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Arnaud fut, en effet, de ceux qui entreprirent le pélerinage de Jérusalem avant les Croisades. Il mourut à Villeneuve, à son retour de la Terre-Sainte, et fut inhumé au sein même de sa fondation, d'abord au seuil du cloître de Maguelone, puis, à la suite d'une sorte de pieux avertissement qu'aurait reçu en songe son successeur, dans la nouvelle cathédrale, où l'on voyait encore, au XIVe siècle, son épitaphe, de la même composition que les vers précédemment rapportés:

Hic jacet Arnaldus, sedis pater hujus et auctor,

Annis triginta præditus officio,

Qui, postquam Jerosolymam devotus adivit,
Ut redit, in Villa fertur obisse nova.
Protinus hinc julias translatus quarto calendas,
In foribus claustri sub gradibus situs est.
Nocte autem monitus præsul junior Gothofredus,
Istuc condigno transtulit obsequio 1.

II. L'œuvre de restauration n'était, néanmoins, qu'ébauchée à Maguelone, et il restait encore beaucoup à faire pour son achèvement. L'évêque Godefrid s'en chargea. Il termina les bâtiments commencés, et compléta la réforme canoniale. Il dota ses chanoines, pour l'y affermir en assurant leur entretien, des revenus de nombre d'églises qu'énumèrent nos chroniques, et dont voici la liste: les églises de Montpellier et de Montpelliéret, de Villeneuve, de Vic, de Mireval, d'Exindre, de Maurin,

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des transcriptions de la chronique d'Arnaud de Verdale. Le texte de ces deux manuscrits, un peu plus complet dans certains endroits, moins complet dans d'autres, ne fournit guère en général que des variantes rarement heureuses, souvent fautives. J'en ai tenu compte quand il y a eu lieu, sans m'exagérer cependant la valeur de ces deux copies si récentes. Celle de Nimes est l'œuvre d'un des scribes du marquis d'Aubaïs ; et celle de Paris, intercalée dans un Florilegium sacrum, porte la date de 1646. Une édition définitive d'Arnaud de Verdale rendrait à notre histoire ecclésiastique un vrai service.

1 Arnald. Verdal, ap. De Grefeuille, Hist. de Montp., II, 419, et Labbe, Nov. biblioth., I, 796. Cf. Gariel, Ser. præs. Magal., I, 112, et Gall. Christ., VI, 739.

de Cocon, de Montels, de Chaulet, de Prunet, de Juvignac, d'Autignac, de Pignan, de Saint-Jean de Védas, de Saint-Georges d'Orques, de Murviel, de Sauteyrargues, de Sauret, de Novigens, de Montauberon, de Saint-Michel et Saint-Vincent de Sauviac, de Pérols, de Saint-Jean de Fréjorgues, de Notre-Dame d'Auroux, de Sainte-Agnès de Marou, du Saint-Sépulcre de Salaison, de Saint-Romain de Melgueil, de SaintÉtienne de Ginestet, de Saint-Brès, de Saint-Félix de Substantion, de Castelnau, de Saint-Seriès, de La Vérune, de Clapiers, de Saint-Jean et de Saint-André de Buèges, de Saint-Barthélemi de Baillargues, etc. '

Les chanoines de Maguelone pouvaient désormais vaquer, sans préoccupation de leurs besoins matériels, à la pratique régulière des devoirs de leur état. Les laïques, d'ailleurs, leur venaient en aide. La comtesse Adèle de Melgueil leur avait déjà fait donation, en 1055, d'accord avec son fils Raymond et sa belle-fille Béatrix, de la partie de l'étang de Maguelone située à droite de l'embouchure de la Mosson jusqu'à la plage. Le comte Pierre de Melgueil ne se montra pas moins libéral en 1083; car, non content de leur avoir engagé, moyennant finance, ses droits sur les navires qui abordaient soit dans l'île, soit sur la côte, il finit alors par s'en dessaisir complétement en leur faveur. Ce même comte poussa bientôt la générosité jusqu'à l'héroïsme : il fit hommage, en 1085, de toute sa seigneurie à Saint-Pierre, en la personne de Grégoire VII, en signe de quoi il s'obligea à payer chaque année une

1 Ancienne Chronique de Maguelone éditée en 1853, et Chronique d'Arnaud de Verdale, ap. De Grefeuille, Hist. de Montp., II, 425. Cf. Labbe, Nov. biblioth., I, 799.

