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nesque: le seul titre de ce livre sacré devrait inspirer du respect pour la vérité.

Cependant vous savez qu'il n'est pas le premier qui ait débité des histoires suspectes sur les versions de l'Ecriture sainte. On en a une sur celle des LXX, fabriquée par Aristée, Juif de naissance, mais qui, sous le personnage d'un païen, a publié son roman. Il dit que Ptolomée Philadelphe, roi d'Egypte, ayant résolu de faire une bibliothèque, voulut avoir les livres des Juifs; que pour cela il envoya une ambassade avec de grands présents à Eléazar, alors souverain pontife, le priant de lui choisir d'habiles gens de chaque tribu, pour travailler à cette version. Aristée nous apprend qu'il était lui-même de l'ambassade. Eleazar envoya soixante et douze Juifs, qui furent reçus avec joie à Alexandrie et se mirent incessamment à travailler. Josèphe, pour embellir le roman, ajoute la fable des soixante-dix cellules, où il prétend qu'ils se renfermèrent. Dans le même nombre de jours, l'ouvrage fut achevé à la grande satisfaction du roi.

Ce récit d'Aristée peut être comparé à celui de Léti, mais avec cette différence, que la version des LXX existe, et que la fiction ne roule que sur la manière dont on veut qu'elle ait été faite, au lieu que chez Léti, la version italienne, dont il fait l'histoire d'une manière si circonstanciée qu'elle occupe six ou sept pages de son livre, est cependant une pure chimère; tout est supposé et pour le fond et pour la forme. Voilà donc un nouveau titre pour être placé à côté de Varillas, que Pufendorf a dit qui méritait d'être appelé par excellence l'archimenteur.

Quelques personnes, par un grand fond de charité, essaieront peut-être d'excuser un peu cet infidèle historien; ils se contenteront d'appeler méprise ce que j'ai taxé d'imposture. Léti, diront-ils, qui allait fort vite dans tout ce qu'il écrivait, aura confondu la version latine de la Bible que Sixte donna à peu près à la même date, avec sa prétendue version italienne. Ce qui semble appuyer cette conjecture, c'est que cette Bible, qui est devenue extrêmement rare, se trouve justement dans les trois

bibliothèques d'Italie que Léti cite comme possédant chacune un exemplaire de celle dont il fait l'histoire. S'étant une fois trompé sur la réalité de cette version, il a ensuite donné essor à son esprit romanesque. Il a imaginé ce qu'aurait dû dire Olivarès, ambassadeur d'Espagne, sur le danger qu'il y avait à donner la Bible en langue vulgaire. Il l'introduit à peu près comme un personnage de tragédie, et il faut convenir que le dialogue entre Sixte et lui fait une scène fort curieuse. Mais, Monsieur, vous allez voir que Léti ne s'est pas trompé lui-même, et qu'il a eu le dessein formel d'imposer en tout à ses lecteurs. Il n'a point confondu la version italienne avec la Vulgate, puisqu'il parle trèsdistinctement de l'une et de l'autre; il dit positivement que «Sixte avait fait imprimer la Vulgate l'année précédente, que quelques personnes s'en plaignirent, mais que ce fut tout autre chose quand il publia sa version italienne. »

Ayant relu votre lettre, j'ai trouvé que vous me faites une autre question, c'est sur la rareté de cette Vulgate, et vous en voulez savoir la cause. On est assez embarrassé à la donner bien précisément; voici ce qui s'est dit de plus vraisemblable làdessus :

Le pape ayant beaucoup travaillé à la correction de la Vulgate, pour en donner une édition qui pût devenir authentique, suivant l'intention du concile de Trente, la mit enfin sous la presse dans l'imprimerie qu'il venait de faire construire au Vatican. Son intention étant qu'elle fût entièrement correcte, il la relut dès qu'elle fut imprimée, et corrigea de sa propre main, non-seulement toutes les fautes d'impression, mais il fit imprimer encore diverses corrections pour les coller dans tous les exemplaires, et couvrir par ces petites bandes de papier les fautes qui étaient échappées. Dans cet état on en débita plusieurs. Le pape en fit des présents que l'on reconnaît encore aujourd'hui dans les bibliothèques, à la magnifique reliure et aux armes de Sixte qui la décorent. Mais jetant les yeux ensuite sur le grand nombre de corrections qu'on avait été obligé de faire, il se dégoûta de son

ouvrage. On prétend qu'il le supprima, et qu'il forma le dessein de donner une nouvelle édition plus correcte, mais que sa mort, qui arriva le 17 août 1590, c'est-à-dire peu de temps après, ne lui permit pas d'exécuter ce nouveau projet.

D'autres croient que cette suppression ne vint pas de Sixte lui-même, mais qu'après sa mort, sa Bible ayant été examinée avec soin, ne fut pas trouvée assez correcte; qu'on jugea à propos de la faire disparaître, et qu'on travailla à une nouvelle correction qui parut deux années après, sous le pontificat de Clément VIII. Voilà ce qui peut avoir rendu très-rares les exemplaires de la Bible de Sixte V. Les curieux les recherchent avec avidité et les paient fort chèrement; on n'en compte que sept dans les bibliothèques de Paris. La seule qui fût en grand papier, se trouvait dans la bibliothèque du comte d'Hoim, ambassadeur du roi de Pologne en France; elle fut vendue, en 1738, sept cent livres. Il l'avait eue de la bibliothèque Colbertine, dont il avait acheté plusieurs livres rares.

