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LES

ÉTATS DE NORMANDIE

SOUS LA

DOMINATION ANGLAISE

PREMIERE PARTIE

La première assemblée d'états que nous ayons à signaler eut lieu sous le règne de Henri V. Ce prince venait d'épouser la fille d'Isabeau de Bavière et de Charles VI. Le traité de Troyes l'avait proclamé héritier et régent du royaume, au mépris des droits du dauphin; mais il avait été décidé que les dispositions de ce traité seraient soumises à l'approbation des trois états de la France et de l'Angleterre. Il fallait que la nation tout entière parût assumer la responsabilité de cet acte honteux par lequel un roi fou sacrifiait son fils et son royaume à l'ambition d'un étranger. Les trois états de la France furent convoqués à Paris à l'hôtel Saint-Paul, le 6 décembre 1420 (3). Les députés avaient été nommés à la

(3) Godefroy, Hist. de Charles VI, 384, 385. Dom Félibien, Hist. de la Ville de Paris, II, 800. Leblanc, Traité historique des monnoies, 289, 292.

discrétion de Henri V: il en obtint ce qu'il voulut. Le traité de Troyes fut ratifié; il fut décidé que, pour faire face aux frais de la guerre, auxquels ne pouvaient suffire un trésor épuisé et un domaine devenu presque improductif, les aides imposées précédemment et déjà rétablies en Normandie (4), les quatrièmes et les gabelles, seraient levées encore pendant une année. De plus, et ce ne fut pas là l'objet le moins important des délibérations, dans le but de remédier à la faiblesse de la monnaie et de mettre fin à la crise monétaire qui était venue s'ajouter à la crise politique, les députés votèrent un emprunt de marcs d'argent, auquel durent contribuer tous les citoyens un peu aisés, les ecclésiastiques comme les autres. Pour comprendre l'opportunité de cette mesure, il ne faut pas perdre de vue que, depuis 1415, date de la bataille d'Azincourt, il y avait eu en France, suivant l'expression d'un chroniqueur, de grandes tribulations et pertes pour le sujet des monnoies. On avait vu les pièces frappées pour 18 sous s'élever au prix énorme de 9 francs, et les autres monter dans la même proportion. On conçoit quelle gêne en éprouvèrent les seigneurs (5), et quelles alarmes ils durent concevoir pour l'avenir, dans un temps où, la fieffe étant la condition générale du sol, la fixité de la rente ou du cens enlevait tout espoir de voir

(4) Lettres d'Henri V du 11 mars 1420 (v. s.) dans les Ordonn. des Rois de France, XI, 148.,

(5) « Les censiers qui leurs devoient argent vendoient un septier « de bled dix ou douze francs, et pouvoient ainsi payer une grande «cense par le moyen et la vente de huit ou dix septiers de bled, « de quoy plusieurs seigneurs et pauvres gentilshommes reçeurent, « de grans dommages et pertes. » Leblanc, 289, 290.

se rétablir prochainement l'équilibre entre le prix de la terre et celui des denrées. L'affaiblissement de la monnaie avait eu la guerre pour excuse. Lorsque Charles VI, à bout de ressources, s'était décidé à porter la valeur de l'écu d'or de 30 sous à 50 sous, il avait déclaré qu'il se voyait forcé de recourir à ce fâcheux expédient « pour résister à « son adversaire d'Angleterre et à sa damnable en«treprise, attendu que, de présent, il n'avait au«< cun autre revenu de son domaine ne autrement de <«< quoy il se pût aider (6). » La réforme de la monnaie était donc attendue comme une conséquence naturelle de la paix, et Henri V, en s'en occupant après le traité de Troyes, entendait prouver au peuple que le pays, grâce à lui, allait rentrer dans une situation régulière (7).

Pour arriver à une refonte des espèces, on imagina de faire « une manière d'emprunt de marcs << d'argent; ceux qui les mettroient auroient la mon<«<noye au prix que l'on diroit, et de ce qui valoit «< 8 francs le marc d'argent, et qui seroit mis en << la monnoye, ils en auroient 7 francs et non <«< plus; qui estoit une bien grosse taille (8). »

Cette réforme, pour être d'une incontestable nécessité, n'en entraîna pas moins de graves désordres. D'un mal auquel on échappait, on tomba dans un

(6) Leblanc, 291.

