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moyennant ce, celui messire Jacques de Lalain promettoit de faire, fournir et accomplir le contenu de ses chapitres.

CHAPITRE XXXV.

COMMENT UN CHEVALIER DE NAVARRE, NOMMÉ MESSIRE Jean de Lusse, REQUIT AU PRINCE QU'IL LUI DONNAT LICENCE DE FAIRE ARMES ▲ l'encontre DE MESSIRE JACQUES DE LALAIN: LAQUELLE REQUÊTE FUT REFUSÉE

AU CHEVALIER.

QUAND le prince et la princesse de Navarre furent avertis de la venue de messire Jacques; ils envoyèrent au devant de lui Janmedis, grand écuyer d'écuyerie de mon dit seigneur le prince, et plusieurs autres nobles hommes, chevaliers et écuyers de son hôtel, les quels reçurent le dit messire Jacques en grand honneur et révérence: durant lequel temps et en ce même jour, vint pardevers monseigneur le prince un noble chevalier, nommé messire Jean de Lusse, lequel se mit à genoux aux pieds de mondit seigneur le prince et lui dit: « Mon très redouté seigneur, il est bien en votre noble mémoire, comme autrefois je vous ai prié et requis de me donner licence d'aller voir et chercher certaines lointaines marches et royaumes, comme celle de France et d'Angleterre; en portant aucune emprise d'armes, afin de voir et connoître aucuns nobles che

valiers et écuyers, et avoir acointance à eux, en espérance d'en mieux valoir, et moi faire à connoître; et aussi d'acquérir bonne renommée pour l'exaucement de la maison d'où je suis parti. Or est ainsi, mon très redouté seigneur, qu'il ne m'est jà besoin de moi grevet travailler, ni mettre en peine d'acquérir cette aventure, quand je la puis trouver, au cas que ce soit votre bon plaisir, en celui royaume de Navarre; car il m'a été dit, qu'un noble chevalier, partant de bonne maison et sans reproche, est arrivé en ce royaume portant emprise où tous nobles chevaliers et écuyers sans reproche peuvent toucher: parquoi, mon très redouté seigneur, je le cuide (crois) être, et m'en tiens pour un d'iceux sans jamais avoir fait faute nulle, parquoi je puisse avoir vilaine reproche. Je vous prie et requiers humblement, que, comme bon seigneur doit faire à son léal sujet, vous me donnez congé et licence de pouvoir toucher à l'emprise d'icelui gentil chevalier. »

Quand le prince de Navarre entendit le vouloir et noble courage du chevalier, il lui répondit moult courtoisement et dit: « Messire Jean de Lusse, vous sçavez assez que monseigneur le roi d'Arragon et de Navarre, n'a été, ni encore est en rien averti de ces besognes,ni aussi de la venue d'icelui chevalier; et d'autre part sçavez, ou devez sçavoir, que les maisons de Navarre et de Bourgogne sont si fort alliées, tant par ma sœur comme par ma compagne; que je tiens et sçais pour certain que monseigneur le roi ne voudra pour rien souffrir de laisser faire aucunes armes à ceux de la maison de

Bourgogne, à l'encontre de ceux de la maison d'Arragon et de Navarre: mais toutes fois, messire Jean de Lusse, je vous remercie de l'honneur et grand courage que vous avez envers la maison d'Arragon et de Navarre. Et s'il avenoit que ce fut le bon plaisir du roi mon père, qu'il y ait aucuns barons ou chevaliers de ses royaumes, qui fassent armes contre celui messire Jacques de Lalain, je serai celui qui en prierai pour vous à monseigneur le roi mon père; et de ma part le consentirai, que devant tous autres vous soyez le premier: mais je sais bien que cette chose ne voudroit souffrir. Et pourtant soyez content, et n'en parlez plus. Mais voulons que vous et tous autres, au dit messire Jacques de Lalain faites honneur, plaisir et bonne chère; car ainsi nous plait-il être fait. » Quand messire Jean de Lusse eut ouï la réponse du prince de Navarre; et qu'autre chose n'en put avoir: il se tint atant (alors), et l'en convint souffrir.

CHAPITRE XXXVI.

COMMENT LE PRINCE ET LA PRINCESSE DE NAVARRE RE. CURENT HONORABLEMENT ET FESTOYÈRENT MESSIRE JACQUES DE LALain.

QUAND messire Jacques de Lalain fut environ à demie lieue de Pampelune; le grand écuyer du prince, et grand'foison de chevaliers et écuyers de

l'hôtel du prince de Navarre, lui vinrent au devant, et le reçurent moult honorablement, en lui disant que de sa venue le prince de Navarre et la princesse étoient moult joyeux, et qu'il fut le très bien venu au royaume de Navarre. Messire Jacques de Lalain, duit (instruit) et appris des honneurs mondains, autant qu'homme de son âge, les remercia; si les toucha par les mains; puis tout devisant et faisant chère joyeuse, entrèrent tous ensemble en la cité de Pampelune. Si vinrent tous ensemble descendre devant le palais et hôtel du prince; puis l'adextrèrent et conduirent grand'foison de chevaliers et écuyers, jusques dedans le palais, où ils trouvèrent le prince et la princesse, qui bénignement et à grand'joye reçurent messire Jacques de Lalain et tous ceux de sa compagnie. Celui messire Jacques leur fit la revérence, comme à eux appartenoit et comme celui qui bien le sçavoit faire. Puis après fit les recommandations de par mon très redouté et souverain seigneur monseigneur le duc de Bourgogne, ainsi comme il lui avoit été chargé de faire. Grand honneur et fête par le prince et princesse de Navarre fut faite à messire Jacques de Lalain et à tous ceux qui avec lui venus étoient.

Après ce que le dit messire Jacques fut ainsi honoré et reçu, il fut conduit en son hôtel et logis par messire Jean de Beaumont, et messire Pierre de Peraltre seigneur de Mazilles, et plusieurs autres nobles hommes, qui le festoyèrent moult grandement et honorèrent. Puis après ils

prirent congé de lui, et s'en partirent; si le laissèrent en son hôtel avec ses gens, avec lesquels il fut cette nuit en grand'joie et soulas, moult joyeux de l'honneur et grand'chère qui par le prince et la princesse avoit été faite à lui et à toute sa compagnie. Cette nuit, fut moult richement servi de plusieurs mets et entremets; car messire Jacques de Lalain avoit retenu avec lui à son souper plusieurs chevaliers et écuyers de l'hôtel du prince; et ausssi le prince leur avoit commandé de ce faire, afin de complaire et faire honneur à messire Jacques. Après que le souper fut accompli, ils se mirent à deviser, en enquérant l'un à l'autre de ce qui pour l'heure leur venoit à plaisir. Assez et grand' espace se devisèrent ensemble; et tant qu'il fut temps d'aller coucher. Si prirent congé l'un à l'autre, et allèrent chacun en son lieu.

Ainsi comme vous oez (entendez)ils passèrenticelle nuit,jusquesà lendemain matin, et que chacun d'eux furent prêts, et appareillés. Puis assez tôt après vinrent devers eux les dessus nommés seigneurs; et dirent au ditmessire, Jacques qu'ils étoient là venus pour le conduire et mener jusques devers le prince et la princesse; et lui dirent: « Messire Jacques de Lalain, monseigneur et madame, ensemble tout leur conseil, vous attendent en la chapelle, afin que venez ouïr la messe avec eux. » Lors répondit messire Jacques de Lalain et dit: « Messeigneurs, l'honneur que monseigneur le prince et madame me font, je ne l'attribue pas à moi, mais à mon très redouté et souverain seigneur, monseigneur le duc

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