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comme tenancier1. Eustache, seigneur de Conflans, donne la liberté à Robert de Besil et lui concède un fief libre: Robert devient ainsi l'arrière-vassal du comte de Champagne.

Certaines fonctions confèrent aussi la noblesse à leur titulaire. La plupart des sergents et des prévôts des comtes de Champagne sont d'origine servile: tel est Hatton de Broyes, sergent de Blanche en 1206, et qui appartenait à une famille de serfs de la maison de Broyes; tel, Jean de Bernay, qui épouse, en 1222, Mathilde, demoiselle de Blanche de Navarre 3. Ces sergents et ces prévôts forment déjà une classe de fonctionnaires qui confine à l'aristocratie.

Ces cas sont, il est vrai, exceptionnels, mais ils contribuent à surexciter l'ambition des classes serviles. Les paysans, qui sortent déjà des bornes étroites de la villa, qui se rapprochent les uns des autres et forment comme de petites communautés, sont mûrs, soit pour entrer dans les villes neuves et les communes qui se sont déjà constituées, soit pour former de nouveaux groupes libres. Souvent même les seigneurs favorisent ce mouvement d'émancipation; en tout cas, ils ne sauraient l'arrêter. Les comtes de Champagne, comme tous les grands seigneurs, contribuent à ce progrès des classes populaires, sinon sur leurs domaines, au moins sur les terres de leurs vassaux.

Les serfs, qui, au xr° siècle, étaient rivés à la terre qu'ils cultivaient, qu'aucune garantie ne protégeait contre l'exploitation arbitraire du maître, ont presque tous obtenu l'affranchissement à la fin du XIIIe siècle : ils échappent à la taille arbitraire, aux droits les plus vexatoires; ils forment déjà des groupes compacts, ils tendent à s'élever à une condition supérieure, ils se précipitent vers les villes neuves et les communes, ils collaborent à la création de cette classe bourgeoise qui doit un jour absorber les ordres privilégiés. Henri SÉE.

1. Cinq Cents de Colbert, t. LVIII, fol. 205 et suiv. 2. Acte de 1258, Ibid., fol. 54 et 55 : « ... Sciendum quod ego franchivi dictum Robertum et heredes ipsius de corpore Mariae quondam uxoris sue procreatos, ita quod dictus Robertus mihi serviet per unum mensem in anno, tanquam de libero feodo..., nec ipsum ultra dictum servitium possum cogere ad aliud servitium mihi faciendum..., et sciendum quod dictum feodum idem Robertus et heredes sui tenent a nobis tanquam feodum liberum, et quicquid Robertus tenebat in compositione presentium erat de feodo nostro. »>

3. D'Arbois de Jubainville, op. cit., t. IV, p. 551 et suiv.

SAINT-CYR ET LA BEAUMELLE

D'APRÈS DES DOCUMENTS INÉDITS1.

La Beaumelle a laissé dans sa famille un souvenir très différent de la légende qui s'est formée pour nous autour de son nom. Il n'a pas été le moins du monde l'écrivain mercenaire que la tradition nous montre, vivant, à la façon de Desfontaines et de Fréron, du produit de ses pamphlets. Il était bien né, bien élevé; il connut de bonne heure l'aisance et plus tard la fortune; il devint, après son mariage, possesseur de terres et de fiefs qui firent de lui une sorte de gentilhomme; il exerçait des droits seigneuriaux sur la petite ville du Carlat et pouvait signer baron du Carlat, comme Voltaire signait comte de Tournay. Ajoutons qu'il fut toute sa vie honoré d'amitiés illustres.

