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Bourgogne pour anéantir les priviléges des Flamands, les villes de Gand, de Bruges, de Liége, de Malines, de Dordrecht, opposèrent constamment une digue puissante aux empiétements du despotisme ducal. « Ce nom de roi, disait dans le siècle suivant Guillaume de Nassau dans son apologie, en parlant de Philippe II, ce nom de roi m'est inconnu... Je ne connais en ce pays qu'un duc et un comte duquel la puissance est limitée selon nos priviléges, lesquels il a jurés à sa joyeuse entrée. » Souvent comprimées dans leurs révoltes par le secours que prêtaient les rois de France à leurs ducs, elles n'en conservaient pas moins toujours des habitudes de liberté qui donnaient une grande impulsion à tous les développements intellectuels de leurs habitants. Le commerce, presque dégagé de toutes entraves, avait élevé les villes manufacturières de Bruges, de Lille et de Dinant au plus haut degré de splendeur, et malgré la prodigalité désordonnée du

(1) Cette opu'ence entraînait souvent les ducs de Bourgogne à des exactions aux quelles il n'était pas toujours aisé de résister; on en jugera par le fait suivant raconté par J. du Clercq (L. 3 Ch. 27)

« En icelui temps (1457) un Pelletier nommé Jean Pinte étant mort, le lendemain matin, ainsi que Jean Pinte fut mis en terre, sa femme, la quelle étoit jeune femme de trente-quatre ans ou environ, fiança et épousa ce propre jour un nommé Willemet de Noeuville, Pelletier aussi, de l'âge de vingt ans ou environ, et la nuit ensuivant coucha avec son dit second mari. Je mets ce par écrit, pour tant que comme je crois, on a vu peu de femmes soi plustôt remarier; combien que en aucunes manières on la pourroit excuser, car en ce temps, par tout le pays du due de Bourgogne, sitôt qu'il advenoit que aucuns marchands, labouriers, et aucune fois bourgeois d'une bonne vil'e, ou officier trépassoit de ce siècle, qui fût riche, et il délaissât sa

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souverain et les pillages des gens de guerre, une industrie active réparait à mesure les sottises du gouvernement. Le despotisme n'était pas moins destructeur dans les autres pays voisins et on n'avait pas les mêmes ressources pour réparer ses ravages. << En Flandre, dit Meyer (), l'opulence régnait partout et tous les genres de commerce avaient pris une grande extension. La France était au contraire si désolée que non-seulement on n'y ensemençait par les terres, mais que les bruyères et les mauvaises herbes croissant partout lui donnaient l'apparence d'une immense forêt d'où sortaient comme d'un sûr repaire les loups et d'autres bêtes féroces pour attaquer et emporter les hommes. Un grand nombre de marchands de la ville même de Paris avaient suivi le duc de Bourgogne en Flandre. »

Pendant que l'industrie commerciale des Flamands fournissait à Philippe-le-Bon les moyens de satisfaire son goût pour la magnificence, l'institution de l'ordre de la Toison-d'Or, fondé par lui

femme riche, tantôt le dit duc, son fils, ou autres de ses pays, vouloicnt marier ces dites veuves à leurs archers ou autres leurs serviteurs; et falloit que les dites veuves, si elles se vouloient marier, qu'elles épousassent ceux que leurs seigneurs leur vouloient bailler, ou fissent tant par argent, au moins tant à ceux qui les vouloient avoir comme à ceux qui gouvernoient les scigneurs, et aucunes fois aux seigneurs mêmes, que ils souffrissent que elles se mariassent à leur gré; et encore étoient elles les plus heureuses qui par force d'amis et d'argent en pouvoient être délivrées. car le plus souvent, voulussent ou non, si elles se vouloient marier, il falloit qu'elles prissent ceux que les seigneurs leur vouloient bailler. Et pareillement, quand un homme étoit riche et il avoit une fille à marier, s'il ne la marioit bien jeune, il étoit travaillé (tourmenté), comme est dit ci-dessus. J. A. B.

(1) Annales Flandriæ Lib. XVI. fol. 273 verso, à l'anuée 1429. J. A. B.

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le 10 Janvier 1429 à l'occasion de son mariage avec Isabelle de Portugal, en donnant un lustre nouveau à la chevalerie faisait de sa cour le rendezvous de tous ceux qui cherchaient à retrouver dans ces jeux et l'image et la gloire des véritables faits de guerre. Dans toutes les fêtes, dans toutes les occasions solennelles, des joûtes étaient proclamées, et les nouveaux chevaliers de la Toison-d'Or, ainsi que leurs nombreux émules, se présentaient pour rompre quelque lance en l'honneur des belles. J. Duclercq raconte dans ses intéressants mémoires un fait qui peint parfaitement les habitudes de cette cour galante et guerrière.

