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et principaux officiers y venaient au nombre de dix, vingt ou trente personnes.

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Quant à cet esclave, lorsqu'il lui est arrivé d'aller dans les maisons ou à bord des navires des barbares,

ceux-ci se sont assis en cercle à ses côtés, faisant assaut d'invitations à boire et à manger. Je ne pouvais pas me refuser à y prendre part, si je tenais à

leur amitié.

gagner

» En outre, les étrangers ont coutume de faire grand cas de leurs femmes, et toutes les fois qu'ils ont un hôte de distinction, leurs femmes et leurs filles sortent infailliblement pour le voir. Ainsi, le barbare américain Parker et le barbare français Lagrené avaient chacun sa femme barbare qui l'avait accompagné. Lorsque cet esclave est allé chez eux pour conférer d'affaires, ces femmes barbares sont venues à l'improviste le complimenter. Cet esclave s'est trouvé fort mal à l'aise; mais elles trouvèrent c'était pour que une heureuse chance qui leur faisait le plus grand honneur. C'est là assurément une coutume des royaumes de la mer occidentale qui ne s'accommode guère avec les usages et l'étiquette de l'Empire du Milieu. Mais si j'avais brusquement éclaté en reproches, je ne serais jamais parvenu à dissiper leur ignorance (1); je n'aurais fait que provoquer des sentiments d'animosité.

elles

» Les barbares venant ici pour vivre en bons rapports avec nous, on ne saurait s'exempter de leur faire un peu de bon accueil. Mais si intimes que soient les relations, il faut qu'elles soient maintenues dans de

(1) Littéralement à fendre leur stupidité.

certaines limites. Aussi, lorsque cet esclave s'est trouvé sur le point de conclure des traités avec divers royaumes, a-t-il recommandé à Houang-Huân-Toung (1) de faire clairement savoir aux divers envoyés étrangers que, lorsque les hauts fonctionnaires de l'Empire du Milieu traitent des affaires publiques avec divers pays, ils ne vont pas pour cela hors des frontières établir des relations privées; et que s'il arrivait que les envoyés offrissent quelques présents, il n'y aurait qu'à les refuser péremptoirement. Car si l'on faisait la sottise de les recevoir, en présence des lois nombreuses et sévères de la Dynastie Céleste, non-seulement on enfreindrait un devoir, mais on encourrait un inévitable châtiment.

» Les envoyés barbares ne ferment pas toujours l'oreille aux conseils qu'on leur donne, et ils ont eu le bon esprit de s'abstenir de faire aucun cadeau important. Il se fit néanmoins, quelquefois, durant nos entrevues, de petits présents, tels que du vin d'Europe, des eaux de senteur et autres objets de ce genre, de fort peu de valeur, qui, paraissant offerts avec des intentions loyales, ne pouvaient guère être rejetés à la face des gens. Mais j'ai donné, en retour, des tabatières et des bourses que j'avais sur moi, afin de faire ressortir le principe de peu recevoir et donner beaucoup (2).

» Les Italiens, les Anglais, les Américains et les Français m'ont prié de leur donner le portrait en

(1) Le même qui était second plénipotentiaire avec Ki-Ing, et qui chanta l'éloge de M. le marquis de Ferrière-Levayer.

(2) Règle posée par Confucius en son second livre.

petit de cet esclave. Je l'ai fait peindre et donner également à tous (1).

Quoique les diverses nations aient chacune un souverain ou un chef, elles sont gouvernées, les unes par des hommes, les autres par des femmes, tantôt pendant longtemps, tantôt pendant une courte durée, ce qui est tout à fait en dehors de notre législation. Ainsi, les barbares anglais ont une femme pour souveraine, les Français et les Américains sont gouvernés par des hommes. Les trônes de France et d'Angleterre se transmettent par voie de succession; mais le chef des Américains est élu par le peuple. Au bout de quatre ans, on le change, et, dès qu'il a résigné ses fonctions, il rentre dans la catégorie du peuple (2).

"

» Chez eux, les titres ou dénominations du chef de l'État varient. Quand ils viennent en Chine, ils usurpent les appellations en usage dans l'Empire du Milieu, afin de se donner de l'éclat et faire étalage de grandeur (3):

(1) Il est curieux de remarquer que Ki-Ing a toujours confondu le royaume de Portugal avec l'Italie. Dans ses communications avec le gouverneur de la colonie portugaise de Macao, il lui est arrivé plusieurs fois de parler des Portugais d'Italie.

(2) Les esclaves sans emploi.

(3) Allusion aux titres de houang-ti, empereur, et houang-heou, impératrice, pris dans les traités par le roi des Français et la reine d'Angleterre, malgré la répugnance et les vives réclamations de KiIng, qui voulait réserver à l'empereur de la Chine ces appellations suprêmes, comme des titres sacrés.

