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et complaire au jeune dục de Clèves, que rien n'étoit fait ni entrepris de faire,que Jacquet de Lalain n'y fut le premier appelé: car en conseil et en autres plusieurs besognes il se gouverna si mûrement, qu'il acquit grand' gloire et grand' louange en la cour du duc de Bourgogne où il fut moult aimé et cher tenu. Joûtes ni tournois ne lui échappoient, où il se gouverna toujours grandement à son honneur, tellement que le prix lui en demeuroit, fut de ceux de dedans ou de dehors: et toujours étoit paré et houssé, lui et son destrier, ainsi et pareillement comme étoit le jeune duc son maître. Certes jamais ne se trouva sur les rangs qu'il ne fut tantôt connu par les grands coups qu'ils asséoit (donnoit), tant efforcément qu'il abattoit chevaux et chevaliers par terre. Il portoit lances grosses et pesantes, parquoi il les faisoit ployer jusques sur la croupe des destriers, et souvent avenoit qu'il les desheaumoit ("), et demeuroient à chefs nus dedans les rangs. Et lors trompettes commençoient à sonner si fort qu'on n'eut pas ouï Dieu tonner, car de tous côtéshéraut et poursuivants s'efforçoient de crier, « Lalain!

Le duc de Bourgogne et les dames qui étoient aux hourts, prenoient plaisir à le voir. Assez en y avoit d'elles qui eussent bien voulu que leurs maris ou amis eussent été semblables à lui. Certes, quand ce venoit à la joûte et que le duc de Clèves y étoit en personne, accompagné de Jacquet de Lalain et

(1) Faisoit tomber leurs heaumes ou casques. J. A. B.

(2) Sorte d'échafauds p'acés dans les fices pour les spectateurs qui assistaient aux joûtes. J. A. B.

d'autres gentilshommes de son hôtel, ils faisoient branler les rangs, et n'y avoit celui de leur adverse partie, qui ne doutât à les rencontrer:car tous étoient joûteurs à l'élite.

Plusieurs joûtes, et courses de lances se faisoient en la ville de Bruxelles devant le duc et la duchesse, ensemble toutes les dames et damoiselles, qui étoient sur les hourts (échafauds) et aux fenêtres regardants qui mieux le feroit. Après les joûtes faillies, ils s'en retournoient en leurs hôtels eux désarmer: puis venoient aux banquets, où étoit le duc de Bourgogne au milieu des dames; ensemble, plusieurs chevaliers et écuyers avec elles. Si se devisoient les uns aux autres de plusieurs gracieuses devises: et pouvez et devez croire que le jeune duc de Clèves s'efforçoit de tout son pouvoir de renvoisir (égayer) la fête: car pour le temps de sa jeunesse, pour réveiller hommes et femmes, on ne trouvoit son pareil. Il étoit jeune, frais et bien formé de tous membres, assez haut de stature, humble, courtois et debonnaire, large et grand aumônier aux pauvres. Certes Jacquet de Lalain pouvoit bien dire qu'il avoit trouvé seigneur et maître tel qu'il eut souhaité ou demandé: car le duc et lui s'entraimoient de grand amour; et ne s'en doit-on point émerveiller: car eux deux étoient d'un âge; de corps, de hauteur et de façon s'entresembloient tant bien, qu'à les voir, qui ne les eût connus, on eût dit qu'ils fussent deux frères.

Doncques pour retourner à parler des fêtes qui journellement se faisoient, des danses et des ébat

tements; pour ce temps on ne trouvoit cour de haut prince, où tant on en fit, comme alors on faisoit en la cour du noble duc de Bourgogne; ni pour guerre qui lui survint, on ne cessoit de faire fêtes, et ébattements; car de plus large, plus humble, ni plus courtois on n'eut sceu querre ni trouver. Oncques ne fut cremu (craint) par sa cruauté, mais étoit craint par sa débonnaireté, largesse, vaillance et vertus dont il étoit orné. Certes, à bref parler, il n'est langue humaine, tant soit facondieuse, qui sçut dire ni raconter les grandes vertus qui en lui étoient. Et quant est à parler de ses vertus, oncques ne fut trouvé par écrit prince plus miséricordieux, ni plus piteux aux pauvres; quand il les véoit en nécessité, jamais ne s'en partoient éconduits. En son temps aima fort sa chevalerie, ses nobles hommes, et serviteurs, et leur fit moult de biens. Or doncques pour retourner à notre histoire encommencée lairons atant (maintenant) à parler de ce noble duc Jacques à une autre fois et continuerons en notre matière touchant les faits de Jacques de Lalain.

