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lon, s'en alla tout droit devant le juge, ensemble les quatre enfants devant lui. Et quand il fut là venu soi présenter, dit tout haut: « Très noble roi d'armes et juge en cette partie, commis de par mon très redouté seigneur monseigneur le duc de Bourgogne, pour ce que ce jourd'hui à moi est asigné pour devoir faire armes au chevalier gardant ce présent pas, je me présente par devant vous, pour à l'aide de Dieu, les faire et accomplir. Et combien que par les chapitres du chevalier tenant le pas il soit assez declaré que les venants de dehors aient pouvoir et faculté d'élire pour eux juge adjoint avec vous; mais en tant qu'il me touche de cette cause, je m'en déporte (dispense); et qui plus est, de vous réquerir que le droit des parties y soit gardé, je ne m'en eux aucunement entremettre: car de ce faire ne me semble-t-il être nullement nécessaire, attendu votre sens, discrétion et bonne renommée de bonne justice; laquelle je crois être telle, que le droit des parties y sera gardé à ligne et raison, selon droit d'armes. » Auxquelles paroles le juge répondit et dit qu'il fut le bien venu, en le remerciant humblement du grand honneur qu'il lui faisoit, et qu'au surplus lui feroit tout ce que possible lui seroit de faire.

Ce fait, le seigneur d'Espiry s'en retourna en son pavillon, lequel étoit blanc et bordé de vermeil par dessus, en signifiant les robes dessus nommées; et par dedans, en manière de dossier, sur le ceintre, avoit un riche drap d'or; et dedans celui pavillon s'arma, et en soi armant envoya devers le juge, lui priant qu'il lui plût que ses quatre conseil

liers, c'est à sçavoir les quatre petits enfants, demeurassent aux pieds de lui; la quelle requête le juge lui accorda libéralement et volontiers, car ce n'étoit pas requête à refuser. Et après ce que les cris et cérémonies furent faites ès dites lices, les haches furent visitées, lesquelles étoient à dague par dessus, comme toutes les autres haches de quoi on avoit fait armes.

Ces choses faites, issit (sortit) hors de son pavillon le chevalier du pas, ainsi armé et habillé comme par avant avoit été, et pareillement issit hors de son pavillon le seigneur d'Espiry, la cotte d'armes vêtue, salade en tête, ayant bavière et visière. Et tantôt après le partement fait de son dit pavillon, il rua à terre sa dite cotte d'armes, laquelle étoit écartelée, dont le premier quartier étoit d'azur, à une croix d'or engreflée, et l'autre quartier étoit d'or à quatre points de gueulles. Et pour déclarer le nombre que le dit d'Espiry nombra et demanda, ce fut de cinquante cinq coups de hache. Vérité est que le chevalier du pas et le seigneur d'Espiry marchèrent l'un contre l'autre et assemblèrent à combattre devant le juge; et se combattirent bien et vaillamment, et jusques à l'accomplissement de trente coups de hache. Lors le juge voyant la vaillance et l'habilité des deux chevaliers, et aussi doutant les grands dangers qui s'en pourroient ensuivre, jeta le bâton, et furent pris si également par les gardes à ce ordonnées à l'honneur des deux champions, que chacun en eut sa part. Le juge les voyant venus devant lui, leur dit: « Seigneurs, je tiens vos armes

pour accomplies, et avez tous deux bien et vaillamment fait. » Leur priant, qu'ils touchassent ensemble et fussent bons amis, lesquels le firent très libéralement; et ce fait s'en retournèrent en leurs pavillons pour eux désarmer. Puis après ce qu'ils furent désarmés s'entre-trouvèrent ensemble dedans les lices, eux entre-accolants et merciants de l'honneur, qu'ils avoient fait l'un à l'autre. Et après ce retournèrent tous deux en leurs logis, et ainsi se passèrent celles armes. Puis quand ce vint le lendemain, qu'il fut jour de dimanche et quatrième du dit mois, le seigneur d'Espiry fit un très beau dîner, là où fut le chevalier gardant le pas, avec grand nombre de chevaliers et écuyers, le juge, et plusieurs officiers d'armes et assez d'autre notables gens.