Le reproche de Ki-Ing n'est point applicable aux États-Unis, attendu que, dans leurs actes internationaux, les Américains désignaient à la Chine le chef de leur république par le mot po-le-siteng-te, transcription littérale et phonétique, autant que le la langue chinoise, du mot anglais president.

comporte

Au surplus, cette vieille prétention de la cour chinoise d'accaparer

semblables au roi de Yé-Lang (1) qui se regardait comme le plus grand de l'Univers, ils ont pour leur propre souverain le plus profond respect. Mais ceci ne nous regarde nullement.

» Si on voulait régler nos relations avec eux sur le

pour elle le titre le plus élevé entre tous les titres lui est commune avec tous les souverains de l'Orient. Quand, d'un côté, le chah de Perse prenait le titre de roi des rois, « chahîn-chah, » le Turc s'intitulait padichah, le grand empereur, ne laissant, d'un autre côté, aux rois de l'Europe qu'une dénomination inférieure, celle de kral, qui désigne une sorte de souverain de seconde classe, un tributaire. Si l'orgueil des souverains d'Orient n'eût pas attribué une nuance de supériorité à leurs propres titres, l'Occident n'y eût point pris garde. Mais la prétention de ravaler les rois chrétiens était intolérable et absurde. François Ier fut le premier à y mettre ordre; et, par convention expresse avec les cours orientales, il prit et reçut le titre de padichah, empereur, dans ses relations avec l'Orient. L'usage s'en est maintenu, depuis lors, invariablement; et quand la Porte eut, sous le règne de Louis-Philippe, la velléité de glisser dans une lettre officielle au roi, ce titre d'infériorité, le mot répudié de kral, la lettre fut refusée net. Toutes les grandes puissances de l'Europe ont suivi cet exemple, et ne toléreraient pas qu'on leur attribuât une infériorité quelconque dans les protocoles de cabinet ou de chancellerie, et qu'on fit à leur détriment, suivant l'expression du Chinois Ki-Ing, étalage de grandeur.

(1) Les Annales de la Chine racontent que, sous la dynastie des Han, un ambassadeur envoyé par l'empereur pour explorer les royaumes de l'Occident, arriva, à l'ouest du Yun-Nan, chez un roitelet qui s'étonna fort d'apprendre qu'il y eût au monde un plus grand potentat que lui, bien que son domaine de Yé-Lang n'eût que quelques lieues de superficie.

Dans la traduction qui a déjà paru de cette lettre, au Moniteur universel, il est question ici non du petit royaume de Yé-Lang, mais du royaume de l'autre monde, en chinois Se-Lam. Il n'y a, ni de près ni de loin, dans le texte, la moindre allusion à ce royaume des mânes, qui, selon la mythologie chinoise, est le royaume le plus petit et le plus pauvre. On rapporte que lorsque les habitants de cet autre monde, situé dans les régions souterraines, viennent dans l'Empire Céleste, ils y racontent des choses inconnues et incroyables, pour se prêter de l'importance.

pied des nations tributaires, ils n'y consentiraient jamais, pas plus qu'ils n'acceptent notre calendrier (1), ni le diplôme d'investiture impériale qui les reléguerait au rang de la Cochinchine et de Lieou-Kieou. Si, avec des gens aussi peu civilisés et aussi ignorants de la politesse et du langage diplomatique, on employait des formes sévères pour remettre chacun à sa place, cela donnerait lieu à de violentes récriminations; alors on ne pourrait s'exempter de faire la sourde oreille, à moins de vouloir amener la mésintelligence et briser même les relations personnelles, au grand détriment des affaires sérieuses. Il est donc préférable de ne pas discuter sur de vaines dénominations qui n'ont rien de réel, et ne pas s'arrêter aux petits détails, afin de faire triompher les vues de haute portée.

» Tels sont les moyens et les modifications qu'un examen attentif des circonstances se rattachant aux barbares nous a engagé à adopter, eu égard aux exigences du moment, à la légèreté ou à l'importance des questions, à la lenteur ou à la promptitude du dénoûment qu'il y avait à amener. Cet esclave n'a pas fait de chacune de ces questions diverses l'objet de

(1) Les fonctionnaires de province, ne pouvant se présenter au palais impérial pour saluer l'empereur, sont tenus de se rendre le 1er et le 15 de chaque mois à la pagode des anciens monarques et d'y faire les prosternations d'usage. Il est bien entendu que si, par dévouement à la religion et dans l'espoir de lui faire des conquêtes dans le Céleste Empire, les Jésuites missionnaires ont pu s'assujettir aux plus avilissantes bassesses à la cour de Péking, les envoyés officiels de l'Europe ne pouvaient se soumettre aux démonstrations d'hommage-lige imposées aux Chinois. C'est là ce que Ki-Ing appelle leur refus d'adopter le calendrier de l'Empire du Milieu.

TOME II.

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