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associés, les créanciers solidaires n'ont pas aussi un intérêt particulier indépendamment de leur intérêt commun? Est-ce que la loi civile ne s'en explique pas catégoriquement lorsqu'elle dit que l'obligation contractée solidairement envers le créancier se divise de plein droit entre les débiteurs (art. 1214)? »

Nous le croyons donc fermement l'explication donnée par l'arrêt n'est pas la meilleure; nous considérons comme de beaucoup préférable, en ce qu'elle est mieux en harmonie avec l'ensemble des textes, celle qui voit dans les coïntéressés dont parle la loi les personnes qui ont un intérêt identique. Car si l'identité d'intérêts n'implique pas nécessairement la communauté d'intérêts, on n'en doit pas moins reconnaître que la réunion de plusieurs individus pour l'exercice d'une action spéciale dans un but identique, établit, pour cette action spéciale, un lien qui, à défaut d'une définition légale, suffit pour rendre applicable l'exception faite par la loi en faveur des coïntéressés.

P. PONT.

JURISPRUDENCE ADMINISTRATIVE.

De la compétence à l'effet de prononcer sur les indemnités réclamées par suite de suppression totale ou partielle de la force motrice des moulins et usines établis sur cours d'eau.

Par M. JOUSSELIN,

Avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, auteur du Traité des Servitudes d'utilité publique.

Dans la classe si nombreuse et si variée des torts et dommages que peuvent occasionner aux propriétés privées les travaux d'utilité publique, la suppression totale ou partielle de la force motrice des moulins et usines établis sur cours d'eau présente une importance et une difficulté particulières en ce qui concerne la compétence à l'effet de statuer sur les indemnités ré

V. la livraison de mai 1851, p. 294 et suiv.

clamées. Cette importance et cette difficulté particulières consistent en ce que, pour décider cette question de compétence, il est nécessaire de déterminer la nature spéciale des droits que les citoyens exercent sur les eaux courantes. Car si le cours des eaux, leur pente, leur puissance, ne constituent ni une véritable propriété dans le sens légal, ni surtout une propriété immobilière, il s'ensuit que la suppression totale ou partielle de ces forces motrices ne tombe, dans aucun cas, sous l'empire des lois du 8 mars 1810, du 7 juillet 1833 et du 3 mai 1841, qui ne régissent que l'expropriation des immeubles; et que, par cela même, l'autorité administrative est restée compétente pour statuer sur ces dommages, en vertu des lois du 16 septembre 1807 et du 28 pluviôse an VIII, ou plutôt, comme nous l'avons expliqué, en vertu du principe de la séparation des pouvoirs, et des lois du 16-24 août 1790, tit. 2, art. 13, et du 16 fructidor an III 1.

En cette matière des moulins et usines, on sait que, sur le droit à indemnité, au fond, la loi du 16 septembre 1807 porte, art. 48 « Lorsque, pour exécuter un desséchement, l'ouverture » d'une nouvelle navigation, un pont, il sera question de sup>> primer des moulins et autres usines, de les déplacer, modifier, » ou de réduire l'élévation de leurs eaux, la nécessité en sera » constatée par les ingénieurs des ponts et chaussées. Le prix de >> l'estimation sera payé par l'État lorsqu'il entreprend les tra»vaux; lorsqu'ils sont entrepris par des concessionnaires, le » prix de l'estimation sera payé avant qu'ils puissent faire cesser » le travail des moulins et usines. Il sera d'abord examiné si l'é>>tablissement des moulins et usines est légal, ou si le titre d'é»tablissement ne soumet pas les propriétaires à voir démolir >> leurs établissements sans indemnité, si l'utilité publique le re» quiert. >>

Sur la compétence, on sait que les articles 56 et 57 de la même loi déclarent que le procès-verbal d'expertise sera soumis, par le préfet, à la délibération du conseil de préfecture.

Dans cette étude, nous n'avons pas à nous occuper de l'article 48 précité, qui règle le fond du droit à indemnité.

V. la livraison de mai, p. 304 et suiv.

Ce travail n'étant que le complément de la théorie générale que nous avons déjà présentée sur le règlement des compétences en des matières dont celle-ci n'est qu'une dépendance, c'est aussi la question de la compétence seule que nous nous proposons d'examiner ici.

C'est à ce point de vue que nous allons, comme dans notre précédent travail, d'abord analyser les décisions émanées des juridictions administratives; puis formuler, sur le tout, un ensemble de doctrine.

S Ier.

Cette partie de la jurisprudence est une de celles qui ont subi les variations les plus notables, même dans le sein des juridictions administratives.

Le Conseil d'État a commencé par décider, et il a décidé pendant une longue série d'années que la suppression totale ou partielle de la force motrice d'une usine constitue une véritable expropriation, et qu'en conséquence l'indemnité due à l'usinier doit être réglée dans les formes établies par la loi du 8 mars 1810.

