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partement de Madame la Dauphine on avait élevé 30 portiques de 25 pieds de hauteur. Les vuides des arcades étaient occupés par des médaillons, des vases, des lustres et des ifs. Au dehors des jardins et au-delà du canal qui les termine, on avait formé, par le moyen. de quatre rangée d'ifs garnis de lampions, trois longues. avenues; les deux collatérales étaient terminées par des pyramides de feu. Celle du milieu conduisait à un superbe temple de 60 pieds de hauteur exécuté en illumination.

« Ce temple était formé d'un escalier à double rampe surmonté d'une colonnade d'ordre corinthien. On voyait au milieu l'autel de l'Hymen. Tout l'ensemble formait le plus beau coup d'œil.

«Toute la ville fut illuminée. Les deux clochers de la cathédrale le furent dans toute leur hauteur. »

Quant à la porte, elle reçut une décoration spéciale. Elle était complètement embrasée et offrait, paraît-il, « un des plus beaux spectacles que l'on pût voir en ce genre. » Un nombre prodigieux de lampions et de terrines de feu « exprimaient tous les contours et les ornements de l'architecture; un transparent placé audessus de la clef et derrière lequel on avait encore rassemblé un grand nombre de lampions présentait aux yeux l'inscription latine qui a été transcrite plus haut. »

Le peuple fut associé à la fête selon la coutume habituelle. Il put boire et manger à son soùl. Pendant la soirée on fit couler pour lui des fontaines de vin en face de l'intendance et on lui distribua du pain et du vin. Il fit ainsi par avance la noce de la dauphine; il reçut, au passage de la future, les ouchelots (les os des reliefs), suivant la pittoresque expression des paysans de la Champagne plate.

<< Le lendemain l'intendant présenta à Madame la

Dauphine, avant son départ, deux tableaux représentant, l'un la porte Dauphine vue du côté de la ville, l'autre la même porte du côté de la campagne. La princesse y était elle-même représentée dans son carrosse avec une partie du nombreux cortège qui l'accompagnait. >>

La Dauphine partit le lendemain pour Reims, « M. Rouillé d'Orfeuil eut l'honneur de l'accompagner jusqu'à cette ville où elle dîna et jusqu'à Fismes. »

Les terrines et les lampions étaient à peine éteints que les fêtes et les illuminations recommencèrent à Châlons, le 16, à l'occasion de la célébration du mariage. « Il y eut dans les jardins de l'intendance un feu d'artifice. Un bal paré que M. Rouillé d'Orfeuil donna le même soir compléta la fête. Toutes les dames de la ville y furent invitées et le concours en fut si grand qu'on fut obligé de consacrer à la danse la plus grande partie des appartements de l'intendance. >>

Rouillé dit quelque part que tous les villages qui se trouvaient sur la route de la princesse lui ont fait offrir des fleurs par des jeunes filles. Mme Campan raconte que le vieux curé de Pogny, à la tête de ses paroissiens, s'approcha de la voiture et commença à débiter un discours dont l'épigraphe : Pulchra es et formosa, était tirée du Cantique des cantiques. Mais le curé ayant levé les yeux sur la princesse fut tellement ébloui par sa beauté et sa grâce qu'il se mit à bredouiller et ne put que répéter les mots pulchra es et formosa, ce qui valait d'ailleurs sans doute autant que son discours.

A La Chaussée, ce fut l'institutrice du village, une ancienne vivandière du régiment de « Dragons de Monseigneur le Dauphin », qui salua la princesse. Elle lui remit, car nous ne croyons pas qu'elle la lui chanta, une chanson non dépourvue d'originalité dont voici le premier couplet :

Sortez du village,
Venez avec moi,
Jeunesse bien sage,
Voir la bru du roi,
Jadis à la guerre

Avec mon époux

J'ai vu dam sa mère.

Bon Dieu. Quel ragoût!

