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théorie du droit de créance, alors qu'il s'agit de la déduction des droits payés sur la donation. Cette déduction est une restitution de droits, c'est incontestable; or, pour autoriser cette restitution, toute la question est là: les droits ont-ils été régulièrement perçus lors de la donation? Oui, dit l'arrêt du 20 novembre 1849; mais où est la démonstration de cette thèse ? Dans l'arrêt du 8 juillet 1822; or sur quoi cet arrêt de 1822 fonde-t-il la perception immédiate du droit de donation? sur la transmission actuelle de la propriété de la somme acquise au donataire par le seul fait de son acceptation. Aujourd'hui, vous niez les prémisses et vous retenez la conséquence; du moins faut-il motiver à nouveau cette conséquence; c'est ce que ne fait nullement le dernier arrêt de la cour; voilà sur quoi il faut désormais concentrer le débat.

En somme, la théorie du quasi-usufruit, consacrée avec un ensemble remarquable par les cinq arrêts intervenus depuis 1822 jusqu'en 1829, est, à mon avis, seule exacte, seule conforme aux traditions historiques, aux textes de la loi du 22 frimaire an VII et du Code Napoléon. Mais cette théorie repose sur une fiction légale dont le sens tend à se perdre, à mesure que s'effacent les souvenirs de l'ancien droit; il est fort à craindre que la Cour suprême ne refuse de revenir à son point de départ. La théorie opposée est séduisante par l'extrême simplicité de sa base; la démonstration en est plus claire et plus facile ; qu'on l'admette, je le veux bien; mais qu'on n'allie pas forcément deux théories contradictoires, pour extraire de chacune d'elles les conséquences les plus favorables à l'administration, et repousser toutes celles qui tendent au dégrèvement des contribuables.

GABRIEL DEMANTE.

DE LA SOLIDARITÉ EN MATIÈRE DE QUASI-DÉLIT.

Par M. RAYMOND MAGNIER,

Avocat à la Cour d'appel de Paris.

La jurisprudence est à peu près unanime à décider que les auteurs d'un quasi-délit sont tenus solidairement de réparer le préjudice qu'ils ont causé, tandis que la doctrine contraire est vivement soutenue par les plus graves autorités, notamment par MM. Toullier, t. II, no 151; Duranton, t. II, no 194, et Marcadé, sous l'article 1382.

Comme la Cour d'appel de Paris, dans un récent arrêt (28 avril 1852), a posé comme une vérité désormais incontestable que la solidarité existe de plein droit entre les auteurs d'un quasi-délit, il peut n'être pas inopportun d'examiner quels sont les véritables principes en cette matière.

Tous les individus condamnés pour un même crime ou pour un même délit sont tenus solidairement des amendes, des restitutions, des dommages-intérêts et des frais telle est la disposition textuelle de l'article 55 du Code pénal. Mais cet article, placé dans le premier livre du Code pénal, qui traite « des peines en matière criminelle et correctionnelle et de leurs effets,» au chapitre 3 de ce livre, sous la rubrique : « Des peines et des au>> tres condamnations qui peuvent être prononcées pour crimes » et délits, » cet article, disons-nous, est spécial aux crimes et aux délits, mais n'est pas applicable aux simples contraventions. Il faudrait donc qu'il existât une disposition particulière de la loi pour que la solidarité pût être prononcée contre les auteurs d'une contravention; et comme dans le quatrième livre du Code pénal, qui traite « des contraventions de police et » peines,» il n'existe aucun article relatif à la solidarité, on est amené naturellement à conclure que les auteurs d'une contravention ne sont pas, comme les auteurs d'un crime ou d'un délit, tenus solidairement au payement de l'amende, des frais et des dommages-intérêts, car la solidarité ne se présume pas.

Ce que nous disons des contraventions est vrai, à bien plus forte raison, en matière de quasi-délit.

Que l'on ne se méprenne pas sur le silence de la loi; ce n'est pas une négligence ou une omission; on a pesé et mesuré les voies de rigueur qui pouvaient être appliquées en matière de contravention; on a ordonné que l'amende, les restitutions, indemnités et frais entraîneraient la contrainte par corps (art. 467 et 469 C. pén.), mais on n'a pas jugé nécessaire de prononcer la solidarité contre tous les auteurs d'une contravention tant envers l'État qu'envers la partie lésée; l'intention du législateur est ici manifeste, et ressort du texte même de la loi.

Voilà pour les contraventions. En matière de quasi-délit non plus il n'a pu y avoir oubli de la part des rédacteurs de nos Codes, car ils se trouvaient en présence des dispositions bien connues de la loi romaine qui prononçait formellement la solidarité contre les auteurs d'un quasi-délit (ff., De his qui effuderint, l. 1, 2 et 5); s'ils n'ont pas donné place dans leur œuvre au principe établi par le législateur romain, ce ne peut être que volontairement et par des motifs faciles à comprendre, que nous ferons ressortir plus loin.

La solidarité ne se présume pas; tel est le principe général, et il ne faut pas craindre de l'appliquer à la lettre. La loi prononce la solidarité entre les auteurs d'un crime ou d'un délit, elle se tait en ce qui concerne les auteurs d'une simple contravention ou d'un quasi-délit. Permis à qui voudra de désapprouver la distinction qu'elle a établie entre ces différentes classes d'infractions; mais il n'en faut pas moins respecter son silence, rester dans le droit commun, et se garder de suppléer une exception qu'elle n'a pas consacrée par une disposition formelle.

