donataire. Or puisque l'enfant peut renoncer à la succession, il va de soi qu'il puisse conserver sa donation. (V. Paris, art. 307; Meaux, art. 13; Melun, art. 273; Sens, art. 269; Auxerre, art. 244; Amiens, art. 52; Orléans, art. 273.) Ce résultat paraissait tellement équitable qu'on n'hésitait pas, au XVIIIe siècle, à l'étendre aux coutumes muettes, « d'autant que c'est le >>> droit commun, dit Ferrière (sur l'article 307 de la coutume de >> Paris), que les enfants peuvent renoncer à la succession de leur >> père et mère, et en ce faisant, retenir et conserver les avan>> tages qui leur sont faits. En sorte que dans les coutumes qui >> défendent de faire des avantages à l'un des enfants plus qu'aux >> autres sans ces termes, venans à la succession, ces termes y >> doivent être suppléés. » Et Ricard, entrant encore mieux dans l'idée du droit acquis à l'enfant donataire, dit en rapportant le texte de Dumoulin, cité plus haut (n° 5): « Cette opinion n'a >> pas été suivie avec raison. Et en effet, un père donne ordi> nairement en avancement de son hoirie, parce qu'il espère >> qu'elle sera bonne et que ses enfants y viendront, sæpe amplius » de facultatibus suis amplius quam in his est sperant homi» nes; mais s'il en arrive autrement, il est bien juste qu'on >> reçoive l'enfant à renoncer et à se tenir à son don. >>> Ainsi fixons bien ce point: La faculté accordée à l'enfant donataire de renoncer à la succession, bien loin d'apparaître aux jurisconsultes comme une faveur exorbitante, est signalée par eux comme une déduction du droit commun. Le droit acquis au donataire ne peut rencontrer aucune restriction émanant de la volonté ultérieure du père; le père n'a pu conférer aucun droit contraire à une donation qui, à son égard, est irrévocable; donc le droit du donataire renonçant ne peut être entamé que par un droit procédant directement de la loi; en d'autres termes, par l'action en réclamation de la légitime. 7. Mais comment se calculait cette légitime? Nous voici au vif de la question. avancement d'hoirie de toutes les dettes du donateur antérieures à l'appréhension de la donation, il dit: «Et sic non est nec tenetur esse heres, nec re>> nuntiando hereditati donum amittit; alias teneretur de debitis etiam post » donationem et apprehensionem factis. » 1 On a cru tout dire en citant l'article 298 de la coutume de Paris, ainsi conçu : « La légitime est la moitié de telle part et > portion que chacun enfant eût eue en la succession desdits >> père et mère, aïeul ou aïeule ou autres ascendants, si lesdits > père et mère et autres ascendants n'eussent disposé par dona>tions entre-vifs, ou dernière volonté. Sur le tout déduit les >> dettes et frais funéraux. » Cet article pourtant ne tranche en aucune façon la question qui nous occupe: pour fixer la part qui revient individuellement à chacun, il faut préalablement établir quels enfants font nombre pour la liquidation de la légitime; c'est la locution consacrée. Comme la légitime est toujours invariablement fixée à moitié de la succession ab intestat, la diminution du nombre des enfants augmente d'autant la portion de leurs frères; or les enfants, renonçant à la succession nullo accepto, ne faisaient pas nombre, et Lebrun, après avoir expliqué dans un paragraphe spécial ce que c'est que faire nombre pour le calcul de la légitime, conclut en propres termes (Successions, liv. III, chap. 8, sect. 2, n° 77): « Ainsi il est avanta> geux au légitimaire et désavantageux à ceux qui doivent four>> nir la légitime, que le renonçant ne fasse point de part, comme >> le remarque Me Jean-Marie Ricard, part. 3 des Donations, > nombre 1061. » La même théorie est présentée par Bourjon (Droit commun de la France, 2a partie des Successions, no XIX et suiv.), comme reçue dans la pratique. C'est faute d'avoir compris cette locution consacrée, faire nombre pour le calcul de la légitime, qu'il