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nul qui osât toucher à son emprise, s'il ne vouloit offenser et aller à l'encontre du commandement du prince,lui qui désiroit de poursuivre saquête et aller vers le roi de Castille, et autre part, par tous les royaumes, ès quels par un héraut il avoit envoyé tous les chapitres servants à son emprise, et ainsi avoit fait sçavoir sa venue, vint devers le prince de Navarre et la princesse, eux requérir d'avoir congé et licence de soi partir, en leur remerciant des grand honneurs et bonne chère qui à lui et à ses gens avoient été faits de par eux, soi offrant que toujours mais il étoit leur serviteur, et leur priant que pour tel le voulsissent (voulussent) tenir: car impossible lui seroit de leur pouvoir rendre cette courtoisie et honneur: disant qu'au plaisir de notre seigneur, que, lui retourné devers le duc de Bourgogne son souverain seigneur, il l'en remercieroit grandement.

Quand le prince et la princesse ouïrent messire Jacques de Lalain ainsi parler, et que sa volonté et intention étoit de soi partir, le prince le prit par la main et lui dit: « Messire Jacques, nous sçavons bien votre emprise et la volonté qu'avez de faire; nous ne vous voudrions destourber (troubler) ni empêcher votre allée: et si faire se pouvoit nous aimerions mieux votre séjour que votre département. Mais puis qu'ainsi est que votre plaisir est tel, nous sommes contents, et prions Dieu qu'il vous veuille conduire. » Lors le prince le prit par l'une de ses mains, et la princesse par l'autre. Si baisa la princesse au départir, et aussi fit il toutes les dames et

à

damoiselles. Après le congé pris du prince et de la princesse, messire Jacques de Lalain retourna en son hôtel, accompagné de grand'foison de chevaliers et écuyers, desquels il fut conduit et mené jusques en son hôtel. Puis assez tôt après que ceux qui avoient la conduite de sa dépense eurent compté à leur hôte, le maître-d'hôtel du prince deffendit à l'hôte et à l'hôtesse que rien ne fut pris, ni or, ni argent, de ce que léans messire Jacques de Lalain et ses gens avoient dépendu. Et par tous les lieux où il passa par le royaume de Navarre, il fut défrayé de tous points, et mêmement tous ceux qui avec lui étoient. Quand il fut prêt, il monta à cheval; si trouva devant son hôtel grand'foison de chevaliers et écuyers, qui le convoyèrent assez grand' espace. Puis prirent congé de lui, et lui baillèrent gens pour le guider, jusques à ce qu'il fut issu du royaume de Navarre, et entré au royaume de Castille. Alors il donna congé aux guides qui l'avoient conduit et leur donna largement le vin, et tant qu'ils furent bien contents; de quoi à leur retour ils en remercièrent le prince et la princesse de Navarre.

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CHAPITRE XXXVI.

COMMENT MESSIRE JACQUES DE LALAIN VINT A LA COUR DU ROI DE CASTILLE, ET COMMENT MESSIRE DIEGO DE GUSMAN TOUCHA A SON EMPRISE.

QUAND messire Jacques de Lalain fut issu hors du royaume de Navarre et qu'il fut entré en Castille, it enquit assez et demanda où pour lors il pourroit trouver le roi: il lui fut dit par gens croyables, qu'il étoit à séjour en la ville de Sorie, où il avoit mandé être par devers lui les trois états de son royaume. Si avoit avec lui grand nombre de ducs, marquis et comtes, et très grand nombre de chevaliers et écuyers. Or advint que par aucuns nobles hommes le roi () fut averti de la venue de messire Jacques de Lalain: il envoya au devant de lui le comte de Gusman, le grand maître de Calatrave, messire Jean de Lune, et plusieurs autres chevaliers et écuyers, en très grand nombre, lesquels tous ensemble lui firent grand honneur et reception, et lui dirent que de sa venue le roi étoit très joyeux, et qu'en son royaume il fût le très bien venu. « Seigneur, dit messire Jacques de Lalain, je remercie humblement le roi, et vous tous de l'honneur que vous me faites; Dieu me doint (donne) par sa grâce faire chose qui lui soit agréable! » Alors tous, l'un après

(1) Jean II fils de Henry III. et de Catherine de Lancastre. J. A. B.

l'autre le touchèrent en la main; et aussi firent ils tous ceux de sa compagnie. Puis tous ensemble se mirent à chemin vers la ville de Sorie, et firent loger messire Jacques en un hôtel de la ville, qui pour lui étoit appareillé et ordonné et richement tendu de tapisseries: car deux jours auparavant il avoit envoyé ceux qui avoient la charge de sa dépense, pour le pourvoir et ordonner selon ce que mestier (besoin) étoit à eux tous: car il y pensoit faire long séjour.

Or advint ainsi; comme messire Jacques et sa compagnie, et ceux qui au-devant de lui étoient venus, tiroient le chemin pour venir à Sorie, au logis, à eux ordonné, vint au-devant de lui un chevalier nommé messire Diego de Gusman, frère du comte qui étoit avec lui venu; et en soi approchant de messire Jacques de Lalain lui dit: «< Monseigneur mon beau frère et chevalier, vous soyez le très bien venu: de votre venue je loue Dieu mon créateur, quand de sa grâce il lui à plu m'avoir fait trouver à mon huis, ce que j'avois intention d'aller querre en plusieurs royaumes, et provinces; de laquelle chose assez de fois ne pourrois avoir loué notre seigneur et vous. Toutefois, mon beau frère et chevalier, j'ai été et suis averti de votre venue et emprise, par le héraut, lequel il vous à plu envoyer par deçà publier vos chapitres. Et pour ce que je sçais et connois que tout ce vous procède d'un très hautain courage d'honneur, j'ai tant fait pour vous alléger votre quête, que j'ai trouvé moyen d'avoir congé de très excellent et puissant prince, mon

très redouté et souverain seigneur monseigneur le roi de Castille; et aussi par votre congé et licence, et pour complaire à ma très aimée dame, je touche à votre emprise, pour faire fournir, et accomplir tous les articles, ainsi et par la manière que par votre héraut ont été prononcés et divulgués à la cour de mon souverain seigneur; ét serai prêt à mon pouvoir de les accomplir, tel jour qu'il me sera signifié de par mon très redouté et souverain seigneur le roi de Castille et de Léon.

CHAPITRE XXXVII.

COMMENT MESSIRE JACQUES DE LALAIN ALLA AU DEVANT DU ROI DE CASTILLE: ET DE LA CHÈRE ET HONNEUR QUE LUI ET SES BARONS LUI FIRENT.

APRÈS que l'emprise fut touchée par messire Diego de Gusman, fut amené celui messire Jacques lui et sa compagnie, jusques en son logis, où il fut moult honorablement reçu, et grandement conjoui par les gens du roi de Castille, auxquels il fut commandé qu'il fut festoyé;et que le lendemain messire Jean de Lune et celui messire Jacques seroient conduits et menés jusques à la ville de Valdolit (Valladolid); et que là il séjournât jusques à la venue du roi, et jusques à ce que le roi y eut autrement pourvu. Messire Jacques et messire Jean de Luue se partirent de Sorie, et chevauchèrent tant qu'ils vinrent à Valdolit (Valladolid), où ils furent

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