CHAPITRE LXX.

COMME JEAN De Villeneuve dIT PASQUOY FIT ARMES A L'ENCONTRE DU CHEVALIER GARDANT LE PAS.

Le cinquième jour ensuivant, un notable écuyer nommé Jean de Villeneuve, dit Pasquoy, fit ses armes à l'encontre du chevalier gardant le pas de la Fontaine des pleurs, et demanda l'accomplissement du nombre de soixante et quinze coups de hache; et à celui jour se partit le chevalier gardant le pas, comme il avoit accoutumé, de l'église des Carmes environ onze heures du jour, et entra en son ba

teau tout désarmé, vêtu d'une longue robe de drap d'or; et ainsi vêtu, entra dedans les lices, et si alla faire sa représentation devant le juge, ainsi et par la manière qu'accoutumé avoit, et puis s'en retourna en son pavillon pour soi armer. Tantôt après arriva le dit Pasquoy vêtu d'une longue robe de drap noir, tout desarmé. Si lui fut baillée à l'entrée ès lices par Charrolois le héraut la verge d'or émaillée de la couleur de la targe où il avoit touché: puis entra dedans les lices bien et grandement accompagné, et alla tout droit devant le juge soi présenter en disant telles, ou semblables paroles, qui par les autres avoient été dites. Et ce fait entra en son pavillon pour soi armer. Lors après les haches qu'ils a voient à dagues, par dessous et par dessus visitées devant le juge, les cris et cérémonies des lices faites, issirent (sortirent) de leurs pavillons; et combattit le chevaliers du pas en tel harnas qu'il avoit accoutumé, sauf qu'il n'avoit point de harnas de jambe en sa dextre jambe; et celui Pasquoy combattoit salade en tête, à haute bavière, et avoit vêtu sa cotte d'armes, lesquelles sont, de sable, à cinq besants d'argent en sautoir.

Quand ainsi furent armés et apprétés, et issus de leurs pavillons, leurs haches en leurs mains, marchèrent moult fièrement l'un contre l'autre,et assemblèrent (attaquèrent) et combattirent devant le juge. La bataille d'eux deux fut grande et fière,et s'entredonnèrent de moult grands coups de hache, si drus et tant âprement, que ceux qui étoient présens prenoient plaisir à les voir: car à les voir combattre, ne

leur coutoit rien, mais que à ceux à qui il touchoit. Finablement tant se combattirent les deux champions que jusques à l'accomplissement de cinquante cinq coups ou environ, le juge voyant le grand devoir et les belles armes qu'ils avoient faites, jeta le bâton, et ainsi les fit prendre à l'honneur de tous deux. Si les fit venir devant lui, et leur dit qu'il tenoit leurs armes pour accomplies, et que tous deux avoient bien et vaillamment fait, en leur priant qu'ils voulsissent (voulussent) toucher ensemble, et qu'ils fussent dorénavant bons amis; et ainsi le firent. Si s'en allèrent chacun désarmer en leurs pavillons ; puis s'en retournèrent dedans les lices où ils s'entraccollèrent et mercièrent du grand honneur qu'ils avoient fait l'un à l'autre; et ce fait, s'en r'allèrent chacun en son logis; et toujours s'en retournoit le chevalier du pas par son batean en l'église des Carmes dont il se partoit

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CHAPITRE LXXI.

LES ARMES QUE FIT GASPAR DE DURTAIN A L'ENCONTRE DU CHEVALIER QUI GARDOIT LE PAS DE LA FONTAINE DES PLEURS.

Le vendredi ensuivant, qui fut le neuvième jour du mois, fit ses armes un écuyer nommé Gaspar de Dartain, lequel étoit tenu par vraie espérance, et renommé pour l'un des plus puissants hommes de

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