a échappé au conseiller rapporteur d'écrire dans les motifs de l'arrêt Laroque de Mons que, dans l'ancien droit, « la légitime de l'enfant qui re>> nonçait profitait au donataire universel, et n'était pas dévolue >> par droit d'accroissement aux cohéritiers du renonçant. » C'est une erreur historique énorme, et qui a eu sur le développement de la doctrine moderne l'influence la plus fâcheuse. Si la formule ordinaire de l'accroissement n'était pas admise sous la coutume de Paris, sans doute pour éviter toute équivoque quant au texte de l'article 298, le résultat pratique était pourtant le même, et la part des légitimaires s'augmentait de plein droit par la renonciation de leur frère. Mais ce que l'on disait du renonçant, nullo accepto, on se gardait bien de l'étendre à celui qui renonçait en gardant une portion de la substance du père. Celui-là faisait nombre pour le calcul de la légitime, et il retenait sur sa donation et sa propre part dans la légitime, et, s'il y avait lieu, toute la portion disponible. Ce résultat était admis non-seulement sous la coutume de Paris, mais sous l'empire de toutes les coutumes qui permettaient au donataire de s'affranchir du rapport en renonçant à la succession 1. Enfin, ce résultat concorde avec la doctrine des pays de droit écrit, qu'on a trop l'habitude de mettre en opposition avec ce qu'on appelle le systéme national de nos coutumes. Est-ce donc que la légitime était indépendante de la qualité d'héritier? Nullement; nous ne trouvons plus ici les ambages et les contradictions signalées chez les auteurs des pays de droit écrit; la légitime est bien une portion de la succession ab intestat, les enfants en sont saisis, la sagesse de la coutume en a établi l'indisponibilité. Et toutefois, non-seulement l'enfant renonçant aura plus que ses frères acceptants, plus qu'un donataire étranger, mais il aura plus que ce que la volonté expresse du père eût pu lui conférer s'il eût accepté (art. 300 et 301 de la coutume); tant est grand le respect dû au droit acquis du donataire. Je considère donc comme établi que la doctrine du droit commun de la France, au XVIIIe siècle, sur notre question, ne tenait pas à un détail de la rédaction de la coutume de Paris, mais qu'elle se déduisait, au contraire, de l'analyse rationnelle des avancements d'hoirie. V. notamment Lebrun, ibid., no 80, et Bourjon, ibid., no xxx; enfin Pothier, Introd. au tit. 15 de la coutume d'Orléans, no 76, s'exprime en ces termes : « La » légitime étant une portion que les père et mère doivent dans leur succession » à leurs enfants, et conséquemment la demande de la légitime étant une espèce » de petitio hereditatis, plusieurs auteurs en ont tiré cette conséquence, que pour > la demander par voie d'action, il faut être héritier au moins sous bénéfice d'in>> ventaire; Ricard, p. 3, no 978; mais tous conviennent qu'on peut la retenir » par voie d'exception, quoiqu'on ait renoncé à la succession. » 2 Le mot est de Bourjon, ibid., no 1v. Cf. nos I, LII, LIII at LVII du même auteur. V. encore la citation de Pothier, à la note précédente, et remarquons que la controverse que mentionne Pothier roulait uniquement sur la question aujourd'hui tranchée par l'article 921 du Code civil. C'est ce que prouve la citation que Pothier fait de Ricard. Maintenant, le Code civil a-t-il changé tout cela? C'est ce que nous allons examiner. SECTION II. - Code civil. 