La dernière question que vous me faites, c'est à quoi l'on peut reconnaître bien sûrement la Bible de Sixte V, au cas qu'il se présentât quelque occasion de l'acquérir. Vous avez ouï dire qu'on peut y être trompé, et que des libraires, en déguisant un peu celle de Clément, la font passer pour celle de Sixte. Il ne faut pas s'arrêter au titre, que l'on peut aisément contrefaire, mais j'ai ouï dire que le meilleur caractère, pour n'y être pas trompé, ce sont ces petites bandes de papier que je vous ai dit que Sixte fit coller sur ses fautes qu'il voulait couvrir.

Je ne vous dissimulerai pas, Monsieur, que je trouve que vous m'avez mis aujourd'hui sur des sujets assez secs, et qu'il me semble que j'aurais été plus à mon aise sur quelques matières de raisonnement. Il n'est pas fort satisfaisant de rechercher, et cela quelquefois avec assez de peine, si telle et telle édition d'un livre est d'une certaine année ou d'une autre date, si cette édition est bien réelle, ou seulement imaginaire, comme il m'a fallu faire sur la version italienne attribuée à Sixte V. On n'est

guère plus savant quand on a épluché avec soin ces petites questions qui regardent proprement la librairie. Cependant, pour vous faire voir que je ne prétends pas faire trop valoir les recherches que demandait votre dernière lettre, je veux bien vous avouer naturellement que le Père Le Long m'a épargné la plus grande partie de la peine, et que j'ai trouvé dans sa Bibliothèque sacrée des éclaircissements suffisants pour bien constater l'imposture de Léti.

VI

SUR UN SECOND TRAITÉ DES CONFORMITÉS DE SAINT FRANÇOIS D'ASSISE AVEC NOTRE SAUVEUR.

(Le monachisme du quatorzième siècle avait produit le livre des Conformités, etc., parallèle impie et ridicule entre le fondateur de l'ordre des Franciscains et N. S. J.-C.

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Malgré les justes reproches qui lui ont été adressés par les réformés et même par des auteurs catholiques, un moine espagnol renchérit encore de beaucoup sur cet ouvrage, dans son Prodigium naturæ, en 1651. — Inscription analogue sur l'église des Cordeliers de Reims.)

(Journal Helvétique, Février 1744; Bibliothèque raisonnée, second trimestre de 1744, tome XXXII, 2me partie.)

Tout le monde connaît le fameux livre des Conformités du patriarche des franciscains avec N. S. Jésus-Christ. Ceux qui n'ont pas lu l'ouvrage même, en ont vu au moins des extraits qui se trouvent dans quantité d'auteurs différents. Il fut composé par un cordelier, connu sous le nom de Barthélémi de Pise, qui le présenta, en 1399, au chapitre général de son ordre, assemblé à Assise. Il fut reçu avec des applaudissements extraordinaires. On fut seulement embarrassé comment on pourrait marquer à l'auteur combien on lui savait gré de cet admirable ouvrage. Il n'y aurait pas lieu d'être surpris qu'un moine de ce temps-là eût produit un semblable livre; mais que

tout un Chapitre de religieux ait applaudi à ce tissu d'impertinences, ou plutôt d'impiétés, c'est ce qui doit surprendre. Après avoir mûrement délibéré sur la manière de récompenser l'auteur d'un parallèle si glorieux à leur ordre, ils ne trouvèrent rien de plus convenable que de lui faire présent de l'habit complet que saint François avait porté pendant sa vie, que l'on gardait comme un dépôt précieux. Le P. Oudin dit là-dessus que la récompense était parfaitement assortie à l'ouvrage. La crasse du couvent frappait également dans l'un et dans l'autre. « Dignum tali patellà operculum, » dit le proverbe. Le froc de saint François était un couvercle convenable au plat que le cordelier avait présenté au chapitre, et qui avait été si fort de leur goût.

Après avoir attaqué Barthélemi de Pise sur son misérable livre, pour vous montrer mon impartialité, je crois devoir le justifier sur une production d'un autre genre, qu'on s'est avisé de lui attribuer depuis quelque temps. Vous savez, Monsieur, qu'on imprima à Genève, chez Pérachon, il y a environ dix ans, le premier volume d'une Bibliothèque Ecclésiastique, en latin, que la mort du libraire a fait discontinuer. A l'article Albizzi, on avance que Barthélemi de Pise eut un fils, nommé Humbert, qui se fit dominicain, et fut ensuite évêque de Pistoie. Je vous avoue que je crois ce fait un peu hasardé. On soupçonne que c'est une méprise causée par la conformité de nom. Notre auteur s'appelait Barthélemi Albizzi: l'évêque de Pistoie était fils d'un autre Barthélemi de la même famille, et qui vivait un peu après le cordelier. Voilà ce qui aura causé l'équivoque. Je crois donc qu'on ne doit le charger d'aucun autre enfant bâtard que de son livre des Conformités. L'accusation ayant été faite à Genève, il est juste que la réparation d'honneur se fasse dans le même lieu.

Il m'est tombé entre les mains un recueil d'un de vos bibliographes allemands, dont je dois à cet occasion vous dire quelque chose. En voici le titre : Augusti Beyeri Memoriæ historico

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