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« La comtesse de Nevers, dit-il, après avoir été festoyée dix jours durant à Lille par des joûtes et courses de lance se partit le 11 de la dite ville pour aller à Englemoustier où étoit la comtesse d'Étampes sa belle sœur; et la convoya (conduisit) le duc Philippe, et Adolphe de Clèves avec fui sixième, armé au blanc, chacun ayant sa lance derrière; et comme ils la convoyoient, environ un quart de lieue près la dite ville, à un poncelet (petit pont), vinrent à l'encontre des dites dames Charles comte de Charolois, fils du dit duc, et messire Anthoine, bâtard du dit duc, eux sixièmes armés tout au clair; lesquels vinrent au dit poncelet et demandèrent au dit Adolphe qui il -étoit et où il menoit ces dames; lequel leur répondit qu'il ne leur chaussit (importât), et qu'ils

(1) Livre 3. Ch. 36. Les mémoires de J. du Clercq formeront trois volumes de cette série de ma collection. J. A. B.

les laissassent passer leur chemin, car ils ne demandoient rien. Lors le dit Charles, comte de Charolois, lui et ses gens, avalèrent (abaissèrent) leurs lances, et le dit Adolphe pareillement, et férirent ensemble; et rompit chacun sa lance; puis saisirent leurs épées, lesquelles étoient rabatues et tournantes, et illecq (là), comme en un tournoi, traitèrent tant l'un l'autre que chacun se recrandesist (rendit); et quand fut recrant (rendu), ils ôtèrent leurs heaumes, et vinrent aux dames, et les mirent en un très bel hôtel assez près du dit pont, qui étoit au frère maître Betremy, à la Truye, jadis maître de la chambre des comptes du dit duc, auquel lieu le dit comte de Charolois avoit fait appointer un moult riche manger; et après manger, chantèrent et dansèrent; et après tout ce, les dames remontèrent à cheval; et illeci (là) prit congé le duc aux dames et s'en retourna à Lille, et les dames et le dit comte de Nevers et comte d'Étampes à Englemoustier. »

Pour que ces beaux coups de lance ne restas sent pas en oubli, parmi les quatre grands offi ciers de l'ordre de la Toison-d'Or, deux, le secrétaire ou greffier et le roi d'armes, étaient spécia lement chargés de les enregistrer et de les chroniser. Jean le Febvre seigneur de Saint-Remy fut le premier roi d'armes de la Toison-d'Or, et il nous a laissé des mémoires fort curieux sur son temps.". Son successeur Georges Chastellain, auteur de cette chronique du chevalier de Lalain, acquit une bien plus haute célébrité encore. II

(1)Ces mémoires font partie de cette collection. J. A. B.

n'est pas un écrivain du temps qui n'en fasse les plus brillants éloges.

« Hélas, mon prince, monseigneur et mon maître, dit Olivier de la Marche en s'adressant à l'archiduc Philippe", je plains et regrette, pour mettre ces points jusqu'à votre connaissance, que je suis lai, non clerc, de petit entendement et nud langage et que je ne puis avoir le stile et le subtil parler de messire Georges Chastellain, trẻpassé, chevalier de ma connaissance, natif Flamand, toutefois mettant par écrit en langage François, et qui tant a fait de belles et fructueuse choses de mon temps, que ses œuvres, ses fails, et la subtilité de son parler lui donneront plus de gloire et de recommandation à cent ans à venir que aujourd'hui. »>

Le Febvre de Saint Remy ("), Molinet (3), Robertel, Geoffroy de Tory (2, , Pierre Fabry (5), Guillaume Crétin (6); Jean le Maire Belge (7), Étienne Pasquier (8), Pontus Heuterus (9), Aubert le Mire(),

(1) Introduction des mémoires d'Olivier de la Marche. J. A. B. (2) Dans ses mémoires. J. A. B.

(3) Dans sa chronique restée manuscrite mais dont M. de Reiffenberg va donner une édition avec l'exactitude et la saine critique qui le caractérisent. J. A, B.

(4) Dans son livre intitulé le Champ Fleury. J. A. B.

(5) Dans son prologue sur l'art de pleine rhétorique. J. A. B.

(6) Dans sa Déploration sur le trépas d'Ockegem trésorier de St. Martin de Tours. J. A. B.

(7) Daus son traité intitulé La concorde des deux langages François et Toscan, imprimé à Paris en 1528. J. A. B.

(8) Recherches de la France, liv. 7, chap. 8. J. A. B.

(9) Res Burgundicæ lib. 4, à Philippo bono, sub finem. J. A. B,
(10) In Elogiis Belgicis. J. A. B.

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