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tendre, disoit messire Simon, qu'on vous veut mettre garnison d'étranges gens, ils faillent: car monseigneur le duc de Bourgogne ne le pensa oncques: mais c'est pour vous décevoir et pour vous mettre en suspicion contre votre prince. Et soyez sûrs que monseigneur le duc de Bourgogne ne vous a ordonné que monseigneur d'Escornay et moi tant seulement, qui sommes vos voisins et amis. »

Les bons et les nobles conçurent incontinent que messire Simon de Lalain leur disoit toute verité: mais le peuple et partie des notables ne s'y pouvoient assurer, et dirent à messire Simon de Lalain, qu'ils sçavoient bien qu'il n'étoit point là venu pour demeurer avec eux, et si le fort venoit, qu'il iroit à l'Écluse dont il avoit la charge. A quoi messire Simon leur répondit et affirma, qu'il demeureroit avec eux; et afin que de ce ils en fussent mieux acertenés (assurés), il envoyeroit quérir sa femme et son fils aîné, ce qu'il fit. Et ainsi les rassura et entretint en douceur le mieux qu'il put, et tint toujours ces termes, disant qu'il ne leur falloit point de garnison, pour obvier à ce qu'ils ne reçussent point de bourgeois forains. Et bien étoit besoin de l'ainsi faire, car le jeudi cinquième jour après Pâque, comme paravant est dit, que les Gantois se partirent de la ville de Gand et des villages d'environ pour mettre le siége devant la ville d'Audenarde, les dits bourgeois forains montrèrent et appertement clairement leur grande déloyauté: car ils entrèrent dedans la ville d'Audenarde, sous couleur qu'il étoit jour de marché; et étoient armés le plus

secrètement qu'ils le purent faire, et cuidèrent (crurent) prendre le marché de la dite ville, espérants que le peuple se mettroit avec eux. Lors messire Simon averti de la male volonté et faux courage de ces déloyaux mutins, soudainement et tôt alla d'hôtel en hôtel, et les bouta dehors, et se saisit et se fit maître des portes. Alors le peuple de la ville connut qu'iceux bourgeois forains les avoyent voulu trahir, et dès lors en avant furent tous unis et bons pour leur prince: mais aucuns de la ville en petit nombre s'enfuirent, les quels pouvoient avoir été consentants queles dessus dits bourgeois forains demeurassent ce dit jour et la nuit logés ès faubourgs; et assemblèrent avec eux les gens de tous les villages d'environ. Et si messire Simon de Lalain eût bien voulu, il les eût tous rué jus: mais il ne vouloit point qu'on pût dire que par lui ni sa cause aucune œuvre de fait eut été encommencée.

Cette même nuit issirent ceux de Gand à puissance atout(avec) grande artillerie, et environ douze heures du jour se logèrent devant la ville d'Audenarde, de l'autre coté vers le côté d'Alost, et écrivirent à ceux d'Audenarde qu'ils n'étoient point là venus pour nul mal faire: mais avoient entendu qu'étrangers vouloient venir au pays, à quoi ils vouloient obvier, et leur prioient que pour argent ils pussent avoir vivres et être reçus comme leurs amis, si besoin étoit. Lors messire Simon oyant le messager et la requête qu'il faisoit à ceux de la ville de par ceux de Gand, répondit tout en haut au messager, qu'ils étoient forts assez pour garder

