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tirai d'ici? Saladin lui répondit : Hugues, vous m'attestez sur votre foi que vous reviendrez, et que dans deux ans d'ici, sans faute, vous aurez rendu votre rançon, ou que vous rentrerez en prison? Ainsi vous pourrez partir. Sire, reprit-il, votre merci ; et tout ainsi je le promets.

Alors il demande congé, et veut s'en aller en son pays; mais le roi l'a pris par la main et en sa chambre l'a mené, et l'a prié fort doucement: Hugues, dit-il, par cette foi que tu dois au Dieu de ta loi, instruis-moi; car j'ai envie de bien savoir comment se font les chevaliers.

Beau sire, dit Hugues, je ne ferai, et je vous dirai le pourquoi. Le saint ordre de chevalerie serait sur vous mal placé; car vous êtes de la mauvaise foi, et n'avez ni baptême, ni foi; et je ferais grande folie si je voulais vêtir un fumier de drap de soie. Je ferais méprise si sur vous je mettais un tel ordre, et je ne saurais l'entreprendre, car j'en serais blámé.

» Là, Hugues, dit-il, vous ne le ferez pas? Il n'y a point de mal à vous de faire ma volonté; car vous êtes mon prisonnier.

» Sire, puisque je ne puis m'y refuser, je le ferai sans retard. › Alors il commence à lui enseigner tout ce qu'il doit faire; lui fait bien arranger les cheveux, la barbe, le visage, comme il convient à un nouveau chevalier; puis le fait entrer dans un bain. Lors le soudan commence à demander ce que cela signifie. Hugues de Tabarie répond: Sire, ce bain où vous vous baignez signifie que comme l'enfant sort des fonds pur de péchés quand il vient de recevoir le baptême; ainsi vous devez sortir de là sans nulle villenie, et prendre un bain de courtoisie, d'honneur, de bonté. Ce commencement est très-beau, par le grand Dieu! dit le roi.

› Après qu'on l'a du bain ôté, il se couche dans un beau lit qui était fait à grand plaisir. Hugues, dites-moi sans faute la signification de ce lit. Sire, ce lit veut dire qu'on doit par sa chevalerie conquérir en paradis la place que Dieu octroye à ses amis. C'est là le lit du repos; qui n'y sera pas sera bien sot.

› Quand il fut resté un peu dans le lit, il se vêtit de draps blancs, qui étaient de lin. Lors Hugues lui dit en son latin: Sire, ne tenez pas à mépris ces draps blancs; ils vous donnent à entendre que chevalier doit tendre à conserver sa chair pure s'il veut arriver à Dieu.

» Après il lui remet une robe écarlate. Saladin s'étonne fort de cela; Hugues, dit-il, que signifie cette robe?-Sire, cette robe vous donne à entendre que votre sang devez répandre pour sainte Eglise défendre, afin que nul ne puisse mal faire; car chevalier doit faire tout cela, s'il veut plaire à Dieu.

» Après, il lui chaussa des souliers d'étoffe noire, et lui dit: Sire, sans faute, ceci vous avertit que vous ayez toujours en mémoire la mort et la terre où vous serez gisant, d'où vous venez et où vous irez. Vos yeux doivent la regarder, afin que vous ne tombiez en orgueil; car orgueil ne doit pas régner dans un chevalier; il doit toujours tendre à la simplicité. Tout cela est fort beau à entendre, dit le roi, et il ne me déplait pas. Après se leva debout, puis se ceignit d'une ceinture blanche; ensuite Hugues lui mit deux éperons à ses deux pieds, et lui dit : Sire, tout ainsi que vous voulez que votre cheval soit animé à bien courir quand vous frappes des éperons, ces éperons signifient que devez avoir à cœur de servir Dieu toute votre vie.

Alors il lui ceignit l'épée; et le poète poursuit de la sorte, en exposant alternativement les actes extérieurs et les enseigne

ments.

RELIGION.

