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reçus moult honorablement. Si logea icelui messire Jacques, en l'hôtel qui lui étoit ordonné, lui et ceux de sa compagnie; et illec (là), en attendant la veque du roi, fut moult grandement et honorablement festoyé des chevaliers, dames et damoiselles. Si advint qu'en briefs jours ensuivant, le roi de Castille fit sçavoir sa venue à ses chevaliers, qui conduisoient messire Jacques de Lalain, en leur commandant, qu'ils l'amenassent au-devant de lui, comme ils firent. Si amenèrent celui messire Jaeques en une grand'campagne, où ils trouvèrent le roi, qui faisoit courre deux taureaux, et avoit fait mettre sus, pour les verser et détruire, plusieurs gros alans (1), à la manière du pays. Puis quand messire Jacques approcha du roi, place lui fut faite, grande et large, afin que lui et ses gens pussent passer pour lui venir faire la révérence, laquelle il fit moult grandement, comme celui qui étoit duit et appris de le sçavoir faire. Lui venu en la présence du roi, se mit à un genouil, et lui dit:

« Très haut, très excellent et très puissant prince, je sçais et connois, qu'il est bien en votre royale mé moire, que par le congé et licence de mon très redouté et souverain seigneur, monseigneur le duc de Bourgogne; j'ai entrepris et extreprens, à l'aide de Dieu, porter une emprise d'armes par la plupart des royaumes chrétiens; dont il appert par un officier d'armes, lequel par votre congé et licence, l'a publié devant votre très noble et royale majesté. »-« Mes

(1) Sorte de chiens de chas c. J. A. B.

sire Jacques de Lalain, ce dit le roi, de ce que vous dites sommes assez avertis; vous nous soyez le bien venu.» Lors s'approcha du roi, et le roi le prit par la main en lui demandant des nouvelles.

le

Messire Jacques de Lalain, sachant autant comme chevalier de son âge des honneurs mondains, à tout ce que le roi lui enquit et demanda fit ses réponses si courtoisement et par si bonne manière, que nul ne l'en eut sçu reprendre; et tant que roi prenoit grand plaisir à l'ouir parler. Si le regarda moult fort: car sur tous hommes il sembloit bien être chevalier de haut affaire, comme il étoit. Ainsi tout chevauchant et devisant vint avec le roi, et en sa compagnie, jusques en la ville de Valdolit (Valladolid), et convoya le roi jusques en son palais. Puis prit congé du roi et vint en son hôtel, et le avec lui plusieurs chevaliers et écuyers qui par commandement du roi le convoièrent jusques en son hôtel, où il descendit. Puis prirent congé de messire Jacques de Lalain et retournèrent vers la cour du roi: mais assez tôt après retournèrent, pour tenir compagnie à messire Jacques qui leur donna cette nuit à souper et les festoya moult honorablement de tout ce que pour lors on sçut trouver en la ville de Valdolit. Puis quand ce vint après souper,ils eurent ensemble plusieurs devises, où ils furent assez bonne espace. L'heure venue, et qu'il fut temps d'aller coucher, les chevaliers et écuyers qui l'avoient accompagné au souper, prirent congé de messire Jacques et retournèrent chacun en son lieu. Puis quand ce vint le lendemain matin, que

messire Jacques fut prêt pour aller ouir messe aux prédicateurs, desquels il étoit assez près logé, vinrent vers lui les gens du roi de Castille qui l'accompagnèrent: et ainsi, par plusieurs jours qu'il séjourna en la ville, fut accompagné et visité par eux; car le roi de Castille très expressement leur avoit commandé de ce faire, et ainsi le firent, comme raison étoit; et le menoient et conduisoient par tous les lieux là où il lui plaisoit aller. Si advint qu'en certains et briefs jours, plusieurs grands ambassades, tant de France comme de Grenade et de Portugal, vinrent et arrivèrent en la ville de Valdolit (Valladolid): pour laquelle chose, et pour les ouir et dépêcher, le roi et son conseil furent fort occupés; et ne pouvoient bonnement entendre, ni bailler jour assuré pour faire et accomplir les armes entreprises des deux chevaliers. Si manda le roi à messire Jacques de Lalain en lui priant qu'il eut patience, et pour ce temps il ne pouvoit entendre de lui bailler jour și brief, comme il cuidoit (croyoit), pour aucunsgrands affaires qui lui étoient survenus: mais par iceux chevaliers lui manda et bailla jour d'être en celle ville de Valdolit; lui promettant que sans point de faute il y seroit en personne, pour par devant lui faire et accomplir leur emprise d'armes; et que durant ce temps, si c'étoit son plaisir, il se pourroit aller ébattre par le royaume de Castille, ou autre part, là où bon lui sembleroit.

