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trefois, c'est à sçavoir en cotte blanche semée de larmes bleues, la salade en la tête, tenant sa hache eu sa main; et d'autre part le seigneur de SaintBonnet étoit vêtu de sa cotte d'armes, salade en tête, ayant bavière, sa hache en ses mains; et étoient ses armes écartelées, le premier quartier d'azur à une croix d'or ancrée, et le second quartier, chevronné d'or et d'azur avec une bordure de gueules. Si marchèrent l'un contre l'autre jusques devant le juge, et là s'assemblèrent et prirent à eux combattre moult merveilleusement: mais guères ne combattirent; car le chevalier du pas, qui étoit duit (habile) et appris des armes, prit la hache de celui de Saint-Bonnet de sa main dextre, et de sa hache qu'il tenoit en voulut férir le dit de Saint-Bonnet au visage, et tant que le dit de Saint-Bonnet fut contraint de prendre la hache du chevalier du pas; et lors le dit chevalier laissa la hache de celui de Saint Bonnet et le prit par le col, mais celui de, Saint-Bonnet s'en défit par deux fois; et à la tierce fois le chevalier du pas le tint par la tête dessous son bras, à la façon de la lutte qu'on appelle Corne-muse, et de la dite prise le chevalier du pas par sa grand' force tira à terre le dit chevalier de Saint-Bonnet, et chut sur son dos, et le chevalier du pas chut le visage dessous, moitié de son corps sur le dit de Saint-Bonnet, et l'autre moitié à terre couchée. Promptement se mit de tout son corps sur le dit de Saint-Bonnet, et le tenoit dessous lui. Lors celui de Saint-Bonnet sentant le chevalier être sur lui, l'embrassa parmi le faux du corps, si fort, que le dit chevalier du pas ne se pouvoit lever de dessus lui.

Alors le juge voyant que les deux champions étoient en cet état, il jeta le bâton, et lors les gardes s'approchèrent pour les lever: et disoit l'un des gardes nommé Machaut de Sardenne au dessus dit chevalier, pour ce qu'il ne se levoit point jus du seigneur de Saint-Bonnet: « Messire Jacques, c'est assez, il vous doit suffire. » Lors le chevalier du pas répondit: «< A moi ne tient pas, car il me tient si fort que je ne me puis lever. » Alors les gardes regardèrent, et virent que le dit de Saint-Bonnet avoit embrassé le dit chevalier du pas, si lui défirent les mains et levèrent le dit chevalier du pas de dessus le dit de Saint-Bonnet; et tenoient encore tous deux leurs haches, ni pour chose qu'ils fissent ne les perdirent oncques. Lors le juge les fit venir devant lui et leur dit: « Vos armes sont accomplies selon le contenu des chapitres: si vous prie que vous touchez l'un à l'autre et soyez amis: » Laquelle chose ils firent, et s'en retourna chacun en son logis. Or est vrai que les dessus dits chapitres contenoient, que quiconque seroit porté par terre de tout le corps, il devoit porter un bracelet d'or; et à cette cause le chevalier gardant le pas dessus dit, envoya devers celui de Saint-Bonnet un notable chevalier nommé messire Piètre Vasque, pour sçavoir à lui, par qui il lui plaisoit que le dit bracelet lui fut apporté; à laquelle parole le dit de Saint Bonnet répondit et dit: qu'il lui sembloit qu'il ne le devoit point porter, et qu'il n'étoit point chu sans le chevalier du pas: parquoi il ne le devoit pas porter non plus que le dit chevalier: car posé qu'il

fût chu, aussi étoit le dessusdit chevalier, et bien croyoit, que si c'eût été à outrance, qu'il en avoit du pire: mais à cause des dites armes, il ne le devoit point porter; et autre réponse n'en fit.

