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rir la grâce de votre très désirée dame. Car sachez que peu de nobles hommes sont parvenus à la haute vertu de prouesse et à bonne renommée, s'ils n'ont dame ou damoiselle de qui ils soient amoureux. Mais, mon fils, afin que sachiez de quel amour j'entends, que devez être amoureux, je le vous dirai. Si ainsi advient que, en tout honneur, vous soyez amoureux d'aucune dame ou damoiselle qui rien ne yous soit, et dont vous vous pourriez acointer, gardez, sur tant que désirez de parvenir à la haute vertu de prouesse, que ce ne soit de folle amour; car à toujours vous seroit tourné à grand' vilainie et reproche. Et pour ce, beau fils, si vous voulez être tel comme je vous dirai, et que vous veuilliez faire mon conseil et ensuivre ma doctrine, il vous convient être doux, humble, courtois et gracieux, afin que nulle deshonnête parole ne soit dite de vous, Car sachez, mon fils, que si vous aviez le trésor de Salomon et sa grand' sapience, et la grand' noblesse du roi Priam de Troye, et avec ce toute perfection de corps, le seul orgueil, s'il est en vous, détruira toutes vos vertus. Et àce propos dit le sage Socrates: Quantumcumque potes, fili, non esto superbus. Et tant d'autres autorités, des quelles, si les racontois, trop longue seroit l'histoire: pourquoi à présent, m'en veux déporter (dispenser). Et vous dis je, mon fils, pour venir à mon propos, que le vrai amoureux, tel que je vous dis,qui aura la vertu d'humilité à l'encontre de ce seul péché d'orgueil, ne pourra faillir de parvenir en la grâce de sa très desirée dame. Et par ainsi, bannissez et déchassez arrière de vous .ce

très déplaisant et abominable péché d'orgueil et toutes ses circonstances; et vous ne pourrez faillir de venir à salvation et en la grâce de votre très désirée dame, en tout honneur.

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CHAPITRE V.

DU PÉCHÉ D'IRE.

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Er quant est au second péché, qui est nommé ire (colère), certes oncques vrai amoureux ne fut ireux. J'ai bien ouï dire que aucunes déplaisances amours leur ont donné, pour les essayer: mais si n'étoient ils pas irés, s'ils n'étoient férus d'autre mal que mour. Et pour ce, beau fils, que ce péché est déplaisant à Dieu, si l'est-il aussi à l'honneur et au corps de celui qui l'a, veuillez le fuir à votre pouvoir, et ensuivre le dire du philosophe: Tristitiam mentis caveas plusquam mala dentis. Segnitiem fugias. Numquam piger ad bona fias. C'est a dire, mon fils, fuyez tristesse de pensée plus que le mal de dents; aussi fuyez paresse pour passer la douleur de votre cœur; et faites toujours bien fuir courroux et ire, afin qu'ils ne te baillent point leur cruelle pestilence; car ce sont les voies qui font fourvoyer du droit chemin, et sont nourrices de tous schismes et divisions. Mon fils, ne portez à nul, ire ni haine; mais pacifiez à chacun; car quiconque hait son prochain il est homicide, comme dit l'évangile; et à ce propos dit saint Augustin en une de ses épîtres, que

tout ainsi comme le mauvais vin gâte et corrompt le vaissel où il est s'il y demeure longuement, tout ainsi ire corrompt et gâte les coeurs où elle se tient. Et pour ce, mon fils, sachez pour verité, qu'ire et courroux empêchent et aveuglent le courage de la personne, en telle façon qu'elle ne peut regarder à ce qui est vrai. Le vrai amoureux tel comme j'entends est toujours et doit être joyeux; espérant que par bien et léalement servir, en amour et en sa très désirée dame il trouvera toute merci. Et par ainsi il chante, danse et est joyeux, en ensuivant le dit du philosophe, qui dit: bene vivere et lætari: c'est à dire, bien vivre et joyeusement. Mais ce bien vivre ne sert point seulement pour manger bonnes viandes, boire bons vins, dormir en bons lits longues matinées et vivre en toutes délices: mais s'entend vivre bien, premièrement avec Dieu, soi maintenir honnêtement, véritablement et joyeusement. Donc,par ainsi je dis que tous vrais amoureux, pour acquérir la très désirée grâce de leurs très belles dames, doivent fuir de tout leur pouvoir ce péché d'ire très déplaisant à Dieu et au monde, et s'accompagner de cette très amoureuse vertu de patience. Donc, par ainsi seront de ce très déplaisant et ennuyeux péché quittes,

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Er quant est au troisième péché, qui est d'envie, jamais le vrai amoureux, tel que je dis, sur homme ne sera envieux: car s'il venoit en la connoissance de sa dame qu'il fût envieux, il la perdroit vraiment, Oncques dame d'honneur ne put aimer homme envieux, si ce n'est en exerçant bonnes vertus, pour y être le meilleur: comme à l'église le plus dévot; à table le plus honnêtement mangeant, en compagnies de dames le plus gracieux et plaisant; et en armes armigères et en armes courtoises le plus vaillant; et en ce n'y a point d'envie, c'est à sçavoir pour faire le mieux en vertus, voire (c'est-à-dire) envie qui est nommé péché mortel comme je l'entends.

<< Et en outre, mon cher fils, je vous défends que vous ne suiviez point les tavernes, ni ceux qui volontiers les hantent; ni le jeu de dés; ni la compagnie des folles femmes, lesquelles, si les hantez, serez toujours pauvre, méchant et malheureux, et haï de toutes bonnes gens. De ce vil péché d'envie en parle Platon, et dit: Étudie et employe toi à fuir envie, car envie est sans amour, et sèche le corps, et fait le cœur inique et mauvais. Et pour ce,mon cher et aimé fils, fuyez tous vices et toutes gens vicieux : car amour et dames d'honneur le commandent à tous vrais amoureux. Doncques, mon cher fils, pour venir à conclu

sion touchant le fait du péché d'envie, souvienne vous de ce dit qui dit: J'ai plus cher mourir de faim, que perdre ma bonne renommée. Et sachez, mon fils, que de tant que êtes plus noble qu'un autre, de tant devez être plus noble de vertus: car la noblesse de bonne moeurs vaut trop mieux que la noblesse des parents: et ne peut la noblesse, tant soit grande ni puissante, surmonter la mort. Doncques par être vrai amoureux, comme je dis, vous escheverez (éviterez) ce très deshonnête péché d'envie et vous ac compagnerez de cette très noble vertu de' charité qui est fille de Dieu, et qu'il nous a tant recommandée, et serez net et quitte et sane (sain) au regard de ce péché.

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. OR, mon cher fils, je vous ai exposé que c'est du péché d'orgueil, d'ire et d'envie. Maintenant convient que je vous expose que c'est du péché d'avarice. Certainement, mon fils, avarice ni vraie amour ne peuvent demeurer en un cœur ensemble. Et si l'avaricieux par quelque cause est amou reux, n'est point à croire que ce ne soit de méchante et vile chose, pour avoir cause de rien despendre. (dépenser); mais le vrai et loyal amoureux contendra (rivalisera) en toute largesse honorablement servir sa dame et amour, par soi tenir bien habillé, bien

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