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sur éventails.

Voilà de ces autographes sacrés que les plus grands seigneurs de la Chine se disputeraient à des prix fabuleux, si de fortune ils pouvaient être mis en vente.

Est-on de condition modeste, et a-t-on des amis haut placés, on fait solliciter auprès des grands de l'empire la faveur d'une inscription horizontale, ou de deux inscriptions verticales autographes à l'adresse de sa personne, et l'on en fait le plus bel ornement de son salon.

Tout le monde n'étant pas habile ou disposé à écrire des lettres de grande dimension, la passion autograAutographes phique dut se contenter souvent de l'écriture ordinaire. Elle se ménagea dès lors une pâture immense en introduisant l'habitude d'écrire sur des éventails. En Chine, l'éventail est une partie intégrante du costume national, à tel point que sous la dynastie actuelle l'étui à éventail est au nombre des insignes de l'autorité, avec l'étui à lunettes, le porte-montre et les sachets à tabac et à bétel. Qu'il fasse froid ou chaud, qu'il pleuve ou qu'il neige, tout Chinois comme il faut tient son éventail à la main dans les visites de cérémonie. L'amour-propre est la plus inaltérable de toutes les affections humaines quelle satisfaction pour le porteur d'éventail, si, pendant la conversation, il peut étaler, sans en avoir l'air, aux yeux de ses interlocuteurs, quelques lignes tracées exprès pour lui par un personnage illustre de l'empire! Satisfaction qui se paye souvent fort cher, et dont souvent aussi le faux procure l'équivoque jouissance. « Qu'importe qui soit le père, disait-on à Sparte, pourvu que l'enfant soit beau! »

CHAPITRE III.

autographe.

Le faux, disions-nous. En effet, il y a des faussaires Faussaires en à la Chine, il y a des fabricateurs d'antiquités, de bron

zes,

de médailles et d'autographes, de même qu'il y avait eu des faussaires en autographe dans l'antique Rome, dans la nouvelle Troie. Nul doute, il est vrai, que les Grecs, peuple moqueur et plaisant, bientôt consolés de leur disgrâce à l'endroit du faux autographe de Sarpédon, dont on avait quelque temps amusé leur crédulité, n'aient été disposés à se railler d'eux-mêmes : pouvaient-ils oublier que Zoroastre avait ri le jour même de sa naissance (1), et que Lycurgue voulait que la statue du dieu du Rire eût toujours sa place dans la maison? Mais les Chinois, peuple superstitieux et grave, prennent toutes ces choses au sérieux. Toutefois, chez eux comme ailleurs, il est une critique au moyen de laquelle on découvre les contrefaçons. Pour les autographes en particulier, on a recours au procédé du fac-simile, et l'on reproduit ainsi l'écriture des grands hommes dont l'autographe atteint des prix trop élevés. Calqués sur des originaux avérés et incontestables, ces fac-simile offrent un terme de comparaison. Malheureusement les Chinois sont de bien adroits faussaires, et il faut un œil très-exercé pour ne pas s'y laisser prendre.

On se rappelle, par exemple, ce fameux Tchèn,

(1) PLIN., Nat. Hist. « Risisse eodem die, quo genitus esset...., accepimus Zoroastrem. » VII, 15.

Critique en matière d'autographe.

de Tchèn, vice-roi de Canton.

Autographe vice-roi de Canton à l'époque où les Tartares qui occupent actuellement le trône de la Chine, renversèrent, vers le milieu du dix-septième siècle de notre ère, la dynastie des Ming, chinoise pur sang. Fidèle au souverain qui l'avait investi de ses pouvoirs dans une des provinces les plus importantes de l'empire, Tchèn refusa de se rendre aux usurpateurs, bien que leur triomphe fût presque assuré, et qu'il ne lui restât que de faibles moyens de résistance. Tombé au pouvoir des Tartares, il fut condamné à être scié tout vif. Et comme les bourreaux malhabiles le mutilaient sans avancer leur féroce besogne, lui, avec sangfroid, leur conseilla de l'attacher entre deux planches, afin d'avoir un point d'appui. Triomphe de la grandeur d'âme sur la douleur, et qui rappelle cette fierté stoïque de l'une des victimes de Néron, le tribun guerrier Subrius Flavius, qui, sur le lieu du supplice et devant la fosse trop étroite où allait être jeté son corps, dit aux soldats avec dédain : « Même cela n'est point fait suivant les règles: Ne hoc quidem ex disciplina (1)! »

Supplices

à la Chine.