Qui aurait pu, dans des siècles que l'on appelle de fer, suggé rer tant de sentiments délicats, si ce n'eût été l'Eglise? Comme elle avait fait des autres éléments de la société, elle s'empara de celui-ci pour l'épurer de sa partie matérielle, et s'en fit un soutien et une arme. Elle en consacra l'initiation par ses rites, lui donna pour tâche de consolider la paix et de répandre une morale pleine de dignité; elle lui montra comme le champ de bataille le plus noble celui des croisades, comme le devoir le plus sacré la défense de l'autorité, de la puissance, et des possessions ecclésiastiques; enfin elle institua les ordres religieux. Aussi les chevaliers étaient réputés eux-mêmes comme ayant quelque chose de sacré, une certaine portion du sacerdoce. Bayard, blessé mortellement, se confesse à un de ses compagnons d'armes. Les princes français prisonniers avec saint Louis en Egypte, voyant entrer leurs bourreaux, se mettent à se confesser entre eux. Et moi, dit

Joinville, je ne me recordais de mal ou péché que j'eusse commis oncques; je ne pensois qu'à recevoir le coup mortel; et je m'agenouillai aux pieds de l'un d'eux, tendant le cou, et disant, en faisant le signe de la croix: Ainsi mourait sainte Agnès. A côté de moi s'agenouilla messire Guy d'Ebelin, connétable de Chypre, et se confessa à moi, et je lui donnai l'absolution, autant que Dieu m'en accordait la faculté; et quand je fus levé, je ne me souvins plus d'un mot.

Le mamelouck Octaï voulut alors que saint Louis le consacrât chevalier; sur son refus, le musulman dirigea contre lui son cimeterre, en lui disant d'un ton menaçant: Ne sais-tu pas que je suis maître de la vie? Fais-loi chrétien, répondit Louis, et je te

ferai chevalier.

Souvent au milieu du bruit des armes les chevaliers se changeaient en missionnaires, tantôt prêchant le Christ dans les cours d'Orient, tantôt donnant la vie spirituelle aux payens dont leur fer tranchait les jours. La poignée de leur épée était en forme de croix, et ils y jetaient dévotement les yeux, en invoquant Dieu au fort de la mêlée, ou la pressaient sur leurs lèvres mourantes comme Bertrand du Guesclin, ou bien la présentaient à baiser à un compagnon, à un ennemi blessé. Roland baptise Ferragus expirant, comme Tancrède sa Clorinde chérie.

AVENTURES.

Si toutes les circonstances de la vie au moyen-âge étaient accompagnées de symboles expressifs, à plus forte raison devait-il en être ainsi de l'existence du chevalier. Une fois entré dans l'ordre, il se mettait en quête d'aventures, paré d'une écharpe ou d'un ruban, don de la dame de ses pensées, ou arborant sur ses vêtements une couleur qui exprimait l'état de son âme; de jeunes guerriers d'illustre famille couvraient parfois leur écu afin qu'on ne vit par leur blason, jusqu'à ce que les coups de lance de leurs adversaires eussent déchiré le voile. Ils couraient ainsi les villes et les campagnes, cherchant des périls et des fatigues; ou visitaient des cours étrangères, surtout celles d'Espagne, pour combattre les Maures et teindre leur épée dans le sang des infi

dèles. On les voyait aussi aller au loin pour trouver quelque chevalier renommé, afin d'essayer contre lui leur valeur; ou défier sur leur chemin celui dont l'apparence leur annonçait un vigoureux joûteur; et ils accouraient aux tournois pour y faire retentir le nom de leur dame, être proclamés la terreur des héros et l'amour des belles. Dans de sombres vallons, dans des cavernes sauvages, ils rencontraient parfois de gentilles damoiselles, des chevaliers fameux, avec qui ils faisaient preuve de courtoisie et de courage. Le soir, ils sonnaient la cloche d'un ermitage ou d'un couvent, et la valeur recevait un asile de la charité religieusc. Ou bien, s'ils se trouvaient dans le voisinage d'un château, le cor annonçait de loin leur arrivée, le pont s'abaissait, la dame et la demoiselle du manoir désarmaient leur hôte, et lui préparaient le bain, les eaux odorantes et les vins généreux. Lui plaisait-il de se faire connaître? il recevait le tribut de louanges dù à son mérite, et le troubadour chantait ses prouesses durant le banquet. Préférait-il cacher qui il était? il couvrait son écusson et ne s'annonçait que sous quelque titre mystérieux, comme le chevalier de la lance d'or, de la pénitence, de l'écu blanc.

