Imágenes de páginas
PDF
EPUB

CHAPITRE XVI.

DU GRAND BRUIT QUI FUT A LA COUR DU ROI DE FRANCE POUR LES JOUTES QUI Y FURENT PUBLIÉES, ET DE LA REQUÊTE QUE FIT JACQUET DE LALAIN AUX COMTES DU MAINE ET DE SAINT-POL.

APRÈS les devises de la dame et de Jacquet de Lalain, les rois et reines, princes et princesses demenants grand bruit retournèrent en l'hôtel du roi: vin et épices furent apportées. Après vin et épices prises, chacun se retrait (retira) pour soi en aller reposer: mais Jacquet de Lalain, qui remenoit la dame à son logis, droit à l'entrée de sa chambre prit congé d'elle. La dame, comme courtoise, en souriant lui donna la bonne nuit, et lui dit au partir: « Jacquet, on ne vous voit qu'aux bons jours; je ne sçais d'oresen-avant comment vous en ferez; vous avez, jà été à cour avec beau cousin de Saint-Pol; par bonne espace, sans nous venir voir. » — Madame, répondit Jacquet de Lalain, il vaut mieux tard que jamais il vous a plu à moi retenir pour votre écuyer; de l'honneur que m'en avez fait vous en remercie, et prie à Dieu que tel service vous puisse faire qui vous soit agréable. >> Amen, ce ditmadame;il en est bien en vous. » En prenant congé, elle prit Jacquet par la main, et lui donna une verge d'or, ou par dedans avoit vu moult bel rubis en

[ocr errors]

chassé, en lui disant: « Jacquet, à Dieu soyez ! » Lors se partit la dame et entra en sa chambre, et avec elle plusieurs dames et damoiselles; et d'autre part Jacquet de Lalain, avec plusieurs chevaliers et écuyers, qui demenoient grand bruit en faisans leurs devises des joûtes avenir. Et ainsi tout devisant vinrent au logis de monseigneur Charles d'Anjou; où ils trouvèrent le comte de Saint-Pol qui appela Jacquet de Lalain, et lui dit: «< Jacquet, mon ami, à cette fois il convient que vous nous aidiez à fournir notre emprise: car les gens de Phôtel du roi se sont vantés, et ont promis l'un à l'autre, qu'ils nous jeteront et bouteront hors des lices. »

Lors Jacquet de Lalain réponditet dit ainsi: » Monseigneur, Jaissez-les dire; quand là viendra, j'espère qu'ils ne nous feront que tout bien: mais si je sçavois que vous deux qui avez publié la joûte, une chose que je vous veux requérir me voulusiez octroyer, à toujours mais je serois tenu à vous. » Les deux princes oyants que Jacquet leur vouloit faire aucune requête lui dirent: « Or dites doncques ce que vous demandez. » « Monseigneur, ce —— dit Jacquet, promettez-moi tous deux de m'octroyer ma requête et je le vous dirai. » Les deux seigneurs tout en souriant commencèrent à regarder l'un l'autre et dirent: Or sus, passons-lui sa requête; au fort nous orrons (entendrons) ce qu'il nous voudra dire ou requérir; accordons-lui pour cette fois.

[ocr errors]

Quand les deux seigneurs se furent une espace devisés ensemble, eux non sachants la requête que leur vouloit faire Jacquet de Lalain, le comte de

