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de l'État, sont également épars dans des manuscrits errant çà et là en une multitude de boutiques, rivales des parapets de nos quais. Impossible donc de fureter à l'aise chez un libraire ou chez un bouquiniste. En vain les casiers regorgeraient-ils de richesses à faire pâmer un curieux de Paris, les officiers font un signe, et le marchand s'empresse de dire que tout est vendu ou bien incomplet. Impossible également de visiter les bibliothèques publiques, attendu, objectent les autorités japonaises, que nulle stipulation du traité n'oblige à les ouvrir. Le ministre des États-Unis demandait un jour à visiter l'Université de Yedo : « On pourrait peut-être vous la montrer, lui fut-il répondu, mais avant tout il faudrait que vous eussiez fait vos dévotions, à genoux, à la japonaise, devant la statue de Confucius, élevée au milieu de cet établissement.

A Yedo, la police proscrit avec rigueur les images qui pourraient ouvrir les yeux sur les actes du Taïkoun; mais plus tolérante pour celles qui touchent à la vie béate, passive et sensuelle du Mikado, elle souffre volontiers qu'on les expose à profusion. On dirait qu'on éprouve quelque satisfaction secrète à le laisser représenter comme un fétiche noyé dans la mollesse, comme un meuble de luxe sans conséquence, entouré de ses trois premières femmes et de leurs suivantes. Peut-être, il est vrai, prend-on sa revanche à Miako, résidence du roi spirituel, et s'y rit-on un peu des allures hautaines et dégagées de la cour de Yedo. Un Japonais éclairé, de haut parentage, disait dernièrement en confidence à un voyageur, dans la ville d'Acodade, où, loin du centre, on jouit parfois de plus de liberté que dans la capitale :

Images proscrites au Japon.

Résumé.

« Le respect est à Miako, la crainte à Yedo. » Ce qui équivaut à dire : On se prosterne par momerie devant le Mikado, par terreur devant le Taïkoun. Malheur à qui traiterait avec légèreté le pouvoir de ce dernier!

Voilà comment le Japon est ouvert.

Que si les agents diplomatiques s'avisent de sortir sans les yacounines ou préposés à leur sécurité, la populace est là pour les accabler d'avanies (par ordre sans doute, car le peuple est naturellement bon et doux). En outre, les officiers des daïmios (c'est-à-dire des princes ou rois japonais), qui parcourent les rues en pourfendeurs avec deux sabres, barrent insolemment le passage aux étrangers et les rejettent dans les ruisseaux de la résidence diplomatique. Et la police proprement dite laisse faire, parce que les daïmios sont investis d'un pouvoir supérieur, sur lequel la police du Taïkoun luimême n'a pas d'action. En un mot, Yedo est bien la ville impériale, la ville aujourd'hui diplomatique; mais son pavé appartient aussi bien aux grands daïmios qu'à l'empereur, et l'étranger est un suspect pour tous.

En résumé, nous avons suivi les progrès de la civilisation chinoise dans son système graphique, dans sa passion pour la beauté de l'écriture, dans ses temples tapissés d'autographes, dans les habitations particulières émaillées de pancartes calligraphiques. Nous avons vu quelques caractères tracés d'une main impériale servir de récompense enviée à toute une vie de dévouement; et des éventails à autographes devenus des présents diplomatiques. Le sévère bureau d'his

toire, les confessions autographes impériales en temps de calamité, ont passé sous nos yeux, de même qu'un rapport politique de l'oncle de l'empereur sur les négociations des traités chinois avec l'Europe et l'Amérique. Nous avons étudié l'art ancien, les incrustations, les émaux, les porcelaines, dans l'Empire Céleste; nous avons vu les Missionnaires s'évertuer en vain à y naturaliser nos arts, et nous nous sommes convaincus que tout dégénère chez ce peuple enfant et vieilli, impropre à réfléchir et à prévoir. Il n'a rien appris de nous; nous n'avons rien appris de lui. Nous n'avons rien à en apprendre, si ce n'est dans l'exécution de quelques riches tissus, dans certains procédés de minutieuse adresse industrielle. Ne lui demandez donc pas au delà de ce que peuvent la patience et l'habileté de la main. Que sont en définitive ses jades si admirablement travaillés? Que sont ses émaux cloisonnés dont nous faisons si grand cas? Certes ce ne sont point des œuvres dont le procédé de génie pût prétendre à échapper au génie occidental: ce sont des œuvres de fabuleuse patience et de goût manuel, rien de plus. La seule difficulté serait de trouver en Europe des ouvriers assez dénués du côté de l'activité intellectuelle, assez peu exigeants sur les salaires pour donner cinq, dix, quinze années de leur vie à l'achèvement d'une œuvre purement mécanique.