(7) Vers le même temps, Henri V s'occupa de faire fabriquer une monnaie loyale en Angleterre. V. les Statuts de la neuvième année du règne de ce prince, arrêtés au parlement de Westminster, au mois de décembre 1424, The Statutes of the realm, II, 209, Cf. Ibid. 221.

(8) Leblanc, 291.

autre que caractérise en ces termes le chroniqueur dont nous venons de rapporter le témoignage: « Or, << en icelle année que les monnoies furent de la sorte «<remises à leur règle et légitime valeur, cela fit << naître quantité de procès et de grandes dissentions. << entre plusieurs habitans du royaume, à cause des « marchez qui avoient esté faits dès le temps de la « faible monnoye qui pour ce temps avoit cours, « c'est-à-dire l'escu à 24 sols, et les blancs pour « 8 deniers... en quoy il y avoit grande décevence, << tromperie et confusion pour les acheteurs (9). »

Il était utile d'entrer dans ces développements, parce que la convocation des états de Normandie. n'est, à vrai dire, qu'une suite des états généraux de Paris. Dans les derniers jours de décembre (10), Henri V se rendit à Rouen, accompagné de sa femme et des ducs de Bedford et de Clarence; les plus riches dames de l'Angleterre faisaient cortège à la jeune reine. La réception ne put manquer d'être brillante. Il y avait quelques mois déjà que Catherine était attendue en Normandie. Dès le mois de juillet, les bourgeois de Rouen avaient contracté un emprunt pour présenter « ung joué (joyau), à leur << souveraine dame au joieux advénement qu'au plai<< sir Dieu, elle devait faire en leur ville (11). » La

(9) Leblanc, 290.

(10) Henri V partit de Paris pour se rendre à Rouen, le 27 décembre 1420, d'après le Journal d'un Bourgeois de Paris (édit. de 1729), 73. «Se partirent de Paris et s'en vindrent à Rouen, << mardi desrain jour de décembre ensuivant 4420. » P. Cochon, Chronique normande, édit. de M. Vallet de Viriville, p. 440.

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(14) Bib. de Rouen. Portefeuille de pièces relatives à l'histoire de cette ville de 1397 à 1449. P. Cochon (p. 440) nous apprend que la ville de Rouen donna à la reine « une escreppe d'or

cour logea au château de Philippe Auguste; le jour des Rois y fut célébré avec un éclat qui rappelait ces fêtes brillantes que Henri V, quelques jours auparavant, avait données au Louvre, au grand scandale des vrais Français. Vers ce temps-là eut lieu la réunion des états de Normandie (12). On les harangua au nom du roi ; on leur exposa «< comment, à la gloire « et à l'exaltation du nom de Dieu, pour la tranquil« lité, le repos et le bien général du peuple des deux << royaumes et de tous les fidèles du Christ, Henri V « avait récemment, par la faveur du ciel, conclu « avec son très-cher père de France une paix défini« tive et perpétuelle (13). » C'était sous ce titre dérisoire qu'on était convenu de désigner ce traité de Troyes, qui ne fit en réalité que mettre le comble au désordre. Tout le monde fut invité solennellement à observer cette paix d'une manière inviolable. L'attention de l'assemblée fut ensuite appelée sur les graves inconvénients et les maux sans nombre qui résultaient de la faiblesse des blancs-deniers ayant cours dans le duché, et sur l'urgente nécessité de procurer au roi des ressources qui lui permissent de mettre fin à la guerre le plus promptement possible.

Les Normands satisfirent Henri V sur ces trois

« et riche de pierreries et qui cousta 10,000 nobles; les monnoiers << lui donnèrent une nef d'argent finement dorée. »>

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(12) Chronique de Normandie (re édition), ch. CC LXXVIII. Chastellain, Chronique du duc Philippe (édit. de M. Buchon), 67. Bréquigny, Roles normands et français publiés par la Société des Antiquaires de Normandie, nos 925, 927, 938. M. Chéruel, Hist. de Rouen sous la domination anglaise, 80. M. Henri Martin (Hist. de France, VI, 77), place à tort la réunion des états de Normandie après la bataille de Baugé, livrée, comme on sait, le 29 mars 1421. Rymer, Fœdera (édit. de la Haye,1741),

(13) Bréquigny, no 938.

Rymer, t. IV, p. iv, 48, 74, etc.

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