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la célébrer en devises assez fades. Déjà, en 1656, il fait allusion à son projet d'alliance avec M. de Damville, cadet de Ventadour, dont on commençait à parler. Et en effet, le 8 février de l'année suivante, ils échangeaient une mutuelle promesse. François-Christophe de Lévy, duc d'Ampville (il orthographie ainsi ses noms), a seul « escrit et finé » la sienne propre, tandis que Louis de Manneville et Suzanne de Sericourt, les père et mère de la fiancée, ont signé avec lui et avec elle celle de cette dernière (1). La mère de Damville, la duchesse de Ventadour, refusait son consentement au mariage, et malgré l'age du héros (il avait cinquante-huit ans en 1661), il ne pouvait obtenir de sa mère qu'elle le laissât se marier à sa guise. Mademoiselle de Montpensier, à qui la reine Anne avait parlé de cette alliance, raconte comme il était l'amant du monde le plus inde l'épouser. commode, jaloux à outrance, et quand il allait à quelque voyage, laissant à sa fiancée son aumônier pour lui dire la messe et pour la garder. Mais ce qu'elle ne dit pas, c'est que cet homme, d'abord capucin, puis marié et veuf d'Anne le Camus de Jambeville, était le plus grand rêveur et prometteur en matière de mariage. Il avait pendant un an et demi promené de promesse en promesse mademoiselle Jeannin de Castille, depuis

Ce qu'était

le duc

de Damville

la

qui lui

avait fait

promesse

d'une façon qui leur est la plus naturelle du monde; et pour ce qui est de leur personne,

Color verus, corpus solidum et succi plenum. »

Lettres de la jeunesse de Racine. Lettre d'Uzès, le 11 novembre 1661. La date de cette lettre est curieuse quand on sait l'aventure de l'infortunée Manneville, en septembre.

(1) No 21, t. Ier.

comtesse de Talleyrand de Chalais. Quelques années après, il était accordé avec mademoiselle d'Elbeuf, et l'éconduisait comme mademoiselle de Castille, en s'éclipsant à l'exemple du prophète Élie (1). Ce que n'a pas dit non plus la Grande Mademoiselle, c'est que joueur et besogneux, il tirait sans cesse de l'argent de sa fiancée, qui un jour, pour lui faire trois ou quatre cents pistoles, voulait vendre ses boucles d'oreilles avec ses pendants. Foucquet y pourvut. La correspondance de l'entremetteuse est pleine de ces répugnantes demandes d'argent, et Manneville qui n'a rien à elle et en manque toujours, « quand on lui en donne, dit la de la Loy, elle philosophe moins. »

Quant à Damville, il ne « philosophait» que pour le mariage. A en croire les devises de Benserade (ballet de la Nuit, ballet de Thétis, ballet des Plaisirs, ballet de Psyché), « les belles » auraient eu « de ses nouvelles » ; il eût été un grand abatteur de bois, un grand épouseur à la cavalière; mais on le vantait, si l'on en croit son Alleluia :

De Méneville et de Brion
S'il sort jamais un embryon,
Fils de son père il ne sera.

Au vrai, c'était un de ces fous par amour qui ont des moments lucides où ils ne sont qu'idiots, comme disait Heine. Et de fait, Retz en témoigne, il n'avait que beaucoup de routine avec fort peu d'esprit. C'était ce même comte de Brion, un des importants inutiles de la Régence, premier écuyer de Monsieur, qui avait bâti

(1) V. TALLEMANT DES RÉAUX, t. III, p. 195.

TOME II.

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Débuts de l'intrigue

avec

Foucquet.

un hôtel dans l'enclos du Palais-Cardinal, hôtel qu'acheta Louis XIV, et que ce prince fit abattre pour en faire une galerie annexe du palais, après que mademoiselle de la Vallière, retirée de chez Madame, y eut fait ses premières couches.

De son côté, Manneville avait bien un peu philosophé quand elle avait reçu les premières attaques au nom de Foucquet. Elle rougit comme un feu, refusa, accepta, refusa encore, ferma les portes, versa de chaudes larmes, fit toutes les façons et mines de circonstance, et les yeux tout rouges. Elle voulait être aimée. On était bien malheureuse de se mettre de l'amitié en téte. Il ne l'aimait pas. Elle demeurerait seule à aimer. Enfin, elle témoigne avec passion le désir de le voir (1) : elle descend quand il est chez la Reine; avril et la flamme sont dans ses yeux, et elle fait, en cornette, de sa fenêtre, des coquetteries à Foucquet pour en obtenir quelque témoignage d'amitié, quand il se promène sur la terrasse avec le maréchal de Grammont. Puis elle a ses jalousies et ses tempêtes en apprenant de madame de Prémont (2) et de mademoiselle du Fouilloux les assiduités de son amant auprès de mademoiselle de la Vallière ou de madame de Valentinois. Roman vulgaire.