8. Oublions pour un moment tout ce qui a été dit sur la matière depuis cinquante ans, et examinons, sans prévention aucune, les textes correspondants de la coutume de Paris et du Code civil. Coutume de Paris. Art. 298. La légitime est la moitié de telle part et portion que chacun enfant eût eue en la succession desdits père et mère, aïeul ou aleule ou autres ascendants, si lesdits père et mère ou autres ascendants n'eussent disposé par donations entre-viss, ou dernière volonté. Sur le tout déduit les dettes et frais funéraux. Art. 304. Les enfants venant à la succession du père ou mère, doivent rapporter ce qui leur a été donné, pour avec les autres biens de ladite succession être mis en partage entre eux, ou moins prendre. Art. 307. Néanmoins, où celui auquel on aurait donné se voudrait tenir à son don, faire le peut, en s'abstenant de l'hérédité, la légitime réservée aux autres. Code civil. Art. 913. Les libéralités, soit par acte entre-vifs, soit par testament, ne pourront excéder la moitié des biens du disposant, s'il ne laisse à son décès qu'un enfant légitime; le tiers, s'il laisse deux enfants; le quart, s'il en laisse trois ou un plus grand nombre. Art. 843. Tout héritier, même bénéficiaire, venant à une succession, dolt rapporter à ses cohéritiers tout ce qu'il a reçu du défunt, par donation entrevifs, directement ou indirectement: Il ne peut retenir les dons ni réclamer les legs à lui faits par le défunt, à moins que les dons et legs ne lui aient été faits par préciput et hors part, ou avec dispense du rapport. Art. 845. L'héritier qui renonce à la succession peut cependant retenir le don entre-viss, ou réclamer le legs à lui fait, jusqu'à concurrence de la quotité disponible; l'excédant est sujet à rapport. Sauf les différences de chiffre, qui dépendent entièrement de l'arbitraire du législateur, il m'est impossible de voir entre ces deux rédactions le principe d'aucune différence doctrinale. Le Code (art. 913) fixe la quotité disponible; la coutume (art. 298) fixe la légitime, que Bourjon appelle la portion indisponible. Ce sont deux termes corrélatifs : augmenter l'un, c'est diminuer l'autre, et réciproquement; je ne puis voir là qu'une différence de rédaction tout à fait insignifiante, et c'est là pourtant que l'on veut voir la base d'un changement radical apporté à la doctrine longuement mûrie, sagement élaborée de l'ancien droit commun de la France. 9. Pour trouver le fondement de cette prétendue innovation, je ne puis mieux faire que de consulter les motifs de l'arrêt Laroque de Mons; car l'incroyable autorité de cet arrêt a entraîné à sa suite les auteurs les plus distingués, et cette autorité est encore aujourd'hui rétorquée contre l'autorité bien plus sérieuse des arrêts contraires de la Cour de cassation depuis plus de vingt ans. Or, pour fonder cette innovation radicale, je trouve dans les motifs de l'arrêt deux articulations: 1o Une articulation précise. Dans l'ancien droit, dit la Cour, ou plutôt M. Porriquet, conseiller rapporteur, la quotité disponible << n'était pas limitée; la donation, à quelque somme qu'elle >> montat, n'était sujette à retranchement que jusqu'à concur>> rence de ce qui était nécessaire pour fournir à chacun des en>> fants sa légitime personnelle; enfin, la légitime de l'enfant qui > renonçait profitait au donataire universel, et n'était pas dé>> volue par droit d'accroissement aux cohéritiers du renon» çant. >>> Cette articulation constitue une erreur matérielle; elle est ex pressément et directement contredite par Ricard, Lebrun et Bourjon, aux passages cités tout à l'heure (suprà, no 7). 2o Je trouve dans l'arrêt cette articulation vague: « La légi» time étant considérée comme une dette, une pension alimen>> taire due par les père et mère à leurs enfants, on pouvait sup>>> poser qu'en leur faisant une donation ils avaient eu pour but >> principal de se libérer de cette dette; de même que les enfants, >> en l'acceptant, avaient voulu sans doute l'imputer sur ce qui >> leur était dû..... Mais les principes de cette ancienne législa» tion sont évidemment inconciliables avec ceux du Code civil, » qui au lieu de ne donner à chacun des enfants, pour sa légi>> time, qu'une créance personnelle affectée sur les biens, leur >> donne à tous collectivement la succession tout entière. >>> Autre erreur historique dont les défenseurs mêmes de l'arrêt |