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Il est fâcheux que l'église de Notre-Dame de Liesse, si célèbre par son pélérinage et par ses souvenirs historiques n'ait pas conservé avec un religieux respect le souvenir de ses anciennes donations, et qu'un zèle plus entreprenant qu'éclairé ait souvent présidé aux divers embellissements qu'on lui a si pieusement infligés. Nous aurions désiré que ceux qui sont préposés à la garde du saint Temple n'abandonnassent pas si facilement une charge qui les regarde plus que personne.

M. le lieutenant-colonel Duménil du 4o d'infanterie met à la disposition de la Société cinquante soldats lorsqu'elle voudra entreprendre des fouilles.

Vif remerciment à M. Duménil.

M. l'abbé Daras dépose sur le bureau une note qu'il avait promise sur le cartulaire de Nogent-sous-Coucy.

Cartulaire de Nogent-sous-Coucy.

Il existe plusieurs cartulaires ou transcriptions d'anciens titres de l'important monastère de Nogent. Celui dont la Société doit communication à M. Grégoire de Coucy forme un in-4o de 225 pages, écrit sur papier et relié. C'est une copie assez moderne du grand cartulaire de l'abbaye, appelé Livre rouge. L'écriture, la couverture, le style ne permettent pas de faire remonter ce travail à plus d'un siècle; c'est l'œuvre de quelque moine (1) du siècle dernier qui aura fait cette copie pour lui, ou plutôt pour les historiens de l'ordre des Bénédictins qui amassaient partout alors les innombrables documents relatifs à leur histoire. Maintenant qu'est devenu l'original ou véritable Livre rouge? A-t-il péri à l'époque de la révolution? Dort-il ignoré sous la poussière dans

(1) Le copiste, dans une note, parlant d'un seigneur, l'appelle nos Sire.

quelque importante bibliothèque? Nous ne savons; peutêtre tout espoir de le découvrir n'est-il pas perdu. La copie que nous avons sous les yeux contient les plus précieuses et les plus anciennes chartes, à dater de l'an 1059 à 1366. Les chartes ne continuent pas au-delà du 14 siècle. Le copiste fatigué, qui avait transcrit littéralement jusque-là, s'est contenté d'analyser les chartes suivantes :

L'ancienneté de l'abbaye de Nogent, l'illustration de ses premiers prélats, la piété de saint Godefroi, le nom de l'historien Guibert, le voisinage de la maison de Coucy, la royale libéralité des Enguerrand, la possession de l'acte relatif au tombeau du trop fameux Thomas de Marle, et la révélation de beaucoup d'autres faits nou moins précieux assurent aux chartes de ce cartulaire une importance capitale pour l'histoire de la contrée. L'étude comparée de ces monuments écrits éclaire des plus vives lumières les relations domestiques de cette société du 12o et du 13° siècle qui ornait alors si glorieusement notre sol de monuments immortels. On aime à revoir, dans leurs transactions privées, le style laconique et rude de ces hauts et farouches barons, assez puissants pour s'allier aux premières couronnes de l'Europe, et susceptibles d'assez d'ambition pour aspirer à la couronne de France. On se défend difficilement en relisant leurs diplômes de je ne sais quelles impressions graves, empreintes de ce caractère austère et mâle que revêt la vie sociale du moyen-âge. Dans l'énergie d'action de cette société, dans ses innombrables largesses, l'infinité de ses formules et la métamorphose de son langage: on sent le souffle vital des croyances, l'aurore de l'une des plus belles langues de l'univers, une aspiration vers la majesté et la grandeur dans les arts, et tous les symptòmes qui accompagnent la naissance d'une civilisation nouvelle.

Vous reconnaissez sans peine, dans toutes ces chartes de donation, l'ardeur des croisades, la piété des châtelaines et la générosité de la chevalerie. C'est le reflet de la féodalité dans son inflexible raideur, il est vrai, mais aussi dans son puissant génie. Tout ici en respire l'esprit; cette longue série d'actes officiels est un tableau de mœurs, tableau d'autant plus saisissant qu'il est authentique. L'histoire de la législation locale, l'origine, les progrès de notre agriculture, la stipulation des monnaies et des mesures, les vestiges naissants de notre commerce, les arts, les métiers, les arbitrages, les of fices, toute la vie publique et privée de ces générations éloignées qui ont vécu sur notre sol, tout se trouve dans les cartulaires d'abbaye; tout est là. Les sciences mêmes, comme l'étymologie des lieux, la philologie, la diplomatique, l'étude des généalogies et l'histoire seigneuriale des domaines, sont assurées d'y recueillir à chaque pas des renseignements d'un incontestable intérêt. Le seul chapitre relatif à la chevalerie de la cour des Enguerrand mériterait de fixer au plus haut degré l'attention de la Société.

