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par grand' dévotion il eut été au dit lieu de Rome, et fait et achevé, comme bon pélérin est tenu de faire, toutes ses dévotions et pélérinages en cette sainte cité, se prépara et ordonna soi partir pour aller en la cité de Naples, là où étoit et se tenoit à séjour le très excellent et victorieux prince Alphonse roi d'Arragon, qui moult grand honneur lui fit: mais pour les alliances et amour fraternelle qui étoit entre lui et le duc de Bourgogne, ne voulut souffrir à messire Jacques de Lalain porter son emprise, telle que ès autres royaumes il avoit porté, ni il ne voulut que nul homme de sa cour, ni de ses royaumes et seigneuries fissent armes contre lui. Or avint si bien, qu'à celui jour que messire Jacques de Lalain arriva en la cour du roi d'Arragon, trouva le noble duc de Clèves là nouvellement arrivé, et venoit du saint sépulcre de Jérusalem, qui fut à celui messire Jacques, l'une des plus grands joies qu'à son semblant jamais lui pouvoit avenir. Et la cause si étoit, pour ce que dès le temps de son enfance avoit été toujours nourri avec lui à la cour du duc de Bourgogne, qui étoit oncle au duc de Clèves, et duquel celui messire Jacques étoit moult privé et accoint, autant ou plus comme s'il eût été son frère: car toujours étoit vêtu et habillé de robes semblables en toutes guises et façons qu'il venoit au plaisir au duc de Clèves, pour la grand' amour qu'icelui duc lui vouloit.

La joie et grand' amour qui étoit entre eux de long temps, fut lors doublée et renouvelée. Le roi d'Arragon moult joyeux de la venue du duc de

Clèves et aussi de celle de messire Jacques de Lalain auquel il véoit le duc de Clèves faire si graudes reconnoissances, fit grand' recueillette (accueil), et bonne chère à messire Jacques de Lalain, duquel si grand' renommée couroit par tous royaumes et provinces; il festoya celui duc de Clèves, et le dit messire Jacques sigrandement et honorablement,comme à moi auteur de ce livre à été dit, qu'il n'en pouvoit plus faire à princé nul tant lui fût prochain. Si des fêtes et des honneurs qui faites furent par le roi d'Arragon au duc de Clèves et à messire Jacques de Lalain vous voulois raconter, j'aurois assez à faire: mais de ce me passerai en bref.

Quand le duc de Clèves et messire Jacques de Lalain eurent là été une espace, ils prirent congé du roi, lequel leur fit de beaux dons dont ils le remercièrent moult grandement. Et lors s'en partirent, et s'en vinrent chevauchant, le duc de Clèves tout au long des Italies, et messire Jacques de Lalain avec lui toujours portant son emprise, mais oncques au passer qu'il fit, ne trouva homme qui y touchât. Si chevauchèrent et passèrent outre traversant par la Lombardie, Savoie, et Bourgogne; puis entrèrent au pays de Hainaut, qui étoit lors l'an cinquante et un. Le duc de Clèves s'en alla en son pays, et messire Jacques, ayant pris congé de lui, s'en vint tout droit à Mons à la cour du duc son souverain seigneur, où jà avoit grand' espace qu'il n'y avoit été. Si est à croire et sçavoir que le duc son souverain seigneur fut moult joyeux, et le reçut en grand' revérence et honneur, et aussi