Tout ce qu'il a su produire de plus beau se voit en échantillon à Dresde, au musée Japonais; à Leyde, dans la collection de M. Sieboldt; en France, au musée céramique de Sèvres, au musée du Louvre, ou dans les cabinets de M. le comte de Morny, de

M. Thiers, de M. le comte de Rougemont, de MM. d'Aigremont et de Férol. Ce sont des tribunes chinoises et japonaises dont les analogues ne se retrouveraient plus à la Chine même, aujourd'hui dépouillée de ses antiques, et qui rachète avidement ce que l'Europe consent à restituer à ses curieux. Chose bizarre, mais vraie! nous sommes redevables de presque tout ce que nous possédons de chinoiseries en France à deux causes essentiellement disparates : aux Missionnaires d'une part dans le dix-septième siècle, et de l'autre à l'influence de Voltaire sur le dix-huitième. Les Arabes, les Portugais, les Espagnols, les Hollandais, les Italiens avaient beaucoup tiré de la Chine et du Japon. Ce furent le roi Henri IV et quelques seigneurs de sa cour qui commencèrent nos richesses en ce genre, en commandant des services à leurs armes et des vases immenses dont on retrouve encore de temps à autre, dans les plus riches ventes, quelques magnifiques exemplaires. Louis XIV surtout et plu encore le grand Dauphin ont beaucoup accru nos conquêtes céramiques par l'entremise des Jésuites. Vint Voltaire, qui, à force d'opposer la chronologie chinoise à la chronologie biblique, mit la Chine à la mode; et les porcelaines, les bronzes, les émaux, les laques de l'Empire Céleste et du Japon inondèrent les salons, les cabinets et les boudoirs. En même temps que les Missionnaires faisaient peindre sur porcelaine des scènes bibliques, surtout de la Passion, la Hollande et la Compagnie française des Indes avaient fait reproduire des sujets de la mythologie, ou des bergers Watteau, ou les armoiries de tous les États et villes de l'Europe.

Il n'est pas jusqu'aux loges franc-maçonniques qui n'aient commandé des services emblématiques. La protection de Marie-Antoinette, initiée à ce goût des choses de l'Orient par les ducs de Choiseul et d'Aumont, attira chez nous les laques les plus merveilleux. Enfin tout ce qu'on avait pu conserver en ce genre avait été jeté par la tourmente révolutionnaire aux greniers et cachettes des revendeurs. C'est dans ces débris exhumés que nos connaisseurs ont puisé la meilleure part de leurs cabinets.

Quant aux échelles du Levant et de Barbarie, ne leur demandons plus de nombreux souvenirs de ces magnifiques comptoirs jadis entretenus à Canton par les Arabes. Le Musulman n'est pas conservateur : il n'est curieux que de calligraphie, et n'a pas l'idée d'un musée quelconque. En vain chercherait-on une seule porcelaine chinoise à Tanger, même à Fez ou à Maroc, résidences du sultan marocain, qui vit avec la même simplicité que ses sujets. On serait plus heureux dans les bazars du Caire, de Damas et de Constantinople. C'est en Perse surtout que s'est montrée jadis la céramique chinoise. Les mosaïques d'émaux, à inscriptions de lettres incrustées au dehors des édifices, sont d'origine arabe et sourient à tout l'Orient. Les plaques de faïence indigène qu'on y emploie sont une fête des yeux. Au Caire, une mosquée est toute revêtue de carreaux de terre émaillés de jaune, de noir et de bleu. Une autre mosquée à Kaswine, dans la Perse occidentale, n'est qu'une vaste boîte d'émail, fond bleu à ramages jaunes semés de noir, courant et s'enroulant de haut en bas sur toute la surface. Les grandes mosquées antiques de Samar

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