A Canton, sans avoir eu l'horreur d'être témoin du supplice de la scie, on peut se faire, au naturel, une idée de ce supplice dont l'usage remonte en Chine à plus de trois mille ans, et qui était l'un des supplices chez les Hébreux. En effet, c'est par la scie qu'a été mis à mort le grand prophète Isaïe, au commencement du règne de Manassé, à l'âge de cent ans. Dans un temple de cette ville de Canton, où la sculp

(1) TACIT., Annal., XV, 67.

ture en bois peint, comme le sont les retables et les calvaires de nos églises gothiques, a figuré l'enfer bouddhique, on voit la représentation de toutes les peines et de tous les supplices qu'a pu enfanter l'imagination chinoise. Des personnages de grandeur naturelle se tordent sous les instruments du bourreau. Ils sont pendus par les bras ou par les pieds. Ils sont ouverts et dépecés. Partout le sang coule; les chairs palpitantes tombent en lambeaux; le métal en fusion reçoit des victimes vivantes; on scie des corps, comme a été scié l'héroïque Tchèn.

Celui-ci ne fut pas plutôt mort, que le nouvel empereur, témoin de la vénération des peuples pour sa mémoire, exprima publiquement son repentir d'avoir perdu un fonctionnaire aussi fidèle. Il le mit au rang des saints; et pour mieux entrer dans l'esprit des populations cantonaises, il lui fit ériger une pagode dans cette ville même de Canton où ses vertus avaient le plus brillé.

On conçoit donc que l'autographe de cet homme vénéré, l'un des pénates du riche et du pauvre dans la Chine, à Canton surtout, soit des plus recherchés. Eh bien! un des personnages de notre première ambassade dans le Céleste Empire, très-savant sinologue, avait à Macao quatre pancartes de la main de Tchèn suspendues à sa muraille, lorsqu'un jour un artisan entre dans l'appartement, et apercevant les rouleaux déployés, se jette avec un dévotieux enthousiasme le genou en terre :

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Voilà, s'écrie-t-il, les approches de la première lune (les fêtes du jour de l'an), je marie mon fils; les

Imitation

de

courtières ont fait leur office, j'ai payé les parents, et demain le palanquin apporte la fiancée. Oh! si je pouvais déployer au repas ces sacrés caractères, quelle joie pour la double fête! Quel présage de félicité! »

C'est ici le lieu de remarquer que, comme en Orient, le fiancé ne voit pas une seule fois sa fiancée avant la célébration du mariage. Des courtières ont pour mission de voir les jeunes filles et de rendre compte de leur visite à ceux qui les recherchent, et qui, sur la description, acceptent ou refusent. Une fille n'a pour dot que son trousseau. C'est le père du futur qui donne une somme ou une pension aux parents de la fiancée, et le jour fixé, un mystérieux palanquin apporte celleci dans la maison commune, où un repas aux nids d'hirondelles, aux holothuries et aux ailerons de requin, marque la célébration des noces.

Le mariage en question allait donc s'accomplir. L'artisan prosterné demande, prie, supplie que les pancartes lui soient prêtées. Il arrache enfin le consentement, et emporte les quatre pancartes. Les fêtes passées, il les rapporte d'un air béat. C'étaient des l'autographe contrefaçons, mais des contrefaçons si habiles, qu'on de Tchèn par un faussaire. n'eût su reconnaître le faux, n'étaient certaines marques imperceptibles qu'avait faites le propriétaire aux feuilles originales. Pris au piége, l'impudent Chinois se trouble et demande grâce : « Ne me perdez pas, disait-il en larmes, ne me dénoncez pas au magistrat ; Le faussaire je suis pauvre je mourrais sous le bâton. » Et de sous le bâton. fait il y serait mort, car la corporation assermentée de bienfaisance qui, à la Chine, reçoit la bastonnade à la décharge des condamnés, avait haussé ses prix.

exposé à périr

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