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CHAPITRE XXXVIII.

COMMENT LE ROI DE CASTILLE DIT A MESSIRE JACQUES De Lalain, qu'il eut patience, ET QUE SI TÔT IL NE POUVOIT FAIRE SES ARMES: DE LAQUELLE CHOSE MESSIRE JACQUES SE CONTENTA, EN ATTENDANT LE JOUR; ET POUR PASSER TEMPS, S'EN ALLA VOIR LE ROI DE PORTUGAL.

QUAND messire Jacques de Lalain entendit par les chevaliers ce que le roi de Castille lui mandoit, il répondit moult courtoisement, qu'à la bonne heure ce fut, puis que c'étoit le bon plaisir du roi. Et moult lui tardoit, et eut bien voulu que la chose eut été plus briève; mais autre chose n'eu put avoir. Si lui convint souffrir et attendre l'espace de six mois. Et pour ce qu'il véoit que le temps se passoit et qu'il ne le vouloit perdre, il avisa en soi même, et dit à ceux qui étoient avec lui, que sa volonté étoit, en attendant le jour à lui assigné, de s'en aller ébattre au royaume de Portugal, pour voir le roi et la reine, et les barons et chevaliers du pays. Eux tous le louèrent moult fort, comme ceux qui désiroient à voir les contrées étranges, ainsi comme tous nobles hommes ont accoutumé de faire. Si s'apprêtèrent, ordonnèrent et préparèrent tout leur fait; puis se mirent à chemin. Lequel voyage messire Jacques fit savoir au roi, par les chevaliers qui toujours l'avoient accompagné; laquelle chose le

roi eut et tint pour agréable, et lui bailla gens pour le conduire et guider. Lors se partit messire Jacques, lui et sa compagnie, de la ville de Valdolit (Valladolid). Si y avoit assez près de son chemin une ville nommée Madrigal (Madrigelejo), à (dans) laquelle étoit la princesse de Castille, fille au roi de Navarre. Quand messire Jacques sçut qu'elle étoit là, il tira cette part et lui vintfaire la reverence, humblement lui présentant son service. La princesse moult bénignement et honorablement, elle, ses dames, damoiselles, ensemble les chevaliers et écuyers de son hôtel le reçurent, et moult hautement et honorablement le festoyèrent et virent volontiers:, et montroit la princesse semblant que de sa venue elle fut moult joyeuse, comme elle étoit: et bien y avoit raison, car de plus bel chevalier, plus doux, ni plus courtois on n'eut sçu querre, ni trouver en toute Castille.

Si le regardèrent toutes à grandes merveilles. Pour ce jour il étoit vêtu et paré d'une moult riche robe de cramoisi fourrée de martres zébellines, qui bien lui asséoit; il avoit le viaire (visage) frais et coloré, et jeune de vingt deux ans, et n'avoit encore barbe, ni grenon (moustache); il étoit blond, avoit les yeux vairs et riants, et si plaisants, qu'il n'y avoit celle, qui à ce jour n'eut bien voulu que son mari, ou ceux qu'elle aimoit le plus, eussent été semblables à lui. Et pour vérité dire, moi auteur de ce présent traité, en mon temps n'avois vu plus beau jeune chevalier, ni qui mieux semblât homme de haut affaire.

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