maréchal d'Antioche. Boémond le Borgne, tout en prenant dignement sa part des combats, ce qu'atteste ce surnom dû à une blessure reçue dans le mont Liban, ne négligeait pas la science des usages féodaux. Il aimait à s'en entretenir soit au tribunal, soit ailleurs, avec ses chevaliers et il y avait acquis une grande expérience; cela annonce un esprit d'une portée élevée et étendue : « Et le vieil prince Bémont, dit << Navarre, qui premier fu conte de Triple et après fu prince d'An<< tioches, et vigoureusement tint puis les deus signories, moult fu << sages et soutil de science en court et dehors »1. Philippe de Navarre parle ainsi de Boémond IV au plus bel endroit de son livre sur les Assises de la Haute Cour; dans le chapitre dernier consacré à honorer le souvenir des grands « plaideors » dont les paroles et les avis avaient fait ou faisaient encore autorité. Navarre, comme l'on sait, avait beaucoup écrit sur le droit, sur la morale, sur les événements et les personnages de son temps. Tout porte à croire que, si l'on retrouve jamais les Mémoires de sa vie, les lettres françaises du moyen âge compteront une nouvelle illustration. Par les souvenirs personnels qu'il ne peut s'empêcher de mêler à l'exposé des questions théoriques et abstraites des principes du droit, on peut juger que livré à lui-même sur un sujet vivant et familier, Navarre devait être un narrateur vif, franc et spontané. Il prendrait ainsi une place non désavantageuse à côté de Joinville, comme son livre des Assises le met déjà de pair parmi les légistes auprès de Beaumanoir et de Pierre de Fontaine. Il était de plus poète, on l'appelait ainsi et il avait raconté en vers la belle histoire de la résistance des princes d'Ibelin aux efforts de Frédéric II pour s'approprier les deux couronnes de Chypre et de Jérusalem. A la fin du xvie siècle encore les mss. de Navarre paraissent n'avoir pas été rares; Florio Bustron a connu et employé cette guerre des Lombards, ou Gestes des Chypriotes, pour écrire son histoire de Chypre. A la même époque, les commissaires vénitiens chargés de traduire les Assises de Jérusalem, du français en italien, eurent à leur disposition un manuscrit de l'œuvre de Gérard de Montréal, l'un des célèbres jurisconsultes gallo-syriens dont le nom seul est aujourd'hui connu. Signalons ces desiderata à nos jeunes et savants élèves de l'École française de Rome. P. S. - Je reviens pour un instant à Guillaume de Machaut, en lisant le compte-rendu que la Revue historique a consacré aux premières pages de la Notice insérée dans le précédent numéro de notre Bibliothèque. Décidément on sacrifie le valet de la chambre du roi Philippe le Bel, qui recevait dès 1308 le fief de Bouilly comme récompense de services déjà anciens. On le trouve un peu trop gênant. Il est assez difficile, en effet, de concilier l'âge que pouvait avoir alors Guillaume de Machaut avec les amourettes de l'an 1363 ou 1364. Seulement, on ne doit pas oublier que l'identité de ce valet de la chambre royale avec l'auteur de la Prise d'Alexandrie, et par conséquent avec l'auteur du Livre du Voir Dit, est parfaitement admise par un homme assez expert en ces matières, l'abbé Lebeuf (Mém. de l'Acad. des Inscript., 1re série, t. XX, p. 398). Une pareille autorité a du poids; elle mérite qu'on la discute directement et sérieusement. 