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gueil, l'amour, la coutume, n'ont que trop fréquemment
détruit toute mesure, tout équilibre d'idées et de bon
sens. Artémise buvait par tendresse une eau saturée
des cendres de son mari mêlées de perles pilées. Un
amant de nos jours sentait palpiter sous ses lèvres une
coupe de pâte tendre de Sèvres qu'il avait fait pétrir
avec la cendre des cheveux de sa maîtresse. « Il
Il y a,
écrivait Diderot, il y a dans un endroit écarté du
de Saint-James (à Londres), un étang dont les femmes
ont le privilége exclusif: c'est là qu'elles vont se
noyer (1). » Les Feuillants de la primitive réforme se
croyaient plus saints parce qu'ils s'imposaient l'horreur
de boire dans des crânes humains. En 1751, les belles
marquises se jouaient, entre leurs galanteries et leurs
soupers, avec des têtes de mort. Elles en avaient chez,
elles qu'elles paraient de rubans et de cornettes, qu'elles
illuminaient de lampes ou de bougies de couleur, et
devant lesquelles elles restaient une demi-heure en
méditation avant la promenade ou la comédie. La ver-
tueuse reine Marie Leczinska avait la sienne qu'elle
appelait la belle mignonne et prétendait être la tête de
Ninon de Lenclos (2). Ainsi l'Égyptien, qui avait tant
contribué à corrompre les mœurs romaines, l'Égyp-
tien dont la moitié de la vie n'était qu'une pompe
funèbre, se jouait coquettement avec ses momies, et
avait instruit le Romain à déployer, au milieu des or-

Têtes de morts
coiffées
de cornettes.

(1) Mémoires, correspondance et ouvrages inédits de Diderot. Paris, Garnier frères, 1841, in-18, t. II, p. 24. Lettres à mademoiselle Voland. Lettre XCIII, 6 octobre 1765.

(2) Mémoires du marquis D'ARGENSON. Jannet, 1858, t. IV, pp. 55 et 56.

Le pape

gies, un squelette d'argent articulé, en chantant au bruit des verres :

« Voilà ce que nous serons tous un jour, quand le noir Achéron nous aura emportés;

>> Jouissons donc de la vie, tandis qu'il est temps encore d'en jouir (1). »

Ainsi le pape Alexandre VII avait fait mettre un cerAlexandre VII cueil au-dessous de son lit, pour s'habituer aux images de la mort. Encore quelques jours, et son œil s'assoupissait indifférent devant ce meuble funèbre, et un luxe sans bornes faisait place chez lui à son austérité première.

Personnages dont

Les guerriers chinois avalent de la gelée de tigre on a mangé. pour se donner du courage. D'anciens barbares mangeaient leurs parents par piété. La rage politique a broyé sous sa dent les chairs de ses victimes.

Le maréchal duc

La passion accusa Catherine de Médicis de sacrifices de Richelieu. humains; Leonora Galigaï, de magie; le duc, depuis maréchal de Richelieu, de sacrifices pareils à ceux de Catherine. Brouiller les maris avec leurs femmes, les amants avec leurs maîtresses, et se mettre à leur place; tour à tour insinuant et fat, humble et insolent, mais toujours maître de sa personne, faire marcher de front vingt intrigues à la fois et les dénouer par la séduction, la débauche et l'abandon, surtout par l'éclat et par le scandale; tromper, désespérer, sacrifier autant de femmes qu'il en essayait et feignait d'en aimer, tels sont les seuls sacrifices humains que Richelieu ait ja

(1) PETRON., Satyricon., XXXIV.

Sic erimus cuncti, postquam nos auferet Orcus :

Ergo vivamus, dum licet esse bene.

mais faits. Il faut être bien maladroit pour calomnier un tel personnage !

Le ridicule se mêle à l'horreur dans la comédie hu

maine. « Presque tout l'univers est histrion: Totus fere mundus exercet histrioniam, » dit Pétrone (1). Si je n'avais déjà raconté dans un autre écrit (2) l'usage auquel le populaire des Italiens de Rome prostitue le mausolée d'Auguste, je rappellerais ces combats de bossus contre des veaux, dont j'ai vu, dans ce monument sacré, le grotesque et hideux spectacle. Je ne sais si de pareilles représentations ont continué à étre autorisées dans la ville sainte; mais j'aurais peine à rendre l'ivresse furieuse du peuple, de laquelle j'ai été témoin en 1847, à cette indigne parodie des luttes antiques et des héroïques combats espagnols de taureaux. On avait pris de pauvres veaux efflanqués dont le front commençait à peine à s'armer d'un timide croissant; puis, comme si, pour des contrées peuplées des chefs-d'œuvre du ciseau amoureux de la forme, le bossu n'était point un homme, on avait trié, entre les bossus, les mieux constatés, et bêtes et gens avaient été lancés les uns contre les autres. Excités par les cris des spectateurs, par des pointes acérées, par les drapeaux rouges qu'agitaient les bossus, les veaux finissaient par se dégourdir de leur ennui, s'agiter, prendre rage et porter de vigoureux coups. J'ai vu l'un des malheureux picadores,

