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jus en le sablon, et mit la main à l'épée pour la tirer dehors.

Lors le roi de Castille voyant que le plus bel des armes étoit apparent plus à l'un côté qu'à l'autre, jaçoit-ce-que (quoique) tous deux avoient bien fait,jeta son bâton en bas, qui fut signifiance que les armes étoient accomplies. Alors les gardes du champ à ce ordonnés, se mirent entre deux et prirent les deux champions et les menèrent chacun en son pavillon. Puis après ce ne demeura guères que ledit messire Jacques de Lalain se vint présenter vers le roi en mettant le genouil à terre et lui dit: « Très haut, très excellent, et très puissant prince, je sçais assez en votre noble mémoire être, qu'il est vrai que j'ai dit en mes chapitres qu'au cas que je viderois sain hors des lices, les armes de pied accomplies, et que ce fut le vouloir de mon compagnon, que dedans trois jours après je le fournirois de quatre lances à rompre pour l'amour et faveur de madame. Pourquoi, sire, par votre noble congé et licence, me véez ci tout prêt de ce faire. » Alors le roi de Castille répondit et dit: « Messire Jacques de Lalain, sachez que dès maintenant nous tenons les armes de pied et de cheval pour faites et accomplies. » Et ajouta que de là en avant n'étoit son plaisir que plus en fissent, c'est à sçavoir l'un contre l'autre; mais eux deux contre deux autres, il étoit content qu'ils en fissent à leur volonté. Et dit encore de rechef: « Messire Jacques, vous avez très bien besogné. » Si commanda le roi à descendre de l'échaffand le grand maître de saint Jacques, et lui dit que les deux

champions il fit venir devant lui, laquelle chose il fit.

Quand il fut descendu en bas, il fit venir Diege de Gusman et messire Jacques, et les prit par les mains; si les fit toucher ensemble, leur disant ces paroles: « Seigneur, la volonté du roi est telle, que quelconque chose que ayez eu à faire ensemble, ne ayez nul de vous deux nulle rancune, ni mal l'un contre l'autre; mais veut le roi que pardonnez l'un à l'autre, et que dorénavant soyez comme frères et bons amis: car expressément le roi veut et commande qu'ainsi soit, et qu'encore pourra venir le temps, que vous deux ensemble au plaisir de Dieu, vous pourrez trouver pour vous éprouver et faire armes contre deux autres. » Lors les deux champions oyants la volonté et commandement du roi, en pardonnant l'un à l'autre, touchèrent et embrassèrent l'un l'autre par grand amour et fraternité, et puis se partirent de la présence du roi, montèrent à cheval et saillirent hors des lices eux deux ensemble, prenant l'un l'autre par la main, et allèrent ainsi jusques au partir le chemin que chacun tourna en son logis.

CHAPITRE XLVI.

COMMENT LES DEUX CHEVALIERS, APRÈS CE QU'ILS FURENT PARTIS HORS DES LICES, ET CHACUN D'EUX VENUS EN LEURS HOTELS, EUX DÉSARMÉS DINÈRENT ENSEMBLE, PUIS ASSEZ TÔT APRÈS FIRENT PRÉSENTS L'UN A L'AUTRE, QUI FURENT MOULT HONORABLES.

APRÈS

que

PRÈS que les deux champions se furent partis et allés hors des lices, le roi, la reine, et tous ceux qui ès échaffauds étoient, descendirent en bas, et allèrent chacun en leurs hôtels; et messire Jacques de Lalain alla descendre en son logis, accompagné de ses gens, et d'autres plusieurs chevaliers et écuyers, tant de ceux de l'hôtel du roi, comme de ceux de l'ambassade de France, lesquels à l'entrée il remercia moult de fois de l'honneur fait lui avoient. Puis quand ce vint que messire Jacques fut désarmé et rafraîchi en son logis, le connétable de Castille fit ordonner et faire un souper, où il fit venir les deux champions et grand' foison d'autres barons et chevaliers, qui les accompagnèrent. Des mets et entrements desquels ils furent servis, ne quiers à parler; car tout ce que pour ce jour on put trouver, pour or, ni pour argent, rien n'y fut épargné, le souper dura grand' espace. Puis le souper accompli se levèrent tous de table, et après grâces rendues, se mirent tous à deviser.

'ce

Après toutes devises faites, vin et épices furent

apportées, et prirent congé du connétable; mais toutefois quand messire Jacques se dut partir d'icelui souper, Diego de Gusman se passa assez legèrement de prendre congé à celui messire Jacques. Si revint en son hôtel, où il, séjourna et demeura deux ou trois jours, sans s'en partir, pour ce que dit lui avoit été qu'il n'étoit pas trop bien content de lui; et la cause, il ne sçavoit pourquoi. Or advint que le lundi après en suivant, celui Diego de Gusman envoya requérir messire Jacques, qu'il lui voulsit (voulût) fournirquatre lances, ainsi que contenu étoit en ses chapitres. Sur quoi messire Jacques répondit, qu'il s'en attendoit à la bonne ordonnance du roi, et qu'il étoit prêt et appareillé de ce faire. De laquelle requête faite par celui Diego de Gusman à messire Jacques, le roi en fut averti, et lui fit dire qu'il n'en parlât plus, et qu'il fut content de ce que le roi en avoit dit le jour qu'ils firent les armes de pied: si n'en fut lors plus parlé. Et avec ce fut dit à celui de Gusman, que de ce qu'il en avoit fait, et le mal content qu'il avoit montré à messire Jacques, le roi ne l'en sçavoit gré. Pour laquelle chose et pour apaiser le courroux du roi, au bout de six jours ou environ, Diego de Gusman, accompagné de son frère le comte de Gusman et de plusieurs chevaliers et écuyers, vinrent par devers messire Jacques, et là firent très bonne chère. Tellement qu'icelui Diego de Gusman dit au dit messire Jacques: « Monseigneur mon frère et mon ami, quelque chose qu'il soit, ni qu'on vous puisse avoir dit, ou rapporté, mon frère et moi et tous nos parents et

amis sommes du tout à votre commandement, pour à vous et aux vôtres faire service et plaisir: car je vous sçais être si gentil chevalier et si bien renommé, que tous chevaliers et écuyers sont tenus de vous faire tout honneur, et en ce faisant ne pourroient fors acquerre bonne louange. »

Messire Jacques de Lalain oyant ainsi courtoise ment parler celui Diego, le remercia moult humblement en lui disant: « Monseigneur mon frère et mon ami, du grand honneur et plaisir qu'il vous à plu faire à la maison d'où je suis, de moi avoir délivré de mon emprise, je vous en mercie; si croyez certainement, que nous de notre maison de Lalain, ensemble nos parents et amis, et moi spécialement suis et serai tenu et obligé toute ma vie à vous et aux vôtres. » Après ces paroles, s'entrebrassèrent les uns et les autres par plusieurs fois, et firent moult grand'chère, et eurent plusieurs devises eux tous ensemble; et tellement se contentèrent tous de gracieuses devises, et de grand' humilité qui étoit en messire Jacques de Lalain, qu'assez n'en pouvoient avoir parlé, tant étoient contents de lui. Lors furent apportés vins et épices: si en prirent et en burent l'un avec l'autre; et assez tôt après Diego de Gusman fit amener un beau coursier couvert d'une couverture de satin cramoisi: si le donna et présenta à messire Jacques de Lalain, qui le reçut moult liément, et en remercia celui Diego; si prirent congé l'un à l'autre. Puis quand ce vint le lendemain au matin, messire Jacques de Lalain qui étoit large et courtois, connoissant la

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