firent tous les princes, comtes et barons de la cour du due, qui lors tenoit la fête et solemnité en sa bonne ville de Mons de son ordre de la Toisond'or, où moi auteur de ce livre étois, et tout au long vis les cérémonies et solennités qui s'y firent. A laquelle solennité et fête, par grand' delibération de conseil ce gentil chevalier messire Jacques de Lalain fut élu à être frère et compagnon d'icelui ordre de la Toison d'or: car à la vérité Mire, il étoit digne de parvenir à cette haute honneur. Puis après cette fête passée, avant ce que les frères et chevaliers de l'ordre s'en partissent de là, plusieurs grandes matières furent traitées et pourparlées devant le duc chef de l'ordre, et les chevaliers frères et compagnons du dit ordre, et fut délibéré d'envoyer une grande et notable ambassade par devers notre Saint Père le Pape pour avoir avis et regard de pourvoir à l'encontre des entreprises de Mahomet, grand empereur de Turquie, afin d'y pourvoir de temps et heure. Si y furent envoyés pour cette ambassade fournir, en chef de l'ambassade messire Jean de Croy seigneur de Chimay, messire Jacques de Lalain et Toison d'Or. Et avec eux un noble abbé et grand clerc docteur en théologie. Auquel lieu de Rome, besognèrent sur les hautes et grandes matières pourquoi ils étoient venus. De là ayant pris congé au père saint, ils s'en retournèrent et vinrent de Rome par devers le roi d'Arragon, où ils dirent et proposèrent la chose

(1) Mahomet II. J. A. B.

pourquoi ils étoient venus devers sa haute majesté: si furent reçus et festoyés du roi d'Arragon en grand honneur et revérence pour l'amour du duc de Bourgogne et d'eux qu'il véoit être de grand' recommendation. Puis de là se partirent, et chevauchèrent tant par leurs journées, qu'ils passèrent les Italies, Lombardie, Savoie, et Bourgogne, et vinrent devers le roi de France. Ès quelles grandes ambassades et voyages messire Jacques de Lalaio se gouverna si grandement et si honorablement, qu'il y acquit grand honneur et louange: car véritablement tout honneur lui étoit dû sur tous chevaliers, sans en nul blâmer, que jamais visse ni connusse. Eux là venus devers le roi de France, furent reçus et conjouis, mais la cause pourquoi il étoient là venus, le roi s'en passa assez légèrement, et ne sejournèrent guère de jours: si s'en partirent et firent telle diligence, qu'en assez briefs jours ils trouvèrent le duc de Bourgogne en sa bonne ville de Bruxelles; et là en présence de lui et de son fils le comte de Charrolois et de son grand conseil, ils racontèrent et dirent la réponse du père Saint, du roi d'Arragon et aussi de ce qu'ils avoient trouvé au roi de France. Parquoi le duc fut assez content, et lui furent les très bien venus iceux ses ambassadeurs, et aussi furent-ils du comte de Charrolois son fils et des seigneurs et barons de la cour du duc.

ལ་

CHAPITRE LXXX.

COMMENT LES GANTOIS SE REBELLÈRENT A L'ENCONTRE DE LEUR SEIGNEUR LE DUC DE BOURGOGNE, DONT EN LA FIN LE COMPARÈRENT (PAYÈRENT) CHÈREMENT.

OR advint qu'en celui temps, on assez tôt après, que l'on comptoit l'an mil quatre cent cinquante et un, pour aucunes demandes que avoit faites le duc de Bourgogne à ceux de sa bonne ville de Gand et au pays de Flandre, ceux de Gand moult émus, par un grand orgueil et presomption, dirent, qu'avant ce que la requête à eux faite par le duc de Bourgogne comte de Flandre leur seigneur lui fut accordée, qu'ils y mettroient jusques au dernier homme de Flandre. Et de fait firent plusieurs exploits sur les gens et officiers du duc, laquelle chose le duc prit très mal en gré. Sur quoi pour pourvoir à leurs déloyales et damnables emprises, et pour la grand' déloyauté et désobéissance qu'ils avoient faites et toujours de plus en plus s'éforçoient de faire, comme de prendre, rober, piller et mettre à exécution, et faire mourir les serviteurs et officiers du duc, lui étant averti de ces besognes, tôt et sans délai assembla son grand conseil, et tous ses chevaliers, barons et capitaines, par lesquels il pût sur ce avoir conseil et avis afin d'y pourvoir, comme ils firent: mais pendant le temps que ces consaux

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