, possède également un intérieur de ferme.

Au musée de Nevers se voit de notre peintre un saint Michel faisant hommage à la Vierge de ses armes, grand tableau envoyé en province lors du remaniement du musée impérial.

Par une décision du 15 juillet 1818, une visitation de la Vierge de Lenain, fut concédée à l'église de Saint-Denis de Libourne.

J'ai cherché attentivement dans les catalogues des musées étrangers si quelques œuvres importantes des peintres de Laon étaient sorties de France, et je n'ai trouvé jusqu'ici que deux faits: 1° une Adoration de bergers dans la galerie de Florence; 2o un tableau de Lenain (sans indication) dans une galerie particulière du duc de Sutherland, en Angleterre.

Un homme qui a écrit sur les peintres et la peinture a pu connaître les Lenain, c'est Félibien, l'auteur des Entretiens sur les vies et sur les ouvrages des plus excellents peintres anciens et modernes publié en 1688. Mais ce Félibien est un académique de la force de Louis XIV, lorsque ce roi-soleil parlait des Flamands. Cependant j'ai copié l'ineptie que se dialoguent Félibien et Pymandre, personnage fictif.

Les Nains frères faisaient des portraits et des histoires, mais d'une manière peu noble, représentant souvent des sujets simples et sans beauté.

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› J'ai vu, interrompit Pymandre, de leurs tableaux ; mais j'avoue que je ne pouvais m'arrêter à considérer ces sujets d'actions basses et souvent ridicules.

› Les ouvrages, réponds-je, où l'esprit a peu de part deviennent bientôt ennuyeux. Ce n'est pas que quand il

y a de la vraisemblance et que les choses y sont exprimées avec art, ces mêmes choses ne surprennent d'abord et ne plaisent pendant quelque temps avant que de nous ennuyer. C'est pourquoi comme ces sortes de peintures ne peuvent divertir qu'un moment et par intervalle, on voit peu de personnes connaissantes qui s'y attachent beaucoup. >

(Entretien sur les vies et sur les ouvrages des plus excellents peintres anciens et modernes, par Félibien.) 1688. M. de Chennevières-Peintel dans son curieux livre des Peintres de la province, a eu bien raison de classer les Lenain parmi les peintres provinciaux. Il est évident que leur peu de réputation actuelle vient de ce qu'ils ont renoncé à la vie de Paris et de la cour pour vivre tranquilles dans le fond d'une campagne ou d'une petite ville.

A Paris ils pouvaient être riches et honorés. N'étaientils pas reçus les premiers à l'académie de peinture? N'avaient-ils pas fait les portraits de Cinq-Mars et de Mazarin, preuve qu'ils étaient bien vus en haut lieu?

Mais les Lenain étaient de braves gens, des ouvriers peintres, aimant mieux les fermes que les palais. Et leur peinture le prouve; car je suis fort de l'avis de Lavater qui connaissait un peintre d'après ses tableaux. Ainsi Lavater n'aurait pas hésité à dire que les Lenain avaient la figure mélancolique; et il aurait eu raison. Chaque peintre a son tempérament particulier, de même que chaque homme a un nez différent. Laissez ce peintre suivre son penchant, ne lui commandez pas le sujet ; et toujours dans chacun de ses tableaux vous retrouvez un type-mère, une figure chérie qui sera coulé pour ainsi dire dans l'âme du peintre ou dans son cœur.

C'est ce qui constitue l'individualité.

La quantité d'Intérieurs de fermes peinte par les Lenain prouve leur amour de la campagne; la tristesse mélancolique de leurs personnages n'est que la reproduction

́de leur tempérament mélancolique et tris'e. Voilà pourquoi il est difficile de savoir dans quel pays les Lenain travaillaient d'après nature. Les paysans du Laonnois, pas plus que les paysans du midi, ne se reconnaîtraient dans ces portraits et dans ces scènes d'où sont exilés les cris bruyants, les grosses amours, la rouge gaîté et l'énorme boisson des Flamands.

Les paysans de Lenain ont toujours l'air de penser. Dans beaucoup de tableaux les laboureurs regardent l'horison, la tête appuyée dans les mains et font songer à la Melancholia d'Albert Durer.

Si on me demandait si les Lenain ont étudié les maîres avec qui ils auraient eu des rapports, j'aimerais mieux dire tout de suite que je n'en sais rien. Ils ont pu connaître des Flamands, des Lorrains, peut-être même quel ques toiles espagnoles; mais ne pouvant arriver à plus de renseignements, je dis que ce sont de grands peintres qui, avant Chardin, avaient trouvé le réalisme.

III.

