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EPISODES DE LA RÉVOLUTION.

On a considérablement écrit sur la révolution de 1789. On a d'abord mis en lumière les faits généraux ; on a ensuite recherché les faits locaux et les faits particuliers; mais le sujet comporte de telles proportions qu'il est loin d'être épuisé. Pour ce qui regarde Soissons et ses environs, de nombreux épisodes sont encore ignorés et sont dignes de publication. — J'en ai, pour ma part, recueilli quelques-uns que je vais, dans cette séance, avoir l'honneur de lire à la société historique, et je me propose d'en mettre plusieurs autres à sa disposition, lors de réunions ultérieures.

I.

SUPPRESSION DE SYMBOLES ET COSTUMES
RELIGIEUX.

Dans la collection des lois qui étaient en vigueur sous la révolution française, on rencontre, à la date du 13-19 février 1790, un décret qui prohibe les vœux monastiques de l'un et de l'autre sexe. Or, cette prohibition, confirmée par la constitution de 1791, était en quelque sorte le prologue des mesures révolutionnaires qui devaient frapper les religieux, et, après eux, la religion et ses emblèmes. En effet, au mois d'avril 1792, un décret supprimait tout costume ecclésiastique et toute congrégation d'hommes et de femmes; puis, en novembre 1793, la convention décrétait que le culte catholique serait remplacé par le culte de la raison.

En ce qui concerne le clergé de Soissons, ce qui se passa d'affreux dans ces temps de trouble et de tourmente ne fut heureusement pas accompagné d'effusion de sang. Cela est précisé par des souvenirs qui se sont successivement transmis et par les deux plus récentes Histoires de Soissons.

Mais voici deux faits dont personne n'a parlé et qui me semblent de nature à être cités.

Il y avait à Soissons, en 1791, plusieurs paroisses et de nombreuses communautés.

Les ecclésiastiques et religieux ayant été congédiés ou expulsés, en vertu de lois nouvelles, on s'en prit à leurs établissements. Ainsi, aux mois de mai et juin 1791, des croix et des coqs symboliques surmontaient les clochers des églises ou chapelles, forcément abandonnées, de Saint-Crépin-en-Chaie, des Capucins, de Saint-Jean, de Saint-Jacques, de Saint-Paul, de SaintLaurent et de Saint-Médard. Ces symboles parurent inutiles, le culte catholique n'étant plus célébré à leur abri et l'esprit du jour les repoussant. Dès lors le directoire du district de Soissons, qui avait pour président M. Letellier, et pour procureur syndic M. Fiquet, donna l'ordre à un nommé Clavière, couvreur, de les descendre, de les supprimer.

Clavière commença (j'ai son mémoire de travaux sous les yeux) le 26 mai, par Saint-Crépin, et avait pour compagnons un nommé Caillet et un nommé Merrieux. Tous trois passèrent chacun deux jours à cette étrange besogne, et le salaire s'éleva, pour lui, à douze livres et, pour chacun des deux autres, à quatre livres.

Il continua, le 28, au même prix, par les Capucins, assisté des mêmes manoeuvres, et, de plus, d'un nommé Leroux.

Il se trouva à Saint-Jean et à Saint-Jacques le 30 et le 31 mai, ainsi que le 1er et le 3 juin; il avait encore

pour acolytes Caillet, Merrieux, Leroux, et il s'était aussi adjoint un nommé Prudhomme.

Les 4, 6 et 7 juin on le voyait à Saint-Paul avec Merrieux et Caillet.

Les 8, 9, 10 et 11 du même mois il arrivait à SaintLaurent et à Saint-Médard avec Merrieux, Leroux et Caillet. Il terminait par Saint-Médard les 20, 21, 22, 27 et 28 juin, en la même Société, augmentée toutefois d'un appelé Picard. Et là une pièce de bois, s'échappant du beffroi, brisait une échelle de vingt-quatre pieds.

Grâce au mémoire que je décris et qui est une des rares pièces qui constituent le fonds des archives de la ville de Soissons, nous apprenons aussi que des voituriers ont été employés au transport des outils nécessaires et au transport des emblêmes qu'on démontait ou qu'on abattait par ordre.

Et ce qui met le comble à ce qu'on peut appeler l'indiscrétion de ce mémoire Clavière, c'est qu'il nous révèle également que, pendant le cours des travaux, on a bu, au compte du directoire du district, soixante-dixsept bouteilles de vin à neuf sols.