Saint-Pol l'appela et lui dit: « Jacquet, mon ami, monsieur du Maine et moi nous sommes devisés ensemble. Et pour ce que vous êtes venu avec noi et en ma compagnie, j'ai tant fait à monseigneur qui ci est, qu'il est content de vous octroyer votre requête, et demandez ce que voulez avoir; tant qu'est dema part je le vous octroye. »> Lors Jacquet de Lalain oyant la réponse du comte de Saint-Pol, se mit à un genouil et en souriant leur dit: « Mes très honorés et doutés seigneurs, je vous remercie tous deux. » Le comte de Saint-Pol marcha avant et prit Jacquet par la main, et lui dit qu'il se levât. Laquelle chose Jacquet ne voulut faire et dit: « Mes très honorés seigneurs, premier que je me lève je vous exposerai ce que je veux que m'octroyez: » Ils furent contents et dirent qu'il parlât. Lors Jacquet de Lalain, qui moult joyeux étoit de la réponse à lui faite par les deux seigneurs répondit en leur disant: « Mes très honorés et doutés seigneurs, vérité est que par Maine le héraut avez fait publier en l'hôtel du roi un noble pardon d'armes: c'est à sçavoir unes joûtes, qui se doivent faire et commencer en dedans quinze jours prochainement venants: pourquoi, mes très honorés et doutés seigneurs, je vous supplie et requiers humblement, que pour cette fois il vous plaise vous vouloir déporter (dispenser) de votre emprise, et me vouloir commettre et souffrir en votre lieu pour accomplir l'emprise qu'avez fait publier; et moyennant la grâce de notre seigneur, je m'y gouvernerai si bien, que votre honneur et le mien y sera gardé: et en ce faisant me

ferez plus grand honneur, que long-temps fut fait à homme de mon lignage; et par ce moyen moi et les miens seront tenus à toujours mais de vous ser

vir. »

Adonc les deux seigneurs, oyants le bon et haut vouloir de Jacquet de Lalain, furent moult ébahis, vu la grand' jeunesse d'icelui de Lalain. Si se tirèrent à part, et en demandèrent à ceux à qui leur sembloit d'en parler. Répondu leur fut que licitement le pouvoient faire. Si accordèrent à Jacquet de Lalain sa requête et demande, dont il fut moult joyeux; et en remercia les seigneurs, qui lui promirent l'accompagner sur les rangs, et partout où ils verroient qu'il seroit nécessité. Lors Jacquet de Lalain, après ce qu'il eut remercié les deux comtes, print congé d'eux et vint en son logis pour soi pourvoir et soi deviser aux gentilshommes qui avec lui étoient venus, et ès quels il avoit moult grand' fiance: et aussi ils étoient appris et usités de sçavoir ce qu'en tel cas appartenoit faire. Si se pourvurent de tout ce que besoin étoit; et tellement en firent, que quand ce vint au jour suivant, ils furent pourvus et garnis de tout ce que alors on pouvoit imaginer et penser. De cette emprise fut grand'nouvelle en la cour du roi; tant en la ville de Nancy comme ès autres villes du pays à l'environ; tous s'efforcèrent chevaliers écuyers, d'eux préparer et mettre en point, pour être prêts au jour qui étoit nommé. En plusieurs et diverses manières s'en devisoient les gens du roi, disants l'un à l'autre: « Or y perra, qui bien le fera. Ce nous seroit à tous grand

vergogne, si un écuyer de Hainaut, venant de l'hôtel du duc de Bourgogne, emportoit l'honneur et le bruit devant tous ceux de la cour du roi; trop nous seroit tourné à reproche, s'il n'étoit bien reçu et bien fourbi. »-« Certcs disoient les aucuns, à ce ne fraudra-t-il mie. Les autres répondoient: « Il est assez jeune; encore ne sçait-il pas comme François se sçavent aider de leurs lances. » Ainsi se devisoient les gens du roi, eux étants entre les dames, et autre part où ils se trouvoient ensemble; et tant que de leurs devises les nouvelles en vinrent à Jacquet de Lalain qui ne s'en faisoit que rire; fors qu'il disoit: « Je ne fais point de doute qu'il y ait François qui me porte hors de la selle, si mon destrier est porté par terre. Dont sil ainsi avenoit que Dieu ne veuille! si serois-je quitte pour dire aux dames: je n'en puis mais. » Ainsi de telles et semblables paroles usoient les François en la cour du roi; de laquelle chose Jacquet de Lalain, ni ceux qui avec lui étoient, n'en tenoient guères de compte.

CHAPITRE XVII.

CY-FAIT MENTION COMMENT JACQUET DE LALAIN ÉTOIT BIEN VENU EN LA COUR DU ROI DE FRANce et COM

MENT IL se gouvernA.

QUAND

UAND Jacquet de Lalain se vit être prêt et qu'il ne restoit que le jour à venir, lequel il désiroit

« AnteriorContinuar »