(1) No 81, premier volume.

(2) Madame de Prémont, où fréquentait beaucoup mademoiselle de Manneville pour y rencontrer l'entremetteuse qui y allait de temps à autre, était une couverture que se donnait la fiancée de Damville. Elle était femme de Charles le Sart, seigneur de Prémont, chambellan de Monsieur. Elle se nommait Antoinette-Caroline le Sart, et avait épousé un de ses parents. Son nom revient de temps à autre dans les lettres des deux volumes. Manneville rencontrait aussi la proxénète chez madame de Froullay.

Cependant, bien que gênée dans ses mouvements, et forcée de s'observer contre les yeux jaloux de l'amant incommode, elle s'obstine à vouloir devenir duchesse, et ménage à la fois ses deux intrigues. D'un côté, Damville ne déchirait point sa promesse, de l'autre il ne voulait pas épouser. En vain le Roi, la Reine mère, le grand prévôt, de grands seigneurs, de grandes dames, le pressaient de conclure, il faisait les plus beaux serments du monde, mais reculait, remettait, éludait toujours, et il avait fini par lui déclarer qu'il épouserait s'il y était forcé, mais qu'il partirait sur-le-champ pour Venise, et qu'il faudrait absolument que Manneville se mit au couvent. Il avait aussi demandé au Roi, qu'avant de lui donner à ce sujet un ordre, il daignât permettre que le Père Tierçot, jésuite, son confesseur, le pût voir, et le jésuite avait déclaré que le duc n'était pas tenu au mariage. Alors, celui-ci avait fait supplier la Reine mère de leur défendre à tous deux de se rencontrer (1). Si bien que tout était encore en suspens quand la mort le vint frapper le 19 septembre 1661, dans le mois même de la catastrophe de Foucquet.

Soupçons jaloux

En toutes ces tergiversations le caractère de l'homme était pour beaucoup et ses soupçons pour quelque chose. de Damville. L'obligation de cent cinquante mille livres souscrite en faveur de Manneville épouvantait la fiancée; elle redoutait que Damville ne vint à découvrir le secret, et demandait avec toute sorte d'instance que Foucquet mit ordre à cette affaire, de façon que le duc n'y vit assez clair tout rompre (2). Et voilà que, par une fa

pour

(1) Mémoires de Madame de Motteville.

(2) No 238, premier volume.

Lettre de l'intrigante qui s'entremet.

talité qui la fait mourir de peur, Tallemant, qui a commission de payer la somme et ne l'a point reçue, vient à quitter cette terre (1). Damville en a vent par une indiscrétion de M. Guitaut, qui en a parlé à Montauron, et le jaloux soupçonne et gronde comme un chattigre (2). L'entremetteuse presse et conseille en si délicates circonstances. Et cependant les fêtes de cour continuent, le ballet va se danser, et il y faut paraitre le front rayonnant.

« Je ne sais, écrit la de la Loy (3), si vous fûtes hier au ballet (celui des Saisons); mais on eut une fort grande joie lorsque je dis à la personne que vous savez que vous iriez, et me tit (dit) qu'elle vous chercheroit fort des yeux. Elle me demanda fort l'état de votre santé, et est fort touchée de ce qu'elle n'est pas parfaite. Il arriva une chose qui me persuada fortement qu'elle vous aime tout à fait, c'est que Fouilloux nous dit, comme on parla de choses et d'autres et qu'on vint sur votre chapitre, que vous étiez passionnément amoureux de madame de Valentinois, que mademoiselle de Boslens faisait l'intrigue; je vous avoue que mademoiselle changea de couleur et devint d'un rouge et les yeux étincelants. Les larmes lui tombèrent en même temps. Comme elle vit cela, elle se leva et s'en alla vers la fenêtre, feignant d'avoir mal à la tête et

(1) Banquier, frère aîné consanguin du chroniqueur, et qui en effet mourut en 1661. Il s'appelait Pierre Tallemant, sieur de Boisneau. Il avait acheté en 1659 une charge de maître d'hôtel du Roi, après avoir pris la suite des affaires de son père.

(2) No 142 du premier volume.

(3) Premier volume, no 44. Lettre à Foucquet.

L'orthographe est rectifiée, pour rendre la lettre lisible.

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