Mais parfois le château avait pour maître un félon; un jaloux qui retenait captive une beauté sans pareille; un tyran qui imposait des conditions terribles à ceux qui mettaient le pied sur ses domaines. Le chevalier, repoussé du manoir, jetait alors le gant au châtelain discourtois, content de s'exposer lui-mème pour délivrer ceux qui souffraient. Il lui arrivait aussi d'être reçu dans quelque forteresse, où des salles tendues de noir, des géants menaçants, des bruits nocturnes, des spectres, des trappes perfides, des prestiges d'une puissance inconnue, mettaient sa fermeté à de rudes épreuves. Apprenait-il qu'un être faible était sous le coup d'une accusation? Une belle dame sans défense était-elle citée en jugement? il accourait, et prouvait, l'épée à la main, que l'accusateur en avait menti, sauvant ainsi ceux qui étaient victimes de la calomnie. Parfois, il ne dédaignait pas d'allier le métier de jongleur à celui de guerrier; et Taillefer, tout renommé qu'il était dans le métier des armes, chantait, lançait son épée en l'air, et la rattrapait en galoppant à bride abattue.

De retour enfin après de longues courses au château de son

seigneur, il faisait en détail le récit de ses aventures, non moins sincère lorsqu'elles avaient tourné à son désavantage que lorsqu'il en était sorti heureusement. I revenait ensuite au manoir paternel, où il suspendait dans la salle les pièces de son armure, en témoignage de ses exploits; et, en les montrant à ses fils, il leur racontait les périls qu'il avait courus. Ceux-ci les répétaient avec orgueil, et, pour en rehausser la gloire, y ajoutaient des difficultés nouvelles, où figuraient d'ordinaire force magiciens et magiciennes, faisant assaut d'enchantements.

Si le chevalier mourait sur le champ de bataille, tous ses frères d'armes en deuil lui rendaient avec solennité les derniers devoirs. Tombait-il loin de sa patrie? un compagnon, un écuyer l'inhumait au pied d'un arbre centenaire, au tronc duquel il suspendait ses armes et son bouclier, pour conserver son nom et sa gloire. Les chevaliers croisés étaient inhumés couverts de leur armure, avec les jambes en croix; et c'était ainsi qu'ils étaient représentés sur leurs tombeaux. Brandimart meurt en combattant les ennemis de la France et de la religion; le ciel s'ouvre, et sur la terre les larmes des héros les plus illustres, de l'ami le plus dévoué, de la plus tendre amante, l'accompagnent dans la tombe, sur laquelle croîtront des fleurs nouvelles. Svend, la gloire et l'appui de son vieux père le roi de Danemark, périt sur la terre qu'un Dieu arrosa de son sang, avec ses compagnons venus des extrémités du Nord, pour délivrer la Palestine, ou mourir. Il est tombé avec sa fidèle Florine, qui n'a pas voulu sc séparer de lui, et Dieu envoie les ermites du Carmel élever un tombeau digne du corps où habita une âme si noble; et son épée est envoyée à celui qui est destiné à le venger.

VOEUX.

Indépendamment de leurs devoirs généraux, les chevaliers s'obligeaient souvent par des vœux particuliers, comme celui de visiter des sanctuaires célèbres, de suspendre dans des temples ou dans des monastères, soit leurs armes, soit celles de leurs ennemis vaincus, de jeûner ou de s'imposer telle autre pénitence. Ces vœux consistaient aussi en exploits guerriers, comme

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