Il l'a jugé, le 17 août 1825 (Manisse) : « Vu la loi du 16 sep>>tembre 1807 et celle du 8 mars 1810, sur les expropriations » forcées pour cause d'utilité publique ; considérant que les tra» vaux de redressement de la rivière de la Scarpe ayant été en»trepris postérieurement à la publication de la loi du 8 mars » 1810, c'est d'après cette loi que doit être réglée l'indemnité >> due au sieur Manisse pour la dépossession du moteur de son » usine; que, dès lors, à défaut de conciliation sur le montant » de cette indemnité, c'est aux tribunaux et non au conseil de » préfecture à prononcer; l'arrêté du conseil de préfecture du » département du Nord, du 1er août 1823, est annulé pour cause » d'incompétence; le sieur Manisse se retirera, s'il s'y croit fondé, » devant les tribunaux..... »

Dans deux arrêts, du 5 mai 1830 (Gestat) et du 17 avril 1834 (Dutertre), il a qualifié littéralement d'expropriation la réduction perpétuelle de la force motrice des usines.

1 Livraison de mai, p. 294 et suiv., et p. 316.

Par un arrêt du 10 juillet 1833 (Truffault), il a renvoyé les réclamants devant les tribunaux, pour y faire statuer sur leur demande en indemnité pour diminution de la force motrice d'un moulin.

Même solution dans un arrêt du 18 avril 1835 (Dietsch) : « Vu » les lois des 24 août 1790, 28 pluviôse an VIII et 16 septembre » 1807; considérant que le sieur Dietsch allègue que, par suite > des travaux exécutés pour rendre la rivière d'Ill navigable jus» qu'à Strasbourg pour les bateaux à vapeur, son usine éprouve >> une diminution permanente de la force motrice qui aurait été >> concédée à ses auteurs, à titre onéreux, par la ville de Stras»bourg, avant sa réunion à la France; qu'il demande, à ce titre, >> une indemnité; que les travaux dont il se plaint sont posté>> rieurs à la loi du 8 mars 1810, et qu'ainsi les tribunaux civils » sont compétents pour apprécier les prétentions du sieur Dietsch; » l'arrêté de conflit, du 12 février 1835, est annulé. »

Le 7 août 1843 même, le Conseil d'État avait jugé (affaire Blanc) que l'indemnité réclamée par un particulier à l'occasion de la privation d'un droit exercé par lui sur un cours d'eau, conformément à l'article 644 du Code civil, ne pouvait être apprécié que par l'autorité judiciaire.

Cependant à cette époque et depuis plusieurs années déjà, le Conseil d'État était entré dans une tout autre voie.

Dans une affaire où un propriétaire d'usine réclamait 12,000 fr. d'indemnité pour dépréciation de son moulin par suite de travaux exécutés dans une rivière, le Conseil d'État avait décidé, le 14 avril 1839 (De Boisredon): que le propriétaire ne se plaignant d'aucune expropriation totale ou partielle, et alléguant seulement un dommage qui résulterait pour lui de la surélévation des eaux du Beuvron occasionnée par les travaux que l'administration avait effectués au canal du Nivernais; aux termes des lois du 16 septembre 1807, du 28 pluviôse an VIII et du 16 fructidor an III, c'était à l'administration seule qu'il appartenait de statuer sur cette demande.

Le 26 décembre 1840 aussi (affaire Cru), il avait jugé que : la rivière de la Dordogne étant navigable au point où était mouillé un moulin à nef dont la suppression venait d'être or

donnée, le conseil de préfecture était compétent pour fixer le montant de l'indemnité à laquelle cette suppression pouvait donner lieu.

Le 22 mars 1841 (Aubertot), il avait rendu un arrêt interlocutoire et avait par cela même reconnu sa compétence à l'effet de statuer, au fond, sur une indemnité réclamée pour prétendue diminution de la force motrice d'une usine vendue nationalement.

Mais c'est surtout à partir de 1844 que la jurisprudence du Conseil d'État s'est nettement déclarée dans le sens de la compétence administrative.

En effet, le 17 mai 1844 (Société des moulins d'Albarèdes), par un arrêt dont la portée doctrinale est immense, il a jugé : 1° « que la loi du 8 mars 1810 est applicable seulement, ainsi >> que cela résulte des articles 3, 6, 9, 16, 25, aux biens immo»biliers proprement dits; » 2° « que si, antérieurement à 1566, >> des usines ont pu être légalement établies sur les cours d'eau >> navigables ou flottables, il ne s'ensuit pas qu'à aucune époque » le cours même de ces eaux qui, par sa nature, ne peut » constituer une propriété privée, ait été aliéné au profit des » concessionnaires desdites usines: que, dès lors, aux termes de » la loi du 16 septembre 1807, les conseils de préfecture sont » compétents pour connaître des demandes en indemnité aux> quelles des particuliers peuvent avoir droit à raison des dom>>mages causés à leurs usines par suite de l'exécution de tra»vaux publics, quelle que soit d'ailleurs la nature, l'importance » et la durée de ces dommages. »

A partir de cette ordonnance, la compétence administrative a été confirmée par un grand nombre d'autres décisions du Conseil d'État. En voici la date: 10 août 1844 (d'Argent); 23 août 1845 (Rambaud); 30 mars 1846 (de Boisset); 3 déc. 1846 (Peyrousse); -17 déc. 1847 (Pinon); - 27 décembre 1847 (Aubertot); 10 mars 1848 (Faucheux); 20 juin 1848 (Chevalier); - 22 juin 1850 (Rambaud); Cette dernière dé29 mars 1851 (Chevalier et Truchon). cision, et aussi peut-être celle du 20 juin 1848 ( Chevalier), sont d'autant plus remarquables, qu'elles distinguent entre l'in

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