Ses petits-neveux habitent encore, près de Valleraugue, la maison patrimoniale des Angliviels, toute remplie de ses meubles, de ses livres, de ses papiers. Ceux-ci, classés, étiquetés comme des minutes de notaire, forment une des collections les plus curieuses qui se puissent voir. On y trouve deux séries très distinctes et inégalement importantes de documents d'abord, les manuscrits mêmes des principaux ouvrages de La Beaumelle, avec une partie seulement des notes, mémoires, pièces originales, etc., qui ont servi à les composer, l'autre partie ayant, par malheur, été détruite, il y a quelques années, dans un incendie; — en second lieu, les lettres de toute provenance reçues par lui depuis sa sortie du collège jusqu'à sa mort. On a là, outre les éléments complets d'une autobiographie, toute une mine de renseignements très sûrs pour l'histoire littéraire du siècle dernier. Il suffit de jeter les yeux sur ces lettres d'origine et d'aspect si divers, dont quelques-unes même ne sont pas des plus favorables à l'intéressé, et qui toutes portent, soit l'estampille de la poste, soit un cachet de cire aux

1. Cet article est extrait d'un ouvrage qui doit paraître prochainement.

armes du correspondant, pour être convaincu de leur parfaite authenticité.

Deux correspondances dans cette collection sont particulièrement précieuses: celle de Mme de Louvigny, religieuse de la maison de Saint-Louis à Saint-Cyr, entièrement relative à la préparation des Mémoires sur Mme de Maintenon et à la publication de ses Lettres; et celle de La Condamine, l'ami de tous les temps, l'ami le plus dévoué de La Beaumelle. Viennent ensuite quelques lettres ou billets de Montesquieu; d'autres, en plus ou moins grand nombre, de la duchesse d'Aiguillon, du comte de Caylus, de Pierre Clément (l'auteur des Cinq Années littéraires), du marquis de Bélesta, du marquis de Creil (gouverneur de Thionville), de l'abbé de la Chau (bibliothécaire du duc d'Orléans), de Fréron, du cardinal Passionei, du comte de Stainville, du comte de Tressan, du duc et de la duchesse d'Uzès, de Baculard d'Arnaud, de Caraccioli, du comte d'Arnim, de la comtesse de Bentinck, de Lauraguais, de l'abbé Trublet, du savant genevois Baulacre, du pasteur Paul Rabaut, etc., etc.

M. Angliviel de la Beaumelle, ancien maire de Valleraugue, ancien conseiller général du Gard, et ses fils, MM. Armand et Léon Angliviel de la Beaumelle, le premier notaire à Bordeaux, le second avocat à Versailles, ont bien voulu mettre à notre disposition, sans en rien réserver, toutes les pièces de ce chartrier de famille qu'on avait cru devoir jusqu'ici tenir soigneusement fermé. Notre gratitude pour une confiance si entière et si exceptionnelle est d'autant plus grande qu'on nous l'a accordée sans condition d'aucune sorte. Nous conservons notre pleine liberté d'appréciation et de discussion. Il est d'ailleurs trop évident qu'on ne nous eût point permis de faire usage de ces documents s'il eût dû en résulter pour la réputation de La Beaumelle un dommage quel

conque.

Aussi bien, cette réputation, au point où en sont les choses, n'avait plus guère de risques à courir. Nul auteur, croyons-nous, n'a été plus maltraité que celui-ci par la critique et par l'histoire. Aujourd'hui encore il ne se fait pas à la Sorbonne, ou dans nos Facultés, ou même dans les Universités étrangères, une leçon de littérature sur le xvir siècle français, sans que le nom de La Beaumelle, lorsqu'il y est prononcé, ne soit accompagné des épithètes les plus malsonnantes. « C'est un arrangeur, répète-t-on sans cesse, un fabricateur de documents historiques. Il a la manie

des sophistications; il a le triste génie de la supercherie littéraire... Enfin, de même qu'on dit un Varillas pour exprimer d'un mot un historien décrié à qui l'on ne peut se fier, de même (c'est Sainte-Beuve qui parle) on continuera plus que jamais à dire un La Beaumelle pour exprimer l'éditeur infidèle par excellence. » Il est nécessaire de rappeler que ces dures paroles du maître de la critique moderne ont été prononcées à la suite d'une dénonciation de M. Feuillet de Conches, ce qui en atténue singulièrement la gravité. Mais il n'importe : Sainte-Beuve ne faisait que confirmer l'opinion commune, et les expressions dont il se servait étaient, déjà alors, presque des clichés.