leur ville; et ce qu'il requéroit de par ceux de Gand, d'avoir vivres, dit qu'il n'en y avoit que pour ceux de la ville, et que c'étoit pour leur provision; et dit encore outre au messager, qu'il sçavoit bien qu'ils étoient venus,cuidants (croyants) que ceux de la ville fussent en division, pour par ce moyen avoir la ville; et dit au messager, qu'il dît à ses maîtres que du plus grand jusques au plus petit ils étoient tous unis, et étoient conclus de garder la ville pour le prince. Tantot après cette réponse faite, les dits Gantois firent guerre à ceux de la ville d'Audenarde, et y mirent le siége par terre et par eau tout autour, tellement que ceux dedans ne pouvoient faire issir nuls de leurs gens, ni avoir nulles nouvelles du duc de Bourgogne, ni d'autres de dehors: et quatre jours après que les dits Gantois eurent mis le siége et approché la ville de bien près d'un coté et d'autre, ceux de la dite ville saillirent par deux côtés et ardirent tous les faubourgs, parquoi iceux Gantois furent contraints de reculer leurs approches, et battirent de leurs bombardes, canons et veuglaires la dite ville, et entre les autres, firent tirer de plusieurs gros boulets de fer ardent du gros d'une tasse dargent pour cuider (penser) ardoir la ville; et sans faute c'étoit un très grand danger, car s'ils fussent chus en menu bois sec, ou en feurre (paille), la ville eut été en péril d'être arse: mais messire Simon de Lalain, qui étoit sage, et imaginatif en fait de guerre et expert, ordonna deux guets sur deux clochers, qui crioient

(1) Sorte d'armes à eu. J. A. B.

et montroient où les dits boulets chéoient; et pour à ce remedier fit mettre dessus les rues, grandes cuves pleines d'eau, et furent femmes.ordonnées à faire le guet: et lors qu'elles véoient où iceux boulets chéoient, ces femmes hâtivement couroient cette part atout (avec) pelles de fer ou d'airain, dequoi elle prenoient les dist boulets, et portoient hors de danger de feu. Et d'autre part chacun y accouroit pour éteindre le feu.

Or advint qu'une matinée messire Simon de Lalain en revenant du guet, chut dedans la rivière de l'Escaut, son épée ceinte, son petit chaperon en gorge, son paletot,et son manteau dessus vêtu, et ses goussets à armer; et fut en moult grand avanture de noyer, car il ne sçavoit rien noer (nager): mais radeur (vitesse) de l'eau l'emporta jusques à la herse, et là le retint,et sembla que ce fut chose miraculeuse de ce qu'il échappa sans mort: mais Dieu qui sçavoit que ceux de la ville d'Audenarde avoient encore bien affaire de lui, le sauva et garda; et aussi fit-il tous ceux de la ville. Et eût été grand' pitié et dommage d'avoir perdu un tel chevalier: car tant honorablement lui et ceux de la ville se gouvernerent et si vaillamment, que Gantois ne les purent oncques gréver, et rendirent bon compte au duc de Bourgogne de leurs corps et de la ville, comme ci après pourrez ouir.

(1) Espèce de pourpoint. J. A. B.

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CHAPITRE LXXXII.

COMMENT NOUVELLES VINRENT AU DUC DE BOURGOGNE QUE LES GANTOIS A GRANDE PUISSANCE VINRENT METTRE LE SIÉGE DEVANT AUDENARDE..

Les nouvelles vinrent au duc de Bourgogne, qui pour lors étoit en sa ville de Bruxelles, là où les ambassadeurs des Gantois étoient et besognoient pour le bien de la paix, lesquels moult saintement se gouvernoient et conduisoient, et ne sçavoient point. la déloyale malice de leurs gens qui là les avoient envoyés et mis en tel danger que s'ils eussent eu affaire à prince furieux, il les eût fait occire et mettre à mort: mais tantôt le fit sçavoir à ceux. ambassadeurs, lesquels furent moult émerveillés, et non sans cause: si ne sçurent que dire,. fors tant seulement, qu'ils se mettoient du tout en la bonne grâce du duc de Bourgogne, en disant que c'étoit le plus grand déplaisir qui jamais leur put avenir, et que mauvaisement ils étoient trahis. Et lors fut le propos bien chaudement et soudainement changé. Mais le duc de Bourgogne sçavoit que les dits ambassadeurs n'étoient en rien consentants, ni sçachants la grand' déloyauté d'iceux Gantois: car, comme dessus est touché, il y avoit en la dite ambassade des notables gens de la ville d'Audenarde, lesquels ne purent rentrer dedans pour

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