1. Assises, t. I, p. 570. Mais la question, eu égard à l'objet de la Notice précitée, est bien secondaire. L'origine, la valeur, l'intérêt historique des diverses parties de la Prise d'Alexandrie, voilà ce qui importe. Les récits de Jean de Reims et de Gautier de Conflans méritent-ils, l'un et l'autre, la même créance? Jusqu'où allait, dans l'Orient latin, le droit des hommes-liges de résister aux actes arbitraires du roi? Quelle fut la vraie cause du soulèvement des barons de Chypre contre le roi Pierre Ier? Le complot contre sa vie a-t-il été ourdi chez ses frères? Les princes ont-ils pris part au meurtre? L'ont-ils soupçonné? A la mort du roi, les Liges ont-ils jeté au feu les chartes et les lois du pays? Ont-ils aboli la royauté et se sont-ils constitués en république? Tous ces derniers faits sont-ils vrais, comme le dit Guillaume de Machaut; faux, comme je le prétends? Voilà, je crois, l'essentiel. Les aventures, l'existence même de Mile Peronnelle d'Armentières sont choses très-accessoires. Un mot pourtant. On me dit qu'il suffit de lire le Voir Dit pour être convaincu de la réalité de la correspondance et des amours de Peronnelle et de Guillaume de Machaut. Pardon. C'est précisément la lecture de cette œuvre qui m'a donné l'opinion contraire; et après l'avoir relue, je reste plus que jamais porté à croire que toutes ces lettres émanent de la même plume. M. L. NOUVELLE SÉRIE DU CABINET HISTORIQUE. La revue historique fondée en 1855 par M. Louis Paris vient de commencer une nouvelle série, dont le libraire-éditeur, M. Menu, quai Malaquais, n° 7, a confié la direction à notre confrère, M. Ulysse Robert. Les premières livraisons, que nous avons sous les yeux, justifient pleinement le favorable accueil fait à la nouvelle série du Cabinet historique. Pour en faire apprécier l'intérêt, nous allons reproduire la table des articles insérés dans les cahiers du premier semestre de l'année 1877. PREMIÈRE PARTIE : Programme de la nouvelle direction. Notes sur quelques manuscrits de la Bibliothèque d'Auxerre, par M. Léopold Delisle. Cet article est accompagné du fac-simile héliographique d'une page d'un ms. du xine siècle, renfermant un manuel de la conversation en grec et en latin. Mémoire inédit de Baluze, publié par M. Ph. Tamizey de Larroque. Ce mémoire a pour sujet des faux titres fabriqués par le dernier duc d'Épernon. Le marquis de Chamlay, par M. A. de Boislisle. Du droit de bâtardise sur les membres du chapitre de Saint-Dié, par M. F. de Chanteau. Inventaire des manuscrits du connétable de Lesdiguières, par M. J. Roman. Une souscription au xvme siècle, par M. P. Bonnassieux. La Légende du souper de La Trémoille, après la bataille de Saint Aubin (28 juillet 1488), par M. Arthur de La Borderie. Le comte Charles d'Aubigné, par M. Bordier. Une Entrevue de diplomates en Suisse, au xviie siècle, par M. E. Rott. Note sur quelques manuscrits de la bibliothèque de Lesdiguières, par M. J. Roman. Mémoires de Carorguy, greffier de Bar-sur-Seine, par M. Edmond Bruwaert. La bibliothèque Mazarine et le duc de La Vallière, par M. A. Molinier. Cinq lettres de Louise de Savoie, par M. C. de la Jonquière. DEUXIÈME PARTIE. - CATALOGUE CÉNÉRAL. Inventaire sommaire des nouvelles collections de titres originaux de la Bibliothèque nationale, par M. Ulysse Robert. État des catalogues des manuscrits des bibliothèques de France, par M. Ulysse Robert. Inventaire des cartulaires conservés dans les bibliothèques de Paris et aux Archives nationales, suivi d'une bibliographie des cartulaires publiés en France, par M. Ulysse Robert. BÉRARD DE NAPLES. La Revue critique, no du 28 avril, analyse dans les termes suivants une communication faite le 20 avril à l'Académie des Inscriptions, par M. Delisle, au sujet d'un ms. de la bibliothèque de Bordeaux, qui lui a été signalé et communiqué par M. Jules Delpit. M. Delisle lit un mémoire intitulé Notice sur un manuscrit de la bibliothèque de Bordeaux. Ce manuscrit est le n° 761 de la bibliothèque de Bordeaux, qui contient un recueil de lettres formé au xme siècle. La plupart sont des lettres de différents papes, les autres sont des lettres de cardinaux, de princes, etc. M. Delisle compare ce recueil à ceux qui se trouvent dans deux manuscrits de Paris, et qui nous donnent des lettres recueillies par Bérard de Naples, notaire à la chancellerie des papes pendant la seconde moitié du xme siècle. Les collections de lettres formées par Bérard ont eu une grande notoriété au