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sarrasines, ni jamais vraiment relevée des ruines amoncelées sur son sol par Charles-Martel, en haine des ennemis du Christianisme.

Je ne remonterai pas au-delà de ce double événement je n'aurais que des hypothèses à émettre sur la ville grecque ou romaine; et la ville gothique elle-même ne m'apparaîtrait qu'à travers d'assez épais brouillards, qui ne me permettraient pas d'en nettement distinguer les détails. Son évêque, à partir du moment un peu incertain où elle commence à en avoir un, se découvre plus à moi dans les conciles que dans les affaires d'administration intérieure. Je le vois, après s'être fait représenter par un archidiacre au troisième concile de Tolède de 589, assister en personne, la même année, à celui de Narbonne. Il se nommait alors Boèce, à la suite duquel vinrent Geniès, puis Gumild; et ce dernier, à son tour, quoique appartenant à la seconde moitié du VII° siècle, n'est guère connu que par sa participation à la révolte du duc Paul contre le roi Wamba.

Les Sarrasins, à peine maîtres de l'Espagne, convoitèrent la conquête de la Gaule, et Maguelone se trouva naturellement destinée, par sa position en face de l'Afrique et des Baléares, à leur servir de place forte. On ignore à quelle date précise ils s'en emparèrent; mais on rapporte à l'année 737 la terrible exécution qu'accomplit Charles-Martel, pour leur ravir l'avantage de ce point stratégique '. La ville insulaire ne fut plus,

Voy. Fauriel, Hist. de la Gaule mérid., III, 164, malgré le texte d'Arnaud de Verdale, qui semblerait attribuer cette exécution à Charlemagne. Je n'oserais a ffirmer qu'il y a confusion; mais ce genre de substitution n'est pas sans exemple, et j'aime mieux me ranger à l'opinion commune, que d'entreprendre de refaire l'histoire avec un document si éloigné de l'époque à laquelle il s'applique, et conséquemment si peu certain. L'autorité de Théodulf, qu'on pourrait invoquer à l'appui du nom de Charlemagne, disparaît devant le témoignage de notre évêque-chroniqueur du XIVe siècle, déclarant que Maguelone, même à l'état de ruine, garda son nom', nomen tamen retinuit, et caput esse episcopi non reliquit. Si d'ailleurs on attribuait à Charlemagne la destruction de Maguelone, on s'écarterait beaucoup plus qu'en l'imputant à Charles-Martel, du calcul de la chronique versifiée, qui entre cette destruction et la réédification par l'évêque Arnaud compte en nombre rond trois cents ans :

Inde manens annis urbs hæc deserta trecentis,

Tandem pontificem repperit artificem.

dès ce moment, qu'un amas de débris, et on put dire d'elle, comme de l'ancienne Troie, en en désignant l'emplacement, qu'elle n'existait qu'en souvenir. Tel est le sens des distiques conservés par Arnaud de Verdale, et souvent cités :

Hic locus insignis fuit urbs habitata malignis
Gentibus; unde ruit, quod scelerata fuit.
Carolus hanc fregit, postquam sibi marte subegit,
Ob Sarracenos, quod tueretur eos,
Quum Nemausenses exuri jussit arenas,
Aptas præsidio perfidiæ populi.

I.

I. L'évêque dut, à partir de cette destruction, se réfugier ailleurs. Il s'arrêta à Villeneuve, en vue des restes de sa cathédrale ', et laissa quelques-uns de ses chanoines s'aventurer jusqu'à Substantion 2, dont les comtes de Maguelone prirent, à leur tour, le titre. Ce fut à Villeneuve qu'à la faveur du démembrement de la monarchie carolingienne il assit les bases de son avenir féodal. Louis le Débonnaire y contribua tout le premier, si tant est qu'il ait donné au « très-saint Argemire », comme

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1 Il n'est pas vraisemblable, en effet, que la cathédrale ait été détruite comme la ville de fond en comble. « Erant ibi constituti quatuor capellani, rapporte la vieille chronique que j'ai éditée en 1853, qui singulis hebdomadibus, circa terciam, celebrabant ibi missam, non ausi celerius ecclesie [adesse], ob timorem piratarum. Témoignage confirmé par Arnaud de Verdale, qui va jusqu'à parler des reliques demeurées à Maguelone, à moins qu'on ne veuille, contre mon avis, attribuer ce dernier texte, si conforme au premier pourtant, et dont il semble n'être que le développement, à l'église de Substantion, précédemment indiquée. « Pauci clerici seu presbyteri, qui cantandi habebant officium in eadem ecclesia (Magalone?) apud Sanctorum reliquias, quæ multæ atque pretiosissimæ ibidem usque hodie servatæ sunt, sua officiola celebrabant et ibidem Magalonensis rarissime pontifex accedebat. » Arnald. Verdal., Series episcop. Magalon., ap. Labbe, Nov. biblioth. manuscript. libr., I, 796, et De Grefeuille, Hist. de Montp., II, 420.

2 « Tunc namque canonici sæculares, numero duodecim in eadem ecclesia (Magalonæ ) existentes, ad civitatem Substantionem, quæ tunc juxta Castrum novum satis fortis existebat, confugerunt, et ibidem trecentis annis permanserunt. » Arnald. Verdal., ibid.