On voit par ce court résumé avec quel enthousiasme les Châlonnais accueillirent la Dauphine, à laquelle un lien matériel allait désormais les attacher, et quel spectacle merveilleux ils voulurent lui offrir pour que sa première impression en terre de France rayonnât dans son souvenir sous les couleurs les plus vives et les plus gaies. Ce fut surtout par la multiplicité et l'éclat des illuminations, par les flots de lumière projetés à profusion, les ruissellements de flammes multicolores, les portiques, les colonnades, les temples et les a utels lumineux que leur réception se distingua. Cette première journée de fête offerte à la jeune princesse fut véritablement une fête de feu. Qui pouvait alors prévoir que le dernier jour de la belle hôtesse finirait dans le sang et que vingt ans plus tard ces mêmes Châlonnais effaceraient les inscriptions et les armoiries de la porte Dauphine!

Les dépenses de la ville, à l'occasion du passage, s'élevèrent à 2904 liv. d'après un état qui figure aux archives municipales (1): « 232 liv. pour l'illumination de l'hôtelde-ville et de la porte, 85 livres pour 500 lampions, 67 livres pour 117 coups de boettes, 69 livres pour 23 baudets utilisés, 13 livres aux sonneurs des paroisses pour avoir semonsé les bourgeois pour le passage, 137 livres pour l'habillement de six garçons et de six jeunes filles dotées par la ville, 104 livres pour prêts de lits,

(1) CC. 291.

couvertures et traversins. » Mais cet état n'est pas complet, il ne comprend pas le prix des corbeilles ni des autres présents. Une autre pièce de comptabilité dit que 5513 livres furent dépensées « tant au passage de la Dauphine que lors du sacre. »

Les armes de la maison d'Autriche ne restèrent pas longtemps, nous l'avons dit, au haut de la porte qu'elles couronnaient. Elles furent effacées quelque temps avant la mort de la princesse en l'honneur de laquelle le monument avait été élevé.

Voici la délibération qui en ordonna la destruction : Du 26 juillet 1792, l'an 4 de la liberté.

Assemblée du Conseil général de la commune où étaient MM. Moignon, maire, Derosne, Grojean, Coqteaul, Paindavoine, Buirette, Bablot, Godart, Odon, capitaine, Vendezy, Mathieu et Boisselle, officiers municipaux, MM. Facion, Malval, Pelani, Gaston-Adrien Lehier, Lenain, Barbat, Regnault, Caillet, Hardy, Bourdon, Martin, Lambert et Maizières, notables:

En présence de M. Picot, procureur de la commune, M. le maire a dit que dans l'instant où les Français, pour le maintien de leur liberté, se sont engagés dans une guerre avec l'Autriche, rien ne doit retracer aux yeux des citoyens les signes de notre ancienne servitude;

Qu'il existe en cette ville, en haut de la porte dite Sainte-Croix, un écusson représentant les armes d'Autriche; que dans les circonstances actuelles ce monument insulte à la France entière;

Qu'il pensait qu'il était du devoir des magistrats du peuple de faire détruire entièrement ces armes qui ne peuvent que blesser les yeux de tous les vrais amis de la Constitution et de la Patrie;

Que la loi du 19 juin 1790 ayant ordonné la suppression de toutes les armes et armoiries autres que celles

qui sont dans l'intérieur des édifices publics, il réclame l'exécution précise de cette loi;

La matière mise en délibération et ouï le Procureur

de la commune ;

Le Conseil général de la ville, considérant que la loi du 19 juin 1790 et toutes celles subséquentes relatives aux armes et armoiries ont fait un devoir aux magistrats du peuple de veiller à la destruction de tous les monuments qui pouvaient rappeler l'asservissement des Français;

A arrêté que les armes d'Autriche, qui sont au haut de la porte dite Sainte-Croix, seraient absolument et entièrement effacées et détruites, et qu'à l'instant même il serait donné des ordres pour l'exécution du présent arrêté. »

La décision du conseil général, si formelle, fut en effet exécutée sans retard. Mais heureusement la disparition des armes n'a point défiguré la porte, n'a point nui à sa beauté et à son ensemble, et cette porte est et restera l'un des monuments civils les plus remarquables de la ville et du département.

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