Il existe au musée du Puy un portrait de Lenain peint par lui-même. C'est un homme de trente ans, dont l'extérieur doux et simple prévient tout d'abord. Le teint est peu coloré. Les yeux sont noirs et chercheurs ; mais ce qui vient peut-être de la peinture, la bouche est remarquablement pure et remplie de douce finesse. De grands cheveux bruns tombent en boucles sur les épaules; une partie vient s'abattre sur la collerette. Ils ont la beauté de n'être pas ratissés par un peigne méticuleux. Aussi de quelques endroits de cette forte chevelure sortent quelques mèches rebelles qui chassent au loin toute idée de perruque. Au contraire de ces riches dentelles dont se servait la cour de Louis XIII, la collerette ou plutôt le col est large, empesé et raide comme un collet de mi

nistre protestant de ce temps. Le pourpoint est gris, d'une étoffe unie et sans aucunes broderies.

Ce tableau m'a rappelé comme peinture et comme type le beau portrait de Descartes du Louvre.

Mais immédiatement une pensée vient troubler ma joie. Qui est-ce qui a informé sur ce point le rédacteur du catalogue? Puisqu'il n'existe pas de portrait gravé, qui me garantira l'authenticité du portrait? Lenain se serait il retiré dans les montagnes du Velay et le portrait aurait-il passé dans plusieurs familles qui en ont conservé la tradition? Cette dernière supposition n'est pas improbable, car je retrouve dans presque tous les tableaux de Lenain les airs de tête, le costume et l'attitude tranquille des gens de l'Auvergne et du Velay.

Il n'y a rien de plus menteur qu'un catalogue et je ne me fie guère à eux, d'autant plus que dans le même musée, je trouvai deux tableaux de Lenain d'une fausseté insigne. On ne discute pas ces peintures-là.

< 67. LENAIN. Tête de vieille femme donnée par M.Avez. 69. LENAIN. La mère qui peigne sa fille. »

Je cite ces deux peintures pour que les personnes entre les mains desquelles tomberait par hasard le livret du musée du Puy n'ajoutent aucune croyance à ces deux toiles.

Mais le portrait, c'est autre chose. La façon de peindre est bien d'un Lenain; elle est sobre, modeste et un peu grise comme cela se voit dans quelques-uns des tableaux des peintres Laonnois. Maintenant ce portrait ne dérange rien aux idées physiognomoniques dont j'ai toujours eu l'instinct et qui m'ont été confirmées par les célèbres travaux de ce grand, vertueux génie qu'on appelle Lavater. Si on me montrait un portrait de Lenain avec une grosse mine rouge et pleine de santé, je le nierais, y eût-il, toutes sortes de preuves à l'appui. L'homme qui a peint les forgerons n'était pas jovial, n'était pas gras, n'était

pas riche. Il avait la nature de ses personnages, plutôt pensif que parleur, plutôt réfléchi qu'agissant.

Qu'est-ce que la peinture? L'âme du peintre avec un peu de couleur par dessus.

Une œuvre d'art est une confession.

Un tableau parle et dit les vices, les vertus, les manies, les habitudes de celui qui l'a peint.

Et quelques-uns, pas beaucoup, sont les prêtres qui écoutent ces singulières confidences.

Aussi les écoles de peinture de toutes les nations, de toutes les époques peuvent-elles se classer en peintres calines et en peintres tourmentés.

Les peintres calmes, c'est une grande partie des Italiens, Véronèse et sa bande, beaucoup de Flamands et de Hollandais, Rubens en tête; en France, Lebrun et les grands brosseurs du 17° siècle.

Les peintres tourmentés, c'est Rembrandt, c'est Théotocopali, c'est le Tintoret, c'est Delacroix, le seul homme de nos jours qu'on puisse accoler aux vieux maîtres.

Voici pourquoi les peintres calmes marcheront toujours à la queue des âmes souffrantes. Véronèse et Rubens font de la peinture pour de la peinture; ils n'atteignent que le rang d'illustres décorateurs. Ils ne souffrent pas en faisant de l'art; leur pinceau court comme un fleuve. Au contraire les autres, Delacroix, Rembrandt, soyez certain que leur âme est repliée et tordue comme un parchemin sur le feu. Ils dépensent leur sang et leurs os à chaque coup de pinceau, tandis que les rapides producteurs, tels que Rubens, ne dépensent que leurs muscles et leurs nerfs. De là vient la fatigue et l'ennui causés par de trop grandes fréquentations de Rubens. Rembrand ne fatigue jamais. Un tableau de Delacroix regardé tous les jours est éternellement nouveau.

Pourquoi? Delacroix et Rembrand ont souffert et sont humains; Rubens et Véronèse n'ont pas souffert.

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