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CHAPITRE XIII.

CY FAIT MENTION D'UNE AMBASSADE QUI VINT A CHALONS SUR LA SAÔNE, DE PAR L'EMPEREUR DE GRÈCE, DEVERS LE DUC DE BOURGOGNE.

ASSEZ avez ouï et entendu par ci-devant, comme Jacquet de Lalain vint à cour pour servir et accom

pagner le jeune duc de Clèves, lequel, par les biens qui en lui étoient, fut si aimé et privé du jeune duc, qu'il le tenoit alors à compagnon; et comme dessus est dit, ne vêtoit habit, ni portoit joyaux, ni riches bagues, que pareillement Jacquet de Lalain ne fut habillé comme lui de chevaux, harnois, et parures, fut en armes, tournois, joûtes et autres ébattements: et si bien et tant sagement se contenoit, que des princ es, seigneurs et dames, par dessus tous autres, il étoit moult fort recommandé; ni jamais ne se partoit des fêtes ou joûtes, que pour le mieux faisant il n'emportât le prix, fut dedans ou dehors. Et quant est d'être entre dames et damoiselles, il y sçavoit son être plus qu'homme de son âge. Or, advint au temps qu'il étoit en la cour du due de Bourgogne avec son maître le duc de Clèves, que nouvelles vinrent au duc, que pour aucuns affaires lui convint aller en ses pays de Bourgogne, où par devers lui vinrent son beau-frère le duc Charles de Bourbon, et plusieurs autres chevaliers et nobles hommes en sa compagnie.

A la venue du duc de Bourbon, le duc Philippe de Bourgogne lui alla au devant; et aussi firent ses neveux le duc de Clèves, et Charles comte de Nevers, et plusieurs barons, chevaliers et écuyers, natifs des pays de Bourgogne, Flandre, et Artois; et vinrent à Dijon, où le duc de Bourgogne les fêtoya moult honorablement, et depuis les amena avec lui à Châlons sur Saône, où pareillement leur fit grand'fête. Le duc Philippe tint grand cour; et là y arrivèrent grand' foison de barons et chevaliers

que

de Bourgogne, de Savoie, et autres plusieurs d'étranges pays: et entre les autres y arriva un chevalier ambassadeur de par l'empereur de Grèce et de Constantinoble ", accompagné jusques à douze personnes atournées (parées) et vêtues à la mode grégeoise; lequel, à l'issir de l'oratoire du duc, après les deux ducs eurent ouï la messe, commença devant les deux ducs de dire et proposer la légation et charge qu'il avoit de par son seigneur l'empereur, laquelle seroit longue à réciter: mais pour venir à l'effet de sa légation, il requéroit avoir secours de gens d'armes, pour mener par mer sur galées et navires de guerre, afin de pouvoir résister à l'encontre des infidèles, desquels étoit conducteur le grand Turc qui journellement s'efforçoit de faire entreprises, grands guerres et destructions de chrétiens de l'empire de Grèce. Et disoit que, si par le duc de Bourgogne n'étoit secouru et aidé, il ne véoit nul prince chrétien qui eut volonté de bailler secours, pour aider à défendre la chrétienté, laquelle un

(1) Constantin Paléologue, dernier empereur de Constantinople, pressé de toutes parts par Mahomet II, avait envoyé demander des secours à toutes les puissances chrétiennes. Les unes furent sourdes à ses demandes; les autres n'envoyèrent que de trop foibles secours et Constantinople tomba sous les coups de Mahomet II, le 29 mai 1453. La perte des provinces du Péloponèse et des îles suivit de près celle de la capitale. Après près de quatre cents ans de servitude, la Grèce se relève enfin seule et sans appui. Comme au moment de sa chute les peuples sympathisent avec elle sans rien faire pour la secourir. (Voyez sur la prise de Constantinople par les Turcs le volume intéressant publié par sir Charles Stuart à Paris et qui contient les récits de Léonard de Chios, de Godefroi Lange et plusieurs morceaux détachés sur le même sujet. J. A. B.

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