2 a Donamus Omnipotenti Deo et Beato Petro, Apostolorum principi, Magalonense stagnum, ab eo loco quo influit in id fluvius Amansionis, sicut porrigitur in directum usque ad mare, cum ipsa terra a parte dextra ab integro, cum omni censu qui de eo persolvitur, et cum omni usu qui de eo exigitur, et cum levatis a citeriore ripa usque ad ulteriorem, sicut contenditur in mare, exceptis plagis de mari, etc. » Hist. gén. de Lang., II, Pr. 227. Cf. Gall. Christ., VI, Instrum. 348.

3 Cartul. de Mag., Reg. A, fol. 216 et 217 ro, et Reg. E, fol. 440 vo. Cf. Hist. gén. de Lang., II, 253, Pr. 301 sq. et 313 sq.; Gall. Christ., VI, 740 sq., et Instrum. 349; Gariel, Ser. præs. Magal., I, 114 sq. et 118, et Idée générale de la ville de Montpellier, part. 1, p. 127 sq.

once d'or au Saint-Siége. Pierre de Melgueil se désista du même coup des prétentions de sa famille sur le choix des évêques de Maguelone, et en laissa la nomination au chapitre, sous l'autorité du pape 1.

Évêque et chanoines ne pouvaient rien désirer de plus avantageux; ils étaient décidément en veine de fortune.

A Montpellier même, on se mettait à leurs pieds. Le valeureux Guillem V restituait à Godefrid les églises qu'il s'était illégalement attribuées, puis reconnaissait publiquement tenir de lui en fief sa seigneurie 2.

III. Urbain II inaugura son pontificat en acceptant, au nom du SaintSiége, à la place de Grégoire VII, mort trop tôt pour avoir pu s'acquitter de ce soin, la donation de Pierre de Melgueil, et en confiant à l'évêque de Maguelone la surveillance spéciale de ce nouveau domaine de l'Église délégation importante, qui allait être comme le prélude d'une prise de possession plus entière et plus directe, que l'avenir ménageait à nos prélats.

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Urbain II recommandait, à dix jours d'intervalle, par une seconde bulle adressée au clergé et au peuple du diocèse de Maguelone, une respectueuse docilité envers leur évêque, qu'il venait d'instituer ainsi le représentant autorisé du Saint-Siége, une constante exactitude à payer la dîme, et une pieuse émulation à accroître la richesse de l'Église *.

■ Cartul. de Mag., Reg. C, fol. 70 ro. Cf. Hist. gén. de Lang., II, 267, et Pr. 321 ; Gall. Christ., VI, Instrum. 349; Gariel, Ser. præs. Magal., I, 448; Arnaud de Verdale, ap. Labbe, Nov. biblioth., I, 800; De Grefeuille, Hist. de Montp., II, 426, et Script. rer. gallic. et francic., XII, 370. Voir aussi, à ce sujet, mon Etude historique sur les comtes de Maguelone, de Substantion et de Melgueil, p. 19 sq.

2 Histoire de la Commune de Montpellier, Introd., p. xIx.

3 « Fraternitati tue, écrit, le 14 décembre 1088, Urbain II à notre évêque Godefrid, tuisque successoribus, quandiu tales fuerint ut Sedis Apostolice communionem et gratiam habere mereantur, predicti Substantionensis comitatus curam injungimus. » Cartul. de Mag, Reg. E, fol. 140; Bull. de Mag., fol. 58 ro; et Privil. de Mag., fol. 25 vo. Cf. Gariel, Ser. præs. Magal., I, 121; Gall. Christ., VI, Instrum. 350; Script. rer. gallic. et francic., XIV, 690.

4 Bulle du 24 décembre 1088, ap. Privil. de Mag., fol. 26 vo. Voy. Pièces justificatives, No I.

Le pape prenait donc au sérieux la donation de Pierre de Melgueil, et le comté de Substantion devenait réellement terre romaine.

Quelques années plus tard, l'évêque Godefrid assistait au concile de Plaisance, où l'idée de Grégoire VII touchant la Croisade reçut une première consécration publique, et il en rapportait une troisième bulle, non moins précieuse pour mon sujet : elle est du 14 mars 1095.

Urbain II, en félicitant les chanoines de Maguelone d'avoir embrasse la vie régulière, les exhorte par ce document à y persévérer, et confirme en leur faveur la cession de toutes les églises que Godefrid leur avait assignées '.

Cette bulle, rédigée en forme de privilége, allait être pour nos chanoines une sorte de charte organique; elle posait les bases de leur constitution.