moyen-âge et ont été reproduites dans un bon nombre de manuscrits; mais Bérard n'avait pas formé lui-même de ces pièces un recueil méthodique, en sorte que les divers manuscrits où on les a réunies d'après ses copies, ne contiennent pas tous le même nombre de pièces et ne les donnent pas dans le même ordre. Les deux recueils de Paris, intitulés l'un Dictamina, l'autre Epistole notabiles, portent tous deux le nom de Bérard de Naples. Le manuscrit de Bordeaux ne porte pas de nom, mais M. Delisle croit pouvoir affirmer qu'il a été également formé d'après les collections de Bérard. Différentes séries de lettres, qui se rencontrent dans les Dictamina ou dans les Epistole notabiles, se retrouvent, dans le même ordre, dans le manuscrit de Bordeaux. Ce manuscrit contient aussi, comme ceux de Paris, quelques lettres de Bérard lui-même, et en marge d'une de ces lettres on a mis que c'est une lettre qu'écrivit « ipse Berardus » : cet ipse ne signifierait rien, si l'on ne partait de ce point que Bérard était le compilateur du recueil entier en même temps que l'auteur de la lettre en question. - Après avoir établi ce point, M. Delisle signale l'importance du manuscrit de Bordeaux. Les pièces y sont en beaucoup plus grand nombre que dans les deux manuscrits de Paris. Or, ces pièces, qui sont toutes des lettres authentiques copiées, celles des papes sur les minutes, celle des divers princes aux papes sur les originaux, sont d'un grand intérêt pour l'histoire. Presque toutes les affaires importantes, qui ont occupé la papauté au xme siècle, sont chacune l'objet de plusieurs lettres dans le recueil, lettres qui souvent ne sont pas connues d'ailleurs. Ainsi le manuscrit de Bordeaux donne des détails étendus sur les négociations qui furent poursuivies de 1268 à 1278 pour la réunion de l'Église grecque à l'Église romaine. Les deux recueils des Dictamina et des Epistole notabiles n'ayant été formés, à ce qu'il semble, que pour réunir des modèles de style épistolaire et diplomatique, on y a souvent omis les noms des auteurs et des destinataires des lettres, ainsi que la date: le manuscrit de Bordeaux fournit, dans bien des cas, ces indications. Ainsi l'on connaissait par les Epistole notabiles une lettre écrite par un pape à une reine pour lui reprocher sa vie désordonnée, indigne d'une reine et d'une chrétienne, et l'on ignorait à qui cette lettre s'adressait : le manuscrit de Bordeaux donne cette lettre dans une série de lettres du pape Clément IV (1265-1268), avec cette indication: Ad reginam Cypri; il en résulte que la reine en question est la reine de Chypre, Isabelle d'Ibelin. Le travail de M. Delisle sera imprimé dans un prochain volume des Notices et extraits des manuscrits. LA BIBLIOTHÈQUE NATIONALE EN 1876. Rapport à M. le Ministre de l'instruction publique et des beaux-arts sur l'administration de la Bibliothèque nationale pendant l'année 1876. MONSIEUR LE MINISTRE, Paris, 8 avril 1877. L'obligation que je me suis imposée de rendre chaque année un compte détaillé de l'administration de la Bibliothèque nationale m'amène aujourd'hui à vous exposer ce que mes collègues et moi nous avons fait en 1876 pour répondre aux légitimes désirs du public et pour justifier la confiance du gouvernement et des Chambres, qui ont si bien compris que l'accroissement et le bon aménagement de nos collections se relient étroitement à la réforme de l'enseignement supérieur et au développement des hautes études scientifiques et littéraires. RESSOURCES FINANCIÈRES. Au lieu d'un crédit de 114,350 fr., inscrit au budget de 1875 pour les acquisitions, la reliure et l'entretien des collections, nous avons pu disposer en 1876 d'une somme de 150,000 fr., votée le 29 juillet 1875 par l'Assemblée nationale. En y ajoutant le revenu de la fondation du duc d'Otrante, notre bienfaiteur, nous avons eu à dépenser, en 1876, 154,000 fr., qui ont été partagés comme il suit : |