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de deux notables chevaliers; c'est à sçavoir de Jean de Lune, qui toute la journée le conseilla, et d'un autre chevalier de l'hôtel du roi; et avec ce étoit accompagné de plusieurs gentils-hommes de l'ambassade qui étoient venus de France par devers le roi de Castille, et d'aucuns de ses gentils-hommes de son hôtel, qui étoient de pied, tenants son cheval après lui par les rênes, et les autres entour de Jui. Si fessoit amener après lui un moult bel destrier, lequel son armoyeur amenoit ; et étoit celui destrier chargé de deux paniers, èsquels étoit le harnas de messire Jacques. Si étoient iceux paniers couverts d'un riche drap d'or. Et en cette manière vint jusques dedans les lices, et entra dedans son pavillon, où il s'arma tout à son aise. Puis après qu'il fut armé, il vint faire la revérence au roi et à la reine, et à tous les autres qu'il véoit être aux échaffauds.

Si s'en vint premièrement mettre à un genouil devant l'échaffaud du roi en lui disant: « Très haut, très excellent, très puissant prince, plaise sçavoir à votre royale majesté, que véez moi ci prêt et appareillé de faire, fournir et accomplir le contenu en mes chapitres, à l'aide de Dieu et de monseigneur Saint Georges, en vous requérant, très haut, très excellent et très puissant prince qu'il vous plaise à moi entretenir en toute bonne justice, ainsi comme j'ai ma parfaite fiance. » Lors le roi lui dit en la présence de ceux qui là étoient: « Messire Jacques de Lalain, vous soyez le très bien venu, et je le ferai volontiers. » Après cette réponse faite messire Jacques de Lalain se partit, retourna en son pavillon,

qui étoit de soie blauche moult richement armoyé de ses armes. Si se fit armer, et illec (là) attendit son champion, prêt pour accomplir le contenu en ses chapitres. Lors lui armé en son pavillon, ceux qui accompagné l'avoient, c'est à sçavoir plusieurs gentilshommes de l'ambassade de France, s'en partirent et allèrent monter sur les échaffauds qui pour eux étoient ordonnés.

CHAPITRE XLIV.

COMMENT MESSIRE DIEGO DE GUSMAN ENTRA DANS LES
LICES, POUR FAIRE ARMES A L'ENCONtre de
JACQUES DE LALAIN.

MESSIRE

AINSI ces besognes faites et ordonnées, arrivèrent de quatre vingts à cent hommes armés de toutes pièces, la lance en la main, lesquels, avec les autres paravant eux venus, furent ordonnés pour garder le champ de toutes oppressions. Puis assez tôt après en cette même heure, arrivèrent les gardes pour retenir les champions quand temps seroit. Si étoient dix gentils hommes sages et prudents, et qui en leur temps avoient beaucoup vu. Grande et longue espace messire Jacques de Lalain demeura en son pavillon en attendant son adverse partie, et fut bien trois heures après midi quand Diego de Gusman comparut au champ, lequel à cette heure qu'il y vint, étoit accompagné de plusieurs chevaliers et écuyers,

et de son frère messire Gonsalve de Gusman, qui étoit à son côté dextre, et de messire Philippe de Sul au côté sénestre. Si venoient après lui quatre hérauts de l'office d'armes, c'est à sçavoir deux hérauts et deux poursuivants, montés sur, quatre coursiers couverts jusques en terre; armoyés des armes des quatre lignes dont celui de Gusman étoit issu; et avoient vêtu iceux officiers d'armes chacun une cotte d'armes pareille, dont étoient couverts les dits quatre chevaux. Et en ce point, armé de toutes armes, celui de Gusman entra dedans le champ: puis tantôt après qu'il fut descendu devant son pavillon, ne demeura guères, qu'il vint faire la revérence au roi;et après ce qu'il eut fait la revérence au roi, et à la reine, il s'en retourna vers son pavillon.

