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Il entend ces doux bruits de voix qui se répondent,
De murmures du soir qui montent des hameaux,
De cloches des troupeaux, de chants qui se confondent
Aux sons des chalumeaux;

Marchant sur des tapis d'herbe en fleurs et de mousses :
Ah! dit-il, que ces lieux me gardent à jamais!

La nature a caché ses grâces les plus douces
Sous les plus hauts sommets!

Mais quel que soit le charme d'une telle nature, ce n'est pas toute la montagne ; à vrai dire, ce n'est pas elle dans sa véritable essence. Car ces prairies, ces ruisseaux, ces bocages, tout comme dans nos Alpes, on peut les rencontrer en Beaujolais ou en Normandie. La nature même de la montagne et, je puis dire, sa vraie poésie, doit être cherchée ailleurs. C'est dans le roc, dans le glacier, dans ses solitudes inanimées que la montagne se manifeste réellement à nous dans toute sa grandiose poésie.

Or, pendant longtemps cette haute montagne semble n'avoir été pour les hommes qu'un sujet de terreur et d'aversion; et c'est une des gloires de Lamartine de l'avoir révélée au public français pour la première fois dans son beau poème de Jocelyn.

Dans ces dernières années, l'alpinisme a complété l'œuvre de Lamartine en contribuant à rendre la montagne populaire. En nous donnant ces qualités d'énergie qui nous permettent d'en braver les dangers, il nous a permis d'en admirer librement toutes les beautés.

Et ce ne sont plus seulement les vallons fleuris qui charment les touristes; nulle part, peut-être, ils ne paraissent éprouver d'émotions plus vives que dans les austères solitudes de nos hauts sommets.

Aujourd'hui, il n'est plus de mode dans l'alpinisme d'employer les termes d'effroi qui étaient naguère comme inséparables de la description des montagnes, et l'on reprocherait même à Lamartine d'avoir fait dans Jocelyn un trop grand abus des « gouffres », des « abîmes » et des <<< vallées noires >>.

Prenons garde toutefois que trop de familiarité n'atténue chez nous le prestige de la montagne. Son véritable caractère est la grandeur. Ce n'est pas seulement un miroir qui reflète l'azur de l'aurore ou la pourpre du couchant, c'est le désert et l'immensité, c'est la nature vierge, telle qu'elle est sortie des mains du créateur, et c'est elle qui, plus que tout autre, peut nous parler de lui et nous faire connaître sa souveraine puissance.

Mais je m'attarde sur vos pas et je ne voulais que vous dire un mot de bienvenue, vous remercier, vous qui avez su, dans une vie absorbée par le travail, réserver une si large place à l'étude de la poésie.

Vous êtes bien vraiment un fils de ce Dauphiné où s'allient dans une admirable union l'art et le travail, un fils de cette terre féconde qui sait faire germer et le labeur qui nourrit notre corps et la poésie qui nourrit notre âme.

DE LA VALEUR HISTORIQUE

DES

MÉMOIRES DE PONTIS

(1582-1651)

PAR

M. J. ROMAN

Membre associé.

D

IRE que les historiens doivent consulter les
Mémoires avec discernement et en faire usage

avec une extrême prudence, c'est dire une banalité. Ces récits, dont la littérature française nous offre des modèles si nombreux et parfois si exquis, ne sont pas toujours dignes de foi et leur charme est souvent. supérieur à leur exactitude. Que de fois leurs auteurs ne parlent que par ouï-dire, et, quand ils racontent des événements auxquels ils ont assisté, que de fois la passion ou l'intérêt ne les portent-ils pas à exagérer les faits ou à les passer sous silence!

On a relevé bien des inexactitudes dans les Mémoires de Saint-Simon, du Cardinal de Retz, de la Reine Marguerite, de Mlle de Montpensier, de Rohan, de La Rochefoucault, pour ne citer que les plus célèbres, et on pourrait en relever davantage encore, mais jamais Mémoires n'ont été traités avec un dédain plus persistant que ceux de Pontis. Depuis deux siècles, ou peut s'en faut, on publie contre eux de vrais réquisitoires et une seule voix, celle de Sainte-Beuve, s'est élevée pour plaider en leur faveur des circonstances atténuantes, et encore me paraît-elle avoir plaidé dans le désert.

C'est que Pontis n'est pas un grand seigneur comme Saint-Simon, un cardinal comme Retz, un écrivain de génie mêlé à toutes les intrigues de son temps comme La Rochefoucault, un illustre chef de parti comme Rohan; Pontis est un petit compagnon avec lequel on peut le prendre de haut et se permettre des libertés qui, vis-àvis de ces hommes célèbres, seraient considérées comme déplacées.

Et puis Pontis, circonstance aggravante, n'est pas un ami et un flatteur de Richelieu, et pendant fort longtemps il a été de mode de ne reconnaître à ce ministre que des qualités. On en est un peu revenu aujourd'hui. Personne, sans doute, n'oserait contester son mérite supérieur comme homme d'Etat, mais il est permis de le voir tel qu'il était, jaloux de son autorité jusqu'à la fureur, facilement oublieux des services rendus, vindicatif, cruel à l'occasion jusqu'à répandre le sang sans remords, s'entourant de police secrète, choisissant ses instruments parmi les médiocrités et les consciences faciles, et offusqué par toutes les supériorités sociales. Tout cela n'empêche pas, sans doute, Richelieu d'être un très grand

génie, mais démontre qu'il participait, malgré tout, aux faiblesses de la nature humaine.

Le moment me semble donc opportun pour tenter une réhabilitation de Pontis.

Il est pour moi un voisin, presqu'un ami. Le château où il naquit, simple ferme maintenant, est construit sur la pente de la belle montagne de Morgon, au milieu de prairies coupées de bois de sapins et de mélèzes, et domine le cours sinueux de la Durance. J'ai lu ses Mémoires comme on doit lire l'œuvre d'un compatriote, avec une bienveillance qui n'exclut pas la critique; j'y ai trouvé des erreurs, des exagérations, mais point de ces mensonges de parti pris qui font qu'on jette un livre avec humeur en maugréant contre l'auteur et sa mauvaise foi. J'y ai rencontré les défauts que l'on constate dans tous les Mémoires, rien de plus, rien de moins; et si on porte une condamnation sévère contre les Mémoires de Pontis, ce n'est point contre eux seuls, mais contre tout ce qui nous est parvenu de Mémoires qu'on la doit porter.

Pour juger en connaissance de cause les Mémoires de Pontis, il faut savoir d'abord ce qu'était Pontis lui-même. L'homme explique l'œuvre.

Cadet d'une des plus anciennes et des plus pauvres familles nobles des Alpes, Pontis ne fut jamais qu'un subalterne. Il fut d'abord cadet aux gardes, puis officier, se dévoua obscurément au roi pendant plus de cinquante ans, mais un guignon inouï ne lui permit jamais de dépasser le grade de lieutenant, et un génie malfaisant l'empêcha de profiter des rares occasions de fortune qui lui furent offertes. Pendant sa carrière militaire il a beaucoup vu, causé avec tous les puissants du jour, fréquenté familierement le roi et Richelieu, sous Louis XIII le roi et la

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