La Beaumelle s'est fait parmi ses contemporains beaucoup d'ennemis. Il s'en est fait plus encore peut-être dans la postérité. Il a eu contre lui, de son vivant, la haine implacable de Voltaire, qui, dès longtemps, a habitué le public à entendre sur son compte les accusations les plus infamantes comme aussi les moins fondées. Il a eu contre lui, plus tard, les admirateurs passionnés de Mme de Maintenon, nous dirions volontiers ses dévots, s'il ne s'agissait ici d'hommes pour la plupart éminents dont nous respectons profondément la compétence et le caractère. Ils l'ont accusé sans preuves suffisantes, selon nous, d'avoir, dans ses Mémoires sur la vie de Mme de Maintenon et dans le recueil qu'il a publié de ses Lettres, altéré les traits de leur héroïne, faussé sa pensée et son style, donné d'elle au public une idée entièrement différente et fort au-dessous de la réalité.

Certes, La Beaumelle a mal compris ses devoirs d'éditeur; il a été systématiquement inexact; il a manqué de goût; il a outrẻ les licences que prenaient de son temps et qu'avaient prises avant lui les éditeurs de correspondances et de mémoires (Port-Royal avec Pascal, Perrin avec Mme de Sévigné, Bret avec Ninon de Lenclos). Mais, s'il a eu le tort impardonnable de tronquer, d'arranger, de remanier les textes, il ne les fabriquait pas de toutes pièces, comme l'en ont accusé le duc de Noailles, Lavallée et après eux tous les historiens et tous les critiques contemporains. Beaucoup de faits, beaucoup de traits, des lettres entières attribuées par lui à Mme de Maintenon et que les nouveaux éditeurs n'ont pas voulu admettre parce qu'ils ne pouvaient en vérifier l'authenticité, sont très authentiques cependant. La Beaumelle les tenait pour la plupart de Saint-Cyr.

Le personnage de Mme de Maintenon en devient peut-être un

peu moins imposant; l'unité de cette belle vie en est un peu dérangée; mais, sans nous exagérer d'ailleurs l'importance de ces restitutions, il nous paraît juste que La Beaumelle reprenne ce qu'on lui a mal à propos enlevé; ce sera une satisfaction légitime donnée à ses descendants; Mme de Maintenon n'y perdra pas grand'chose, et la vérité historique y gagnera.

I.

Laurent Angliviel naquit à Valleraugue, dans les Cévennes, au cœur du pays huguenot, le 28 janvier 1726. Fils de réformé, il reçut des mains du curé de sa paroisse le baptême catholique obligatoire, et, dès qu'il eut huit ans, une lettre de cachet l'envoya au collège des Jésuites à Alais. Il n'en fut pas chassé, comme l'a prétendu Voltaire, qui nous le montre préludant par de petites friponneries à tous les crimes imaginaires dont il se plaira à l'accuser plus tard. Il y fit au contraire des études très brillantes et y laissa d'excellents souvenirs. Ses professeurs, l'abbé de Vammale, l'abbé Bouge, le chanoine Lavie, entretinrent avec lui une longue et amicale correspondance. On lisait ses lettres comme des modèles aux élèves de rhétorique; on se tenait au courant de ses succès littéraires; il était le grand homme du collège.

Après avoir accepté avec docilité l'enseignement religieux des Jésuites, il adopta, sitôt qu'il fut libre, les croyances de sa famille, et voulut même, dans la première ardeur de sa conversion, se consacrer au saint ministère. Il fit une retraite de quelques mois au Désert, puis alla à Genève étudier la théologie. Il y passa environ deux ans. Il remplit au Temple-Neuf les fonctions de lecteur, composa et débita quelques propositions et quelques sermons, publia dans le Journal de Neuchâtel un travail sur les Assemblées des Réformés et traduisit le Catéchisme d'Osterwald; déjà de ses premières méditations au Désert était sorti un petit ouvrage intitulé: le Déiste devenu protestant. Tout chez lui aboutissait à la littérature.

Il sentit bientôt que la vocation apostolique lui manquait et chercha à se faire ailleurs une carrière.

Dans un séjour à la campagne chez M. de Budé, il avait été présenté à un gentilhomme danois qui cherchait un précepteur pour le fils du comte de Gram, grand chambellan et grand veneur du roi de Danemark. Il s'offrit et fut agréé. M. de Budé lui donna

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