Lors le connétable don Jean de Lune, fils de Alvaro de Lune, et le maréchal Pedro de Heras, commis et ordonnés juges d'icelles armes, firent sçavoir aux champions, que nul d'eux ne saillit hors de son pavillon jusques à la tierce fois que les trompettes auroient sonné, et puis quand la tierce fois seroit finie, et non devant, chacun d'eux issît hors de son pavillon; et ce fut publié à son de trompe, aux quatre cornes du champ. Lors après le cri et défenses faites, comme en tel cas appartient, les haches et épées des deux champions furent apportées par devers le juge; si fut trouvé que la hache de Diego étoit de mal engin, et qu'elle n'étoit pas telle comme ès chapitres étoit contenu. Si lui en fut baillée une autre, nonostant que messire Philippe de Sul s'en débattit assez.

Les haches et épées visitées, on fit trois cris et défenses de par le roi ès quatre coins des lices, et sonnèrent les trompettes, ainsi comme ordonné avoit été: mais à Diego de Gusman ne souvint de l'ordon nance faite par les juges; car au premier son de trompette, après ce qu'il fut fini, tout à l'étourdi, il saillit hors de son pavillon: mais ceux qui l'avoient à conseiller, noult bâtivement le prirent et le remenèrent en son pavillon: nonobstant ce au second son de trompette il en fit pareillement autant; et en fut le roi de Castille très mal content, et de l'échaffaud où il étoit, lui dit une laide parole et si haut que de chacun fut ouï.

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CHAPITRE XLV.

COMMENT MESSIRE JACQUES DE LALAIN ET MESSIRE DIEGO DF GUSMAN SE COMBATTIRENT A PIED, DEVANT LE ROI DE CASTILLE; ET S'EN PARTIT APRÈS LES ARMES FAITES MESSIRE JACQUES DE LALAIN, A SON TRÈS GRAND HON

NEUR.

QUAND messire Jacques de Lalain eut ouï sonner le tiers coup de la trompette, moult attemprement (promptement) et assurément se mit à l'huis (porte) de son pavillon: puis en faisant le signe de la croix, issit hors et prit sa hache de la main sénestre à la main dextre, et marcha environ quatre pas. Puis fit la revérence au roi, et à la reine. Et Diego Gusman très fièrement vint marchant à l'encontre de

lui, la visière baissée. Lors messire Jacques le voyant venir, sa visière levée encontremont, et voyant son ennemi approcher, eux deux ensemble se vinrent joindre; si se combattirent des haches, et se donnèrent de şi très terribles et horribles horions, si menus et si souvent, que des harnas qu'ils avoient armés, qui étoient fins, et acérés, le feu et les étincelles en sailloient. Et tant bien se combattirent et donnèrent de si crueux coups, que le roi et ceux qui là étoient regardants les armes, disoient entre eux que jamais les pareilles armes n'avoient vu faire. Messire Jacques de Lalain avisant la chaleur de son adversaire, tourna la pointe de sa hache d'en bas; si férit par trois coups l'un après l'autre dedans la lumière de Diego en telle manière, qu'il lui fit plaie en trois lieux au visage, jaçoit-ce-que messire Jacques eut la visière levée: si l'assèna du premier coup au sourcil sénestre, et l'autre au bout du front au côté dextre, et le tiers le férit au dessus de l'œil dextre: et depuis ne demeura guère la bataille d'eux deux, car Diego perdit sa hache par une secousse que messire Jacques lui fit. Puis quand celui Diego se sentit être désarmé de sa hache, vint vivement, bras étendus, par devers messire Jacques, pour le venir prendre par le corps et l'emporter hors des lices, comme il avoit intention de faire, et aussi comme il s'en étoit vanté deux mois paravant: mais messire Jacques percevant l'intention de son adversaire, afin que de plus près il ne l'approchât, étendit le bras sénestre, et de son poing, il rebouta celui Diego. En ce faisant jeta sa hache

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