Sans entrer aujourd'hui dans de plus longs détails, nous achèverons de faire connaître la valeur de ce manuscrit en résumant la nomenclature des documents qu'il renferme. Des 193 chartes qu'il contient, 4 seulement sont en langue romane, toutes les autres sont latines. 167 chartes sont datées, les 26 autres ne sont pas datées; mais cela n'attaque pas leur authenticité. 4 titres appartiennent au 11° siècle et sont datés de 1059, 1086, 1089, 1095. 64 chartes datent du 12e siècle. 96 du 13° et 3 seulement du 14°. 146 chartes émanent de l'autorité ecclésiastique et 47 de l'autorité civile ou privée.

Les diplomes des sires de Coucy et les bulles des souverains pontifes occupent de droit la place d'honneur. Parmi les bulles pontificales, 4 sont datées de Latran, 2

d'Anagny, 2 de Pérouse, 2 du palais de Réate, 1 de Vérone et une d'au-delà du Tibre.

36 chartes portent le nom de Coucy et une celui du roi Philippe Ir. Quelques hauts barons de France, comme Philippe d'Alsace, comte de Flandre et Thomas de Marle, plusieurs seigneurs comme Jean de Sarny, Thomas de Chaune; les chevaliers du Temple, l'archevêché de Rheims, les évêques de Soissons, Laon, Noyon, Beauvais, Amiens, Arras, apparaissent aussi tour-à-tour et sont représentés par de nombreuses chartes.

M. Daras lit en outre un mémoire sur le vandalisme des anciennes archives, à l'époque de notre grande révolution.

Vandalisme des archives en 93.

MESSIEURS,

Une de ces flétrissures restées au front de la Révolution et qui, de longtemps encore ne lui sera pas enlevée, ça été sans contredit la destruction légale de la plus grande partie des anciennes archives du royaume.

Le temps qui oublie tout n'effacera jamais de nos annales ce douloureux souvenir. Cinquante années d'applaudissements prodigués au terrible événement qui régénéra notre societé n'ont encore pu calmer les regrets amers de l'histoire qui, en se voyant interrompue de toutes parts par d'immenses lacunes, pleurera éternellement d'irréparables pertes.

Vainement, les gouvernements issus de la révolution ont-ils cherché à prévenir le blâme énergique de la postérité; ce blâme, notre siècle l'inflige déjà à ces législateurs égarés qui, pour la première fois, confondirent

avec les hommes sous leur proscription les monuments et les sciences.

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Vainement le ministre de l'intérieur, dans son rapport au roi du 8 mai 1841 sur les archives des communes et des départements, a-t-il tenté une réhabilitation: efforts illusoires! Vainement a-t-il prétendu que l'anéantisse ment des documents de l'histoire ne s'était pas exercé d'une manière générale; il est resté seul défenseur de son opinion et les lois du 24 juin 92, du 17 juillet 93 et du 7 messidor an 11, ces lois irrationnelles et coupables qui prescrivirent froidement de brûler les archives nobiliaires, et d'expédier au service des arsenaux et des poudrières les chartes sur parchemin des établissements publics : ces lois resteront dans notre législation comme sa tache la plus honteuse et serviront de monuments indestructibles qui nous justifieront de n'avoir transmis à l'avenir, que par lambeaux, l'histoire de nos domaines, de nos communes et de nos institutions. Et il ne faut pas croire, Messieurs, que les autorités aient molli à l'exécution de ces ordonnances. Le rapport ministériel est forcé d'avouer lui-même que les archives de quelques rares préfectures sont restées au complet, et que le plus grand nombre possède à peine quelques titres antérieurs à 1789.

Dans cet état de choses n'est-on pas, Messieurs, porté uaturellement à se demander: 1o quelle était la situation précise des archives et chartriers de notre pays avant la révolution? 2o quelle est la valeur et la proportion des titres dispersés ou perdus? 3° quelles sont les archives sauvées ?

L'exploration récente de deux importants dépôts d'archives m'ayant conduit à l'examen de ces questions, j'ai l'honneur de soumettre à la Société quelques considérations qui ne sauraient avoir d'autre mérite que celui de provoquer l'assistance de lumières plus étendues et le concours de talents plus dignes de la matière.

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