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CHAPITRE XXXII.

CY FAIT MENTION ET SONT DÉCLARÉS LES CHAPITRES DES ARMES QUE MESSIRE JACQUES DE LALAIN ENVOYA EN

PLUSIEURS ROYAUMES.

PREMIÈREMENT S'ensuit le premier chapitre, qui dit: Qui touchera à mon emprise, sera tenu de moi délivrer selon le contenu de mes chapitres, pourvu qu'il soit gentil-homme de toutes lignées et sans reproche.

Le second chapitre est: Que chacun de nous deux sera armé de harnas, tels qu'on a accoutumé de porter à faire armes à pied, et se fournira chacun du

sien.

l'un

Le troisième chapitre est: Que nous combattrons de hache ou d'épée, tant et si longuement que de nous deux soit porté par terre de tout le corps.

Le quatrième chapitre est : Que s'il avient que je sois porté par terre, dont Dieu ne veuille je serai tenu de moi aller rendre à la dame ou damoiselle où celui qui m'aura porté jus me voudra envoyer, à laquelle je serai tenu de donner pour ma finance un diamant du prix de cinq cents écus.

Le cinquième chapitre est: Si ainsi étoit que Dieu et celle qui a plus de pouvoir sur moi que nulle. chose en ce monde, me donnât aventure de porter aucun chevalier ou écuyer par terre, en ce cas il

sera tenu d'envoyer son gantelet là où je lui ordonnerai, i, par un officier d'armes, lequel sera tenu de certifier les armes telles qu'elles auront été faites.

Le sixième chapitre est: Si en faisant les dites armes, il avenoit que l'un de nons deux fut dégarni de sa hache en combattant, celui à qui il aviendra le premier, sera tenu de donner à son compagnon un diamant.

Le septième chapitre est: Que nous combattrons de hache et d'épée telle que chacun de nous voudra porter selon la façon accoutumée à combattre à pied: sans croc, ou nul autre mal engin quelconque.

Le huitième chapitre est : Que les dites armes à pied dessus déclarées, faites et accomplies, au cas que le plaisir de mon compagnon sera de faire armes à cheval, et me voudra de ce requerre, je serai prêt le tiers jour après ensuivant, pour le délivrer ce jour autant de courses de lances qu'il lui plaira, et par la manière ci après déclarée, pourvu que je n'aie essoine (empêchement) de mon corps, telle que je ne puisse bonnement porter armes, ou autre excusation raisonnable.

Le neuvième chapitre est: Que nous serons armés de harnas accoutumés de porter à faire armes à cheval, doubles ou saingles (simples), sans targe ou écu, ainçois (mais) chacun de nous serons sans arrêt avantageux et sans attacher longe à la selle.

Le dixième chapitre est: Que nous courrons à la toile, et de lances pareilles, et de chacune lance tant et si longuement qu'elles seront rompues par

le fust (bois), ou par le fer, soit esgrannie (brisée) d'un doigt ou du moins.

Le onzième chapitre est: Pour faire les armes dessus dites et les accomplir de point en point selon le contenu de mes chapitres, j'ai élu le très excellent et très puissant prince le roi de Castille, auquel je supplie très humblement qu'il lui plaise de sa bénigne grâce moi faire honneur et moi accorder ma dite requête.

Le douzième chapitre est : Que, afin que chacun ait vraie connoissance que les choses dessus dites meuvent de ma propre volonté, et que je les veux faire et accomplir, Je, Jacques de Lalain dessus nommé, ai fait sceller ces présents chapitres, du scel de mes armes, et signé de ma main, le vingtième jour de Juillet, l'an mil quatre cents quarante six.

CHAPITRE XXXIII..

COMMENT MESSIRE JACQUES DE LALAIN SE PARTIT DE LA COUR DE FRANCE, ET VINT EN NAVARRE DEvers le ROI, OU IL FUT BIEN REÇU ET FESTOYÉ DU ROI, DU PRINCE ET DE LA PRINCESSE DE NAVARRE, LAQUELLE ÉTOIT SQEUR Au dug de ClèVES.

MESSIRE Jacques de Lalain, qui étoit pour lors en l'âge de vingt trois ans, voyant qu'en la cour du roi de France, ne s'étoit apparu nul pour venir tou

cher à son emprise, pensa de soi partir en intention d'aller chercher tous les royaumes chrétiens, l'un après l'autre; et voulut, après le royaume de France, tenir son chemin vers les Espagnes, où sont plusieurs royaumes: pourquoi il élut à juge, au-dessus de tous, le roi de Castille. Et pour ce que tout son désir et vouloir étoit d'achever sa quête et accomplir son emprise, voyant que pour lors la demeure le retardoit de parvenir à son intention, il prit congé du roi de France et des princes et barons de sa cour; si s'en partit, et chevaucha tant par ses journées, lui et ceux de sa compagnie, qu'il vint en la cité de Bordeaux, laquelle pour lors étoit Angloise et obéissante au roi d'Angleterre.

Quand messire Jacques y fut arrivé, le maire de la cité, nommé messire Guillaume de Clinton, messire Gillotin de Lansacq, et Mondon de Lansacq son frère, ensemble avec eux l'archevêque de Bordeaux, le reçurent honorablement, lui et ses gens, comme s'il eut été de l'hôtel du roi d'Angleterre: de quoi celui messire Jacques fut très joyeux; et avoit bien cause de l'être; car depuis qu'il s'étoit parti de ses marches, il n'avoit été si grandement festoyé, ni plus honoré, que pour ce temps il fut en la cité de Bordeaux. Si en mercia le mayeur (maire), l'archevêque et les seigneurs, ensemble les bourgeois et la communauté de la cité, qui de tous points le deffrayèrent et décoûtagèrent, lui et tous ses gens. Puis ayant pris congé à eux tous, se partit de la ville; et prit son chemin pour aller vers le royaume de Navarre, où pareillement il avoit envoyé ses

chapitres, comme il avoit fait par les royaumes chrétiens de Castille, d'Arragon, de Portugal, et en plusieurs autres lieux, où il avoit pu penser qu'il dut être délivré d'avoir achevé son emprise: lesquels chapitres et sa venue, il avoit par tout fait noncer par un officier d'armes; et avec ce les faisoit avertir qu'en nul lieu on ne le pouvoit ni devoit détenir, plus avant que le contenu de ses chapitres porte.

Tant exploita celui messire Jacques, et toute sa compagnie, qu'il entra au royaume de Navarre, où il enquit, et fit enquerre par ses gens, où il trouveroit le prince et la princesse. Il lui fut dit qu'ils étoient pour ce temps séjournants en la ville de Pampelune; et que pour lors le roi de Navarre (1) n'y étoit pas, mais s'étoit allé ébattre en aucunes de ses villes, sur les frontières de Castille. Puis quand messire Jacques fut du tout averti, il prit son chemin vers Pampelune, pour aller devers le prince et la princesse, et aussi pour sçavoir s'il y auroit chevalier, ou aucun homme de noble extraction, qui voulsit (voulût) toucher à son emprise, qui étoit telle, comme ci-dessus m'avez ouï déclarer; c'est à sçavoir, qu'il portoit en son bras dextre un riche bracelet d'or, où étoit attaché un couvrechef de plaisance, où tous chevaliers et écuyers nobles de quatre lignées, sans nulle vilaine reproche, pouvoient toucher: et

(1) Jean II, second fils de Ferdinand roi d'Aragon et de Léonore d'Albuquerque, et successeur de Charles III. Il épousa en 1447, en secondes noces, Jeanne, fille de Frédéric Henriquez amirante de Castille.

J. A. B.

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