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ROUX DE CORSE

OU

NOTICE HISTORIQUE ET BIOGRAPHIQUE

SUR

GEORGE DE ROUX

Marquis de Brue

NÉGOCIANT ET ARMATEUR MARSEILLAIS

(1703-1792)

PAR

M, A, SAUREL

Lorsqu'on récapitule de sang-froid la biographie des hommes illustres qu'a produits un pays, on ne peut s'empêcher de remarquer qu'en tête des hommes dont le nom est le plus connu et dont les mérites sont le plus vantés, se trouvent ceux qui ont vécu ou qui moururent au milieu des luttes sanglantes.

Les savants auxquels on doit les découvertes les plus utiles, les philosophes qui ont élaboré des traités propres à rendre nos semblables meilleurs, les agronomes à qui le cultivateur doit les études le mieux raisonnées pour tirer du sol les plus abondantes récoltes, les voyageurs qui ont exploré et fait connaître les régions les plus éloignées, tous ou presque tous, littérateurs, astronomes, navigateurs, sont inconnus ou oubliés, tandis que les noms des généraux qui ont répandu des flots de sang et tué des milliers d'hommes sont répétés de bouche en bouche et transmis de génération en génération.

Tôt ou tard, j'aime à l'espérer, viendra le jour où les conquérants seront, comme le fut Attila, traités de fléaux de Dieu et où l'auréole de gloire qui entoure leur front sera placée autour de la tête de ceux qui moralisent les nations, les éclairent ou les font prospérer par les voies pacifiques.

Si des considérations générales je passe aux faits particuliers, ne suis-je pas en droit de faire ressortir l'ingratitude que Marseille, ville essentiellement maritime et commerciale, montre à l'égard d'un négociant-armateur qui, seul en quelque sorte, durant vingt ans, au milieu des circonstances les plus difficiles, malgré les guerres et les désastres qu'elles entraînent, maintint son commerce florissant, comme il aurait pu le faire en temps de paix, et lui conserva son antique supériorité ?

Si j'entreprends de raconter sommairement la vie de cet homme remarquable, à qui Marseille doit beaucoup, c'est que dans aucun temps peut-être et dans nulle autre contrée, on ne vit un négociant livré à ses propres ressources et seul responsable de ses spéculations, essayer tant de choses et arriver à de si grands résultats.

Ce type de négociant est le plus beau, le plus complet qu'on puisse présenter à des hommes qui vivent du commerce et je crois leur être utile en racontant, en peu de pages, ce que fit Roux de Corse et ce qui a subsisté de ses

œuvres.

I.

Le nom de Roux de Corse eut un retentissement dont l'écho est arrivé à peine à l'oreille de nos contemporains et c'est cette qualification impropre, mais généralement acceptée, que l'on doit employer même aujourd'hui quand il s'agit d'appeler l'attention sur George de Roux, marquis

de Brue, celui-là même dont je vais retracer la biographie. Comment se fait-il que George ait conservé si longtemps le surnom de Corse, bien que sa famille fùt originaire de l'Archipel ? Rien ne le dit positivement, mais la raison paraîtra toute naturelle si les choses se passaient alors comme elles se passent aujourd'hui. Ne voyons-nous pas des familles portant le même nom que d'autres avec lesquelles elles ne sont unies par aucun lien de parenté, accepter ou rechercher même le surnom de la contrée, de l'île, de la côte que leurs navires fréquentent le plus assidûment?

Il n'est donc pas absurde d'admettre que Jean-François Roux, père de George, avait entretenu avec la Corse des relations commerciales suivies et que c'est justement par suite de la notoriété qu'il avait acquise à ce sujet, que les armateurs et les négociants, ses amis plutôt que ses concurrents, lui décernèrent ce nom qui devait le faire distinguer de ses homonymes.