(1) Satyricon, à la fin. Pétrone avait déjà dit au 125 paragraphe : Tolus fere mundus mimum videtur implere. Même idée, presque les

mêmes mots.

Juv., Sat. III, 100, dit aussi : Natio comoda est.

(2) Léopold Robert, sa vie, ses œuvres et sa correspondance, p. 56.

TOME II.

13

Combat de bossus contre

des veaux.

Combats

entre

avengles.

Bal d'enfants

déguisés

en chiens.

blessé et mis hors de combat, essayer de sortir de l'arène; la populace enflammée l'en empêcha et criait au veau : « Tue! tue! » afin d'en avoir pour son argent. Parmi les bizarres folies des temps anciens, on se rappelle l'abominable récréation qu'on se donnait, il y a quatre siècles, à la cour de France, aux dépens de pauvres aveugles. On en mettait quelques-uns aux prises, couverts de fer et armés de longs bâtons, et la maladresse des coups qu'ils se portaient faisait la réjouissance des spectateurs.

Dans les Flandres, peut-être aussi chez nous, on a conservé la barbare habitude antique d'éborgner des pinsons pour les rendre meilleurs chanteurs. On les fait ensuite lutter de ramage, et l'on ouvre de formidables paris sur le courage de ces aveugles ailés. On eut à la cour de France, sous la régence de Marie de Médicis, des représentations où figuraient des écureuils dressés. « Les escuriaux ne dansèrent point au Louvre; bien en parut-il trois ou quatre, mais ils disparurent tous aussitôt : le roi devait les voir ce soir, » dit Malherbe (1). Il n'y a là rien que de bien innocent; mais on se rappelle avec tristesse ce ballet que la duchesse de la Ferté eut l'indignité de faire danser devant Louis XV enfant, par des enfants déguisés en chiens.

Croirait-on que dans la ville de Gand il y a des concours publics pour constater les plus habiles claqueurs de fouet, les meilleurs imitateurs de chants et de cris d'animaux, les meilleurs siffleurs? Des siffleurs! voilà des artistes que l'empereur Commode eût traités à

(1) MALHERBE, Lettre à Peiresc, 27 janvier 1614.

a

souhait. Il eut honoré le vainqueur d'une coupe modelée de sa propre main, à moins qu'en un jour de gaieté il ne lui eût enlevé la tête (comme il décapitait les marbres des dieux et des héros), pour se décerner à soi-même le prix, car il sifflait en maître : « Jam in his artifex quæ stationis imperatoriæ non erant, ut calices fingeret..... sibilaret (1). » Que Gand se rassure : Lampride affirme que l'empereur bourreau, le gladiateur parricide, fut traîné au croc et jeté au spoliaire. Son talent de siffleur ne l'a point sauvé !

L'empereur
Commode

patron des siffleurs.

Collections de boutons.

C'est dans cette même ville qu'on a pu voir une collection innombrable de boutons remontant à peu près à une centaine d'années. Le curieux qui l'avait formée l'avait exposée, en 1845, au profit des pauvres, dans les bâtiments de l'Université. C'était beaucoup plus piquant et varié qu'on ne le suppose. En effet, au dernier siècle, la fantaisie des petits maîtres et des élégants avait poussé jusqu'à une extravagance si étrange le luxe des boutons, que les chroniqueurs du temps ont sorti leur férule. Non content de les porter de la grandeur d'un écu de six livres et en acier travaillé, en de Louis XVI. marcassite, en vernis de Martin, en bijoux précieux, et même en diamants, comme dans sa jeunesse le grand Frédéric en portait sur tout son habillement, comme le comte d'Artois portait un habit brodé de pierres de prix, on fit orner ses boutons de peintures par le miniaturiste et l'émailleur, et telle garniture montait à des prix fabuleux. C'étaient les portraits de beautés célèbres, ou les douze Césars, ou des statues antiques,

(1) AL. LAMPRID., Commodus Ant. I.

Boutons au temps

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