« Nul d'entre vous, après s'être engagé dans la vie religieuse, » y dit le pape, « ne pourra la quitter, fût-ce pour adopter une règle plus » austère, sans la permission du prévôt et de toute la communauté.

a Omnipotenti Deo, cujus melior est misericordia super vitas, gratias agimus, quia vos estis, qui sanctorum patrum vitam probabilem renovare proposuistis..... Vestrum ergo votum, vestrum propositum nostri auctoritate officii confirmamus, et firmos vos in eo persistere adhortamur..... Quamobrem omnibus in vestro cenobio vitam canonicam secundum Beati Augustini regulam profitentibus, et in ea adjuvante Domino permanentibus, nos, licet indigni Apostolorum vicarii, eorum ac nostram benedictionem, peccatorumque absolutionem, potestate illis a Domino indulta, concedimus, constituentes ne cuiquam omnino liceat hunc vestrum statum ordinis commutare..... Quicquid preterea confrater noster Gotefredus, vester episcopus, in usum vestrum dedit, ecclesias videlicet de Villanova, de Montepessulo, de Gijano, cum decimatione Villepaterni, ecclesias sanctarum Eulalie et Leocadie de Valle, Sancti Michaelis de Monteilio, Sancti Joannis de Cucone, Sancti Marcelli de Fratribus, Sancti Andree de Maurone, Sancti Petri de Monte Arbedonis, Sancti Ilarii de Centranegis, Sancti Stephani de Beianicis, Sancti Johannis de Vedace, Sancti Felicis de Veruna, Sancti Stephani de Pignano, Sancti Johannis de Buia et Sancti Andree, Sancti Dionisii de Montepistellereto, Sancti Martini de Pruneto, omnes cum capellis, cum decimis et oblationibus et alodiis suis, et quicquid deinceps dederit, nos vobis firme et integre permanere concedimus. » Bulle du 14 mars 1095, ap. Privil. de Mag., fol. 25 ro. Cf. Gall. Christ., VI, Instrum. 352, et Gariel, Ser. præs. Magal., I, 125.

2 a Statuimus etiam ne professionis canonice quispiam, postquam deifice super caput

» La dignité de prévôt ou d'archidiacre ne sera conférée que par le » libre choix des membres de la communauté 1.

» L'évêque ne pourra, sans l'avis de la communauté, rien distraire, >> au profit d'aucun moine ou chanoine, de ce qui appartient à sa » cathédrale 2.

» Les chanoines, à la mort de l'évêque, se saisiront provisionnelle» ment de tout ce qu'il laissera; et à eux reviendra la charge de lui élire

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La société canoniale de Maguelone était dès-lors fondée; elle avait non-seulement des droits et des devoirs, mais des intérêts semblables. L'évêque et le prévôt se trouvaient, tout en en étant les chefs, liés par la même loi : la vie religieuse en commun, et l'interdiction de la propriété particulière, base primitive de la règle de S. Augustin*.

IV. L'arrivée presque immédiate d'Urbain II fut comme une sanction vivante donnée à ce régime. L'illustre pontife était venu en France pour le concile de Clermont. Pouvait-il passer devant Maguelone sans s'y arrêter? N'était-ce pas pour lui un double moyen d'encourager nos chanoines et de prendre possession du comté dont Pierre de Melgueil

sibi honorem imposuerit, alicujus levitatis instinctu, vel districtioris religionis obtentu, ex eodem claustro audeat, sine prepositi totiusque congregationis permissione, discedere. Discedentem vero nullus abbatum vel episcoporum, et nullus monachorum sine communi litterarum cautione suscipiat. » Bulle du 14 mars 1095, ibid.

1 a Prepositum autem, vel archidiaconum, seu cujuslibet dispensationis ecclesiastice ministrum, nisi quem sue professionis communis electio fratrum regulariter viventium secundum Deum elegerit, vobis preferri auctoritate apostolica prohibemus. Ibid.

2 a Precipimus etiam ne deinceps episcopo liceat sine vestro consilio aliquid, quod ad jus matris ecclesie pertineat, cuiquam vel monachorum, vel canonicorum, in possessionem concedere; aliter vero acceptum irritum habeatur. » Ibid.

« Decedente episcopo, quecumque ejus sunt sub vestra provisione permaneant, donec alter in ejus loco canonice subrogetur, quam subrogationem vestra potissimum volumus electione constitui. » Ibid.

♦ Aussi nos chanoines de Maguelone n'eurent-ils qu'à demeurer fidèles à leur régime, quand le pape Innocent Il soumit, dans le concile de Latran de 4439, tous les chanoines réguliers à la règle de S. Augustin.

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