;

le mentionne la chronique d'Arnaud de Verdale, les domaines du Terral, de Baillargues, de Saint-Jean de Védas, de Montels, de Chaulet et de Cocon. Ce prince restitua, en outre, à notre évêque, en 819, le bénéfice de Villeneuve, précédemment détenu par le comte Robert, et ajouta à ces grâces, déjà notables, celle de prendre sous son impériale protection la nouvelle résidence épiscopale 1.

Ce genre de largesses alla croissant pour les successeurs d'Argemire. Le comte de Melgueil Bérenger Ier rendit à l'évêque de Maguelone Ricuin II le domaine de Gigean, et son fils Bernard II lui donna les terres de Prunet, d'Exindre, d'Arboras, de Guzargues, de Novigens, en même temps que le seigneur de La Vérune lui soumettait son château, et que les pieuses sœurs de S. Fulcran lui abandonnaient les fiefs de Montpellier et de Montpelliéret, qui allaient constituer la principale source de l'importance de nos prélats.

Elle était devenue très-grande vers le milieu du XI' siècle. Ce fut alors que l'évêque Arnaud, de généreuse mémoire, entreprit de reconstruire sa cathédrale de Maguelone. Je ne reproduirai, à ce sujet, ni le récit d'Arnaud de Verdale, ni celui de la Chronique anonyme, beaucoup plus ancienne, que j'ai éditée en 1853. Je me bornerai à condenser, par manière d'analyse, la substance de ces deux documents.

Arnaud rebâtit ou restaura l'église de Maguelone, en y joignant

Arnald. Verdal., ap. Labbe, Nov. biblioth. manuscript. libr., 1, 794 et 795, et De Grefeuille, Hist. de Montp., II, 447 et 448. Voy. mon Mémoire sur Villeneuve-lezMaguelone, p. 8, et Pièces justificatives, No 4.

2 Arnald. Verdal., ap. Labbe, Nov. biblioth. manuscript. libr., I. 794, et De Grefeuille, Hist. de Montp., II, 446.

3 Notons ici tout d'abord l'intervention pontificale. Nous la verrons planer sur toute cette histoire; et il importe d'en signaler le point de départ. Elle se manifeste dès le principe par la lettre de Jean XIX, qu'obtint de ce pape l'évêque Arnaud, non pas

en 1038, comme le dit M. Renouvier; car c'était alors Benoît IX qui occupait le saintsiége; mais au plus tard en 1033, dernière année du pontificat de Jean XIX. (Voy. Jaffé, Regesta pontificum Romanorum, Berlin, 4851, in-4o, pag. 359.) Cette lettre donnant comme le ton à mon travail, il me paraît utile de la transcrire : « Joannes episcopus, servus servorum Dei, omnibus bonum facientibus in ecclesia Magalonensi, ad honorem apostolorum principis Petri et doctoris gentium Pauli dedicata et dedicanda,

diverses constructions accessoires aujourd'hui détruites. Il lui fallait bien loger ses chanoines. Ils n'étaient que douze, il est vrai, secondés par autant de prébendiers. Il leur persuada d'adopter un régime uniforme, et de vivre en communauté 1.

Le besoin en était impérieux; car nos chanoines avaient contracté dans leurs pérégrinations de déplorables habitudes de relâchement. Le courageux évêque crut donc devoir refaire son chapitre en refaisant sa cathédrale; et pour enlever à ses prêtres tout prétexte d'opposition, il pourvut libéralement à leur subsistance. Il acquit à leur usage l'étang de Maguelone avec sa pêcherie 2, possession indispensable pour une communauté fréquemment soumise au maigre; - puis il les dota de terres à Villeneuve et à Cocon, propres à leur fournir les aliments nécessaires, en fruits ou en légumes, avec un moulin sur la Mosson, où se préparerait leur farine.

Supradictam Maga

salutem carissimam, cum benedictione apostolica et absolutione. lonensem ecclesiam, peccatis exigentibus ad nihilum redactam audivimus; unde valde dolemus, quia ecclesiarum desolatio Christianorum detrimentum esse dignoscitur. Ob hoc quidem tam ecclesiæ supradictæ, quam et omnibus circumcirca degentibus suggerere volumus Christianis, ut in restauratione hujus ecclesiæ laborent; peccatorum namque suorum veniam et indulgentiam promereri a justo Judice apostolica auctoritate spondemus cuicumque de propria hæreditate, vel de propriis bonis offerendo, aut de beneficiis reddendo, ecclesiam supradictam relevare nisus fuerit : nam unam et similem mercedem accipiet, qui propria offeret, et qui beneficia ecclesiastica reddet in commune, et benedictione pariter et absolutione apostolica fruetur. Quod si aliquis episcopus, vel cujus cumque dignitatis homo, quod ibidem oblatum fuerit pravo ingenio alienare, usurpare vel vendere voluerit, maledictione anathematis percellatur, habeaturque extraneus a Christianorum consortio et regno Dei. Hoc vero decretum firmari volumus ab omnibus episcopis, quos Arnaldus invitaverit, sicut nos fecisse inferius cognoscent. + Bene valete. » Labbe, Nov. biblioth. manuscr. libr., 1, 797. Cf. Arnald. Verdal., ap. De Grefeuille, Hist. de Montp., II, 421, et Gariel, Ser. præs. Magal., I, 404.

Arnald. Verdal., Series episcop. Magal., ibid.

* Arch. départ. de l'Hérault, Cartul, de Mag., Reg. F, fol. 429 ro et 297 vo sq. Cf. Hist. gen. de Lang., II, 193, et Pr. 