Quand le dessus dit chevalier du pas vit les termes que le dit de Saint-Bonnet tenoit, et qu'il étoit tout clair qu'il avoit été de tout le corps par terre, comme dessus est dit, fit faire et apprêter le dit bracelet pour lui envoyer: laquelle chose venue à la connoissance d'aucuns des amis du dit de SaintBonnet, voyants qu'il étoit certain et bien prouvé, qu'il avoit eu le corps du tout à terre, et du chevalier du pas ne se pouvoit à la vérité dire,si non qu'il avoit eu bras ou jambes à terre. Si se mirent à parler au dessus dit chevalier en disant qu'ils étoient tous deux à un prince, et qu'ils devoient tous deux garder l'honneur l'un de l'autre; si fut conclu et avisé que le seigneur de Saint-Bonnet diroit au chevalier du pas les paroles qui s'ensuivent: « Messire Jacques, j'ai désiré d'avoir votre accointance, vous sçavez que avons fait armes l'un contre l'autre, et depuis vous m'avez fait demander par messire Piètre Vasque, par qui je voudrois que le bracelet me fût apporté. Or vous sçavez assez que tous deux sommes à un seigneur. Si devons désirer et garder l'honneur l'un de l'autre: parquoi je vous prie que soyez content de vous en déporter (dispenser). En outre j'ai entendu qu'on vous a rapporté aucunes paroles que je dois avoir dit de vous; je vous assure que je ne voudrois avoir dit de vous chose qui fût contre votre honneur. » Et ainsi la chose demeura en ce point, et plus n'en fut parlé pour lors.

CHAPITRE LXIX.

COMMENT LE CHEVALIER DU PAS FIT ARMES AU SEIGNEUR D'ESPIRY.

APRÈS les armes dessus dites accomplies et achevées, comme vous avez ouï, quand ce vint le dixseptième jour du mois d'octobre, que le chevalier gardant le pas de la Fontaine, devoit faire armes, comme il fit, à l'encontre du seigneur d'Espiry, droit environ neuf heures du matin, celui chevalier du pas alla ouïr la messe à la grande église de Châlons, là où il trouva le seigneur de Saint-Bonnet. Et quand le chevalier du pas l'aperçut, jaçoit-ce-que (quoique) appointés étoient dès le soir devant, qu'icelui de Saint-Bonnet seroit à l'heure de dix heures en l'église des Carmes séante ès faubourgs de la dite ville, pour dire au chevalier du pas les dessus dites paroles, nonobstant ce parla lechevalier à l'heure dite à celui de Saint-Bonnet, en lui disant ainsi: « Monsieur de Saint-Bonnet, êtes vous content de dire les paroles que Louis Sachet vous a montrées en une petite scédule?» Lors le dit de Saint-Bonnet répondit qu'il étoit tout prêt de ce dire à telle heure qu'il lui plairoit. Et le chevalier du pas répondit, qu'il étoit content de lui, et le quittoit de non porter le bracelet; ainsi la paix d'eux fut faite, et touchèrent ensemble et furent depuis si bons amis

qu'à peine pourroit on dire de deux frères. Puis après en ce même jour le seigneur d'Espiry, qui se nomma le chevalier méconnu, fit ses armes à l'encontre du chevalier gardant le pas de la Fontaine des pleurs, lequel comme il avoit accoutumé, se partit de l'église des Carmes, entra en son bateau et passa la Saône. Si arriva ès lices, et vint faire sa présentation devant le juge, ainsi comme autres fois avoit fait; puis vint en son pavillon.

Ne demeura guères après que leseigneur d'Espiry vint aux dessus dites lices, et illec (là) quand il entra dedans, lui fut par Charrolois présentée et baillée une verge d'or émaillée de la couleur de la targe à laquelle il avoit fait toucher; et en entrant èsdites Jices, avoit un cheval couvert et armoyé de ses armes que deux officiers d'armes menoient, lesquels étoient vêtus de cottes d'armes des armes d'icelui Seigneur d'Espiry. Le cheval sur lequel le dit seigneur d'Espiry étoit monté, fut couvert d'un bien délié couvrechef à manière de crêpe, frangé de fil d'or et de soie verte. Et étoit vêtu d'une longue robe de drap de damas blanc, brodée dessous et dessus, et les manches de satin cramoisi, et un chaperon vermeil, et la cornette verte; et avoit quatre enfants autour de lui, dont les deux étoient ses enfants, et les deux autres ses neveux, lesquels tous quatre étoient vêtus et affublés comme lui, et tenoient les quatre cornes de la couverture de son cheval. Si avoit après lui un page pareillement vêtu, monté sur un cheval couvert de velours cramoisi. Puis après qu'il fut descendu devant son pavil

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