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que d'ailleurs, sinon de faire ce qu'ilz firent, que de se retirer en France et faire au pis qu'ilz purent contre leur nation, et là chercher leur vivre, et là le trouver, puisque leur patrie leur desnyoit, et sauver leur vie qu'on vouloit leur oster par cruels tourmens?

Je sçay bien qu'il y a aucuns zélateurs de la patrie, cérimonieux et conscientieux, qui ont tenu ceste proposition que certainement ilz pouvoient esviter le danger préparé, et fuyr la fureur de la patrie et de la souveraineté irritée, qui ne dure pourtant pas toujours, et se tenir coy, et vivre en repos, et tenir les mains liées, afin de donner occasion à leur supériorité1 de s'appaiser et leur user après de clémence, voyant la débonnaireté de leur doux naturel et paisibles actions. Vrayment, voylà de braves philosophes scrupuleux! Leurs fièvres quartaines! et cependant que je feray ainsy du sot et dù réformé, qui me nourrira? Au lieu qu'exposant mon espée au vent, elle me donne bien à manger, et une très-belle et bonne réputation; et, la tenant à l'abry et couverte d'un fourreau, je meurs de faim et vis comme une beste, sans gloire et sans honneur.

Qu'eust faict M. de Bourbon, s'il n'eust faict ce qu'il fit? Enfin il fust esté prisonnier, et luy eust-on faict son procès et couper la teste, comme on avoit faict au connestable de Sainct Paul, et déshonnoré pour jamais, et luy et les siens au lieu qu'il est mort

1. Supériorité, supérieur. Brantôme emploie ce mot comme plus haut il a usé du mot souveraineté dans le sens de souverain.

très-glorieux, si jamais grand mourut, ayant vengé ses injures et offenses, pris son roy en battaille rangée, qui le vouloit faire mourir; et fut bien receu, et trouva des courtoisies aux pays estrangers, que le sien propre luy avoit desnyées. En quoy est bien vray ce qu'on disoit anciennement :

Omne solum forti patria est, ut piscibus æquor 1.

c'est-à-dire « Toute terre est terre, et tout pays est pays, et pareil et tel, à un homme généreux, comme toute mer l'est aux poissons. >>

Ces exemples pourtant que je viens d'alléguer, ce n'est pas pour une maxime que je veuille tenir qu'à chaque coup on doive estre ingrat à sa patrie et à ses supérieurs, et se révolter pour la moindre mousche qui leur vole devant le nez. Mais il faut meurement songer et considérer les occasions et les subjects, et faire comme fit le feu prince de Condé, Charles' de Bourbon, tué à la battaille de Jarnac, lequel, lorsqu'il cuyda estre attrapé dans sa maison de Noyers, que M. de Tavannes disoit tenir la beste dans les toiles', et ne restoit qu'à la lancer et la prendre, il se sauva à grandes traittes avec toute sa famille, se retirant tant qu'il pouvoit, et sans s'arrester à La Rochelle; et là commença à tourner teste et prit les armes; et, pour sa deffense, il disoit que tant qu'il avoit peu, et qu'il avoit trouvé terre, il avoit fuy; mais, ayant trouvé la mer, et ne la pouvant traver

1. Ovide, Fastes, liv. I, vers 15.

2. Louis et non Charles. Voyez tome V, p. 115. 3. Voyez tome V, p. 115.

ser ny nager comme les poissons, il avoit esté contrainct de s'arrester, de peur de se noyer passant plus outre, et se revirer au mieux qu'il put. Il eust bien mieux valu possible qu'il n'eust tenté l'hazard, et se fust embarqué et tiré plus outre, car il ne fust pas esté tué six mois après, comme il fut. Bienheureux sont aucuns qui peuvent patienter en ces choses-là, et d'autres bien malheureux sont-ilz aussy.

C'est assez parlé de ces ingratitudes, parlons un peu de recognoissances, et comme elles sont plus louables. J'ay ouy raconter à une personne grande que le grand roy François, grand certes en tout, ne fut point si rigoureux, ny ne voulut point tant de mal, comme l'on diroit bien, aux serviteurs de M. de Bourbon qui le suivirent hors de France en son adversité. Quand on les luy amenoit pris, ainsy qu'ilz passoient pays pour suivre leur maistre, il les interrogeoit simplement où ilz alloient, et, après leurs responses, qu'ilz suivoient leur maistre, sans autrement s'estomaquer, il disoit à ceux qui les avoient pris, ou bien à d'autres qui crioient Tolle, tolle, crucifige! (comme il y en a tousjours de telles gens, et s'en trouvent assez pour faire de bons valets): « Ce « seroit charge de faire mal à ces pauvres gens; ce sont << pauvres serviteurs et officiers de leur maistre, qui «<les nourrit très-bien; ilz le vont trouver pour vi« vre; que s'ilz l'abandonnoient, ilz mourroient de << faim ailleurs : moy-mesme ne leur en donnerois « pas, n'en estant la raison, ny aussy pour l'oster aux « miens pour le donner à eux. Parquoy, qu'ilz se retirent; ilz sont à louer pour leur loyauté. » Et par ainsy, se fondant sur de très-bonnes raisons, il

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n'exerça que peu de rigueurs de justice envers eux, ny mesmes envers les plus coupables, ny les plus grands, auxquels il pardonna, comme au seigneur de Sainct-Vallier, estant sur l'eschaffaut, et de La Vauguyon' et Louys d'Ars.

Qui plus est, il s'en servit d'aucuns, comme il fit de M. de Pomperant, lequel estoit tenu grandement à M. de Bourbon, à cause qu'il avoit tué à Amboise le seigneur de Chissay, l'un des gallands et mignons de la cour'. Et ainsy que ledict Pomperant fut cherché partout, n'estant bon à donner aux chiens, pour la hayne que luy portoient le roy et les seigneurs et dames de la cour, à cause de ce meurtre, M. de Bourbon le recéla dans son logis (car lors les logis des grands princes estoient sacrez) et le fit esvader secrettement, si bien qu'on n'en entendit plus parler, sinon au bout de quelque temps, qu'il fallut à M. de Bourbon luy-mesme s'esvader et s'enfuyr de France. Ledict seigneur de Pomperant le servit et le seconda si bien, qu'il le sauva hors de France heureusement par sa vaillance, résolution et prévoyance, ainsi que le récite très-bien M. du Bellay en ses Mémoires; si que, possible, sans luy M. de Bourbon eust couru une très-grande fortune. Et par ainsy, luy, brave et généreux, recognut le bien de sa vie à l'endroict de son bienfacteur par un service signalé, avec plusieurs autres, ne l'abandonnant jamais en ses guerres et adversitez. Après la battaille de Pavie,

1. François des Cars, seigneur de la Vauguyon. 2. Voyez tome I, p. 255–256.

3. Voyez du Bellay, année 1523.

VII - 16

le roy ayant cognu et esprouvé sa grande loyauté après l'avoir envoyé deux fois en Espaigne pour sa prison vers l'empereur, M. de Bourbon vivant pourtant, le roy le prit en grâce et en son service, le remit en ses biens et luy donna honneurs et grades; car il le pourveut d'une compaignie d'hommes d'armes, de laquelle il s'acquitta très-honnorablement et vaillamment au royaume de Naples, où il mourut en servant son roy loyaument, et aussy fidèlement en portant la croix blanche comme il avoit faict M. de Bourbon portant la croix rouge.

Voilà l'humeur de ce grand roy de se servir d'un tel serviteur, si plein de gratitude et si recognoissant. Il n'en fit pas de mesmes à l'endroict d'un serviteur dudict M. de Bourbon, chéry et très-aymé et favory de son maistre; je ne le nommeray point'. Il estoit père d'un grand d'aujourd'huy, et qui a un bon grade en France. Cestuy serviteur, et son premier valet de chambre, sçachant tous les secrets de son maistre, d'autant qu'il se fioit en luy comme en Dieu, alla descouvrir au roy toutes les menées et manigances de son maistre de poinct en poinct, en luy monstrant le double de tous ses mémoires et instructions; de telle façon que, si le roy n'eust esté bon et sage roy, il mettoit la teste de son maistre sur un eschaffaut mais le roy le voulut gaigner par douceur, comme il fit à Chantelle, lorsqu'il luy parla à son lict, faisant du malade. Certainement du pre

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1. C'est Jacques I, sire de Matignon, pannetier de François 1er, mort en 1537. Il fut père de Jacques II, sire de Matignon, maréchal de France.

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