A cette argumentation il est difficile de répondre directement; et en effet, on n'a pas essayé de le faire, on a essayé seulement de raisonner par voie d'analogie, et de considérer comme établissant une règle générale en matière de quasi-délit la disposition unique et isolée, dans le Code Napoléon, de l'article 1734, qui déclare tous les locataires d'une maison solidairement responsables de l'incendie. La conclusion nous semble hardie, et le raison

nement bien defectueux; en matière de solidarité, il ne peut pas être permis d'établir des analogies, et les textes de loi qui la prononcent ne sont pas susceptibles d'interprétation large. Loin de trouver, dans l'article 1734 que l'on invoque, une objection sérieuse contre notre doctrine, nous pourrions au contraire nous en prévaloir car s'il a fallu une prescription formelle pour établir la solidarité entre tous les auteurs présumés du quasi-délit résultant de l'incendie, c'est qu'apparemment en règle générale, et dans tous les cas où elle n'est pas prononcée, la solidarité n'existe pas de plein droit entre tous les auteurs d'un quasidélit.

Parmi les nombreux arrêts qui ont consacré la doctrine de la solidarité en matière de quasi-délit, un seul a cru devoir la justifier, celui de la Cour royale d'Aix, du 14 mai 1825. Cet arrêt est fondé sur des motifs juridiques dont plusieurs pourraient être sérieusement contestés, mais parmi lesquels nous nous bornons à relever celui-ci : « Considérant, y est-il dit, que le » principe que la solidarité ne se présume pas n'est applicable » qu'aux conventions où celui qui la réclame sans l'avoir sti> pulée a toujours à se reprocher de n'en avoir pas fait une » condition expresse du contrat. » Quoi! c'est là ce qu'on donne comme un axiome de droit! Mais c'est une erreur si évidente, qu'il n'est guère la peine de la réfuter. Le principe que la solidarité ne se présume pas comprend dans sa généralité toutes les obligations, aussi bien celles qui prennent leur source dans une convention que celles qui naissent du fait de l'homme, et la solidarité ne peut être appliquée en aucun cas, si elle n'a pas été stipulée ou si elle ne résulte pas d'une décision formelle de la loi. Il suffit, pour s'en convaincre, de lire l'article 1202 du Code Napoléon. L'arrêt du 14 mai 1825 conduirait à cet étrange résultat, que la solidarité aurait lieu de plein droit en matière de quasi-contrats comme en matière de quasi-délits, puisqu'il faudrait supposer que la solidarité doit toujours être présumée, à moins qu'on ne se trouve en présence d'une convention claire et précise dans ses termes; et on serait obligé de décider, par exemple, que si plusieurs venaient à gérer volontairement la chose d'autrui, ils seraient solidairement responsables de leur

gestion envers le propriétaire, ce qui serait en contradiction avec le § 2 de l'article 1372 du Code Napoléon. Une telle doctrine ne tendrait à rien moins qu'à renverser les termes de la loi et à considérer la solidarité comme la règle générale, tandis qu'elle n'est que l'exception; aussi l'on ne saurait s'y arrêter.

La jurisprudence s'est laissé entraîner à prononcer la solidarité entre les auteurs d'un quasi-délit, par l'assimilation trop complète qu'elle a voulu établir entre les délits et les quasi-délits. Elle n'a pas vu que bien que les quasi-délits soient, comme les délits, des faits prohibés, cependant aucun rapprochement n'est possible entre ces deux ordres de faits. Ce qui constitue le délit, c'est l'intention de nuire, animus nocendi, tandis que le quasidélit n'est qu'un fait, nuisible sans doute, mais dépouillé de l'intention qui lui imprimerait un caractère de culpabilité. La loi voit dans le délit commis par plusieurs une pensée criminelle conçue et inventée en commun, un concert coupable; c'est pourquoi elle a voulu que les condamnations en matière de délits et de crimes fussent prononcées solidairement contre tous les auteurs mais dans le quasi-délit, il n'y a plus d'intention punissable; les auteurs du fait qui a nui à autrui sont tenus de réparer le dommage qu'ils ont causé; ils fournissent cette réparation, non pas à titre de peine, mais à titre d'indemnité; par conséquent il est impossible de les charger tous et chacun de toute la responsabilité d'un fait auquel ils n'ont contribué que chacun pour leur part matérielle.

Tels sont les motifs si profondément équitables des dispositions de nos Codes que nous essayons de montrer sous leur véritable jour; aussi il nous est impossible de partager les regrets qu'exprime M. Duranton, qui, tout en adoptant l'opinion que nous reproduisons ici, convient qu'il aurait été à désirer que le Code Napoléon établit la solidarité entre les auteurs des quasi-délits.

Encore une fois, la solidarité ne se présume pas. Quoi que l'on fasse pour détourner cette règle de son sens naturel, il est impossible de le détruire. Jusqu'à ce qu'il existe un texte de loi formel qui soumette solidairement à la réparation du préjudice qu'ils ont causé les auteurs d'un quasi-délit, nous repoussons toute assimilation que l'on voudrait faire entre les délits et les

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