Cette conclusion me paraît d'autant plus rationnelle que dans les lettres de naturalisation, dont je transcris le passage essentiel, on spécifie que l'importance de ses opérations commerciales ne saurait être mise en doute: Ces lettres sont datées de Marly, mai 1714 (1). «Louis, par la grâce de Dieu, roi de France et de Na« varre, comte de Provence, Forcalquier et terres adja<< centes, à tous présents et à venir, salut. Notre bien-aimé Jean-François Roux, originaire de l'île de Tino, dans l'Archipel, fils d'André Roux et de Catherine Vitalis, son « père et mère, faisant profession de la religion catholi« que, apostolique et romaine, nous a fait remonstrer que « depuis plusieurs années, il a trafiqué et navigué sur « divers bâtiments français et qu'il désirerait s'habituer

(1) Archives de la Ville.

en notre royaume et ville de Marseille et de Toulon et « y vivre comme un de nos vrais et originaires sujets, en << continuant sa navigation et commerce maritime, sous «la bannière de la France, ainsi que font nos autres su

jets, nous suppliant de lui accorder nos lettres de natio«nalité à ce nécessaires. A ces causes, voulant favorable<<ment traiter le dit Roux de notre grâce spéciale, pleine « puissance et autorité royale, nous l'avons reconnu, « censé, tenu et réputé, par ces présentes signées de notre << main, pour notre vrai et naturel sujet et regnicole, etc. »

Il faut croire que Jean-François Roux faisait remonter d'un peu haut l'origine de sa famille, car dans un acte postérieur on se contente de rappeler que la famille Roux était originaire de Naples.

Pour en revenir une dernière fois sur cette dénomination de Corse attachée à la famille Roux, il me convient de répéter la supposition que j'ai entendu émettre et qui a bien quelques semblants de vérité.

Dans cette partie de la population marseillaise qu'on nomme le peuple, longtemps les Italiens pris en masse furent appelés Corses, de la même façon qu'ils furent désignés plus tard sous le nom générique de Napolitains, et que de nos jours encore ils sont qualifiés de Piémontais.

La famille Roux étant originaire de Naples, n'était-il pas naturel qu'elle fût classée dans cette grande catégorie des Corses ou Corsois dans laquelle tous les Italiens étaient rangés ?

Au résultat cette question est assez secondaire et s'il ne m'est guère possible de la résoudre complètement, je puis prouver que je suis mieux renseigné sur le mérite personnel de Jean-François Roux et sur les services qu'il rendit à l'État comme marin, car je lis dans une charte royale datée du mois de février 1750:

« Nous sommes résolus de marquer l'estime siugulière

• que nous faisons de la personne et des mérites de Jean

François Roux qui a été un de nos secrétaires près la << dite Cour et capitaine de vaisseaux pendant la guerre du « feu roi, notre très honoré seigneur et bisaïeul. Il donna << divers combats navals, prit ou brûla plusieurs vaisscaux « ennemis et fut souvent blessé dangereusement. >>

C'est probablement à la suite de ces fatigues qu'il fut fait chevalier de Saint-Michel, mais je ne saurais en préciser la date.

On pourrait plus hardiment avancer quelques suppositions sur le degré de prospérité qu'atteignirent ses affaires, car tout porte à croire qu'elles furent florissantes et qu'il était fort riche lorsqu'il les abandonna, laissant entre les mains de ses deux fils la suite de toutes ses opérations commerciales. Ces deux fils, André et George, il les avait eus de son mariage avec Catherine Franceschi.

Il importe médiocrement de savoir à quel âge mourut André, car ce n'est que par quelques lignes de deux mémoires de procureur que son existence nous est révélée.

« Le père (de M. George de Roux), dit le premier de ces mémoires, son frère et lui sont les négociants de Marseille qui ont fait construire les plus beaux vaisseaux et en plus grand nombre.

«M. George de Roux, dit l'autre mémoire, devait encore (en 1773) à la dame veuve Roux, sa belle-sœur, une pension viagère de 6,000 livres (1). »

Quant à Jean-François Roux, sur ses vieux jours, il fut pensionné par l'État et nommé secrétaire d'État de la Cour des Comptes de Provence, et se retirant en quelque sorte du monde, il s'occupa spécialement de bonnes œuvres.

Lorsqu'il mourut, le 24 avril 1738, les capucins, dont il avait été le bienfaiteur; lui firent un de ces enterrements

(1) Mémoires à consulter, page 7.

TOM. XXXII

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