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Je dis soixante-dix-sept bouteilles, et en cela je suis d'accord avec la dernière ligne d'écriture du mémoire; mais une plume rectificative est intervenue en ladite pièce et y a écrit ceci : « Au lieu de 77, il n'y a que 52 bouteilles, le vin ayant été supprimé le 11 juin. Puis, la mêine main a fait le décompte des journées de chaque ouvrier, pour ne pas dire de chaque vandale, et ensuite, dans un état récapitulatif joint au mémoire, a converti le vin (qui n'est sans doute pas avouable dans la comptabilité du directoire) en journées censées faites par Clavière, Leroux, Prudhomme et Picard; de sorte que le travail effectué pour la descente des croix et des coqs des églises d'où le culte

avait été supprimé, se traduit par le chiffre total de 264 livres.

Comment cette dépense a-t-elle été payée? Le voici : On remarque sur la pièce récapitulative qui est annexée au mémoire de Clavière, la mention d'un à-compte de 46 livres que ce dernier reçut le 11 juin 1791. Et, à l'égard du surplus, un arrêté pris en séance par le directoire du district de Soissons, à la date du 10 juillet 1791, nous indique que le couvreur est autorisé à toucher du receveur du district, qui s'appelait Thomas, « la somme de 218 livres, faisant, avec 46 livres qu'il a touchées le 11 juin, celle de 264 livres qui lui revient, tant pour les dix-huit journées par lui employées, que le directoire taxe à six livres par jour, que pour frais de transport d'équipages, frais de cordage et d'une échelle de vingt-quatre pieds, cassée; laquelle somme sera réintégrée en la caisse du sieur receveur, lors de la vente des différents effets enlevés dans les églises et communautés supprimées. »

J'ai indiqué, en commençant, le décret de 1792 qui supprimait, en même temps que chaque congrégation religieuse, tout costume ecclésiastique. On va voir maintenant comment l'administration municipale du canton de Bucy-le-Long, administration qui fit aussi bel et bien abattre les emblêmes religieux de son enclave, mit à exécution ce décret révolutionnaire.

Les sœurs de l'Enfant-Jésus, communauté établie à Soissons en 1714 et confirmée par lettres patentes du 28 février 1727, furent dispersées par la révolution de 1789. Deux au moins se réfugièrent à Bucy: Mme Rettéré et Mme Lollier.

Le président de l'administration de Bucy était un nommé Cullot. Le commissaire du directoire exécutif était le citoyen Cahier, « notaire public à Bucy. »

L'agent de cette commune s'appelait Lacaille. Son adjoint se nommait Lambin.

Dans la séance du 18 pluviose an IV de la république (7 février 1796) le commissaire du directoire exécutif prit la parole. Il dénonça la conduite de deux anciennes religieuses de l'Enfant-Jésus, Mesdames Rettéré et Lollier, mais surtout de celle dont je veux parler plus particulièrement, Mme Rettéré. Et voici en quel français la chose fut consignée sur un registre de délibérations :

« Le commissaire a dénoncé à l'assemblée une cidevant sœur de l'Enfant-Jésus, tenant dans cette commune un pensionnat de filles, qui, au mépris des lois qui défendent expressément de paraître en public sous aucun costume religieux, affectant les jours de grande fête du culte catholique de se revêtir de l'habit de sa ci-devant communauté et de paraître ainsi en public. Que notamment le jour de la fête dite de la Purification, elle était allée à l'église revêtue de ce costume; qu'une telle conduite est très-repréhensible de la part d'une personne chargée de l'éducation de la jeunesse, en ce qu'elle indique le regret qu'elle a de la suppression des ordres religieux à laquelle tout bon républicain doit applaudir. Que tolérer une telle conduite serait laisser croire au peuple de cette commune à la résurrection de ces ordres. Que le fanatisme a déjà assez d'empire sur certains habitants de cette commune, sans lui donner un nouvel aliment.

« En conséquence, le commissaire du directoire exécutif a requis que la ci-devant soeur soit dénoncée au tribunal correctionnel, pour être informé contre elle, et la peine prononcée par la loi lui être appliquée.

« L'administration, délibérant sur le présent réquisitoire, voulant bien, pour cette fois seulement et sans tirer à conséquence, ne pas appliquer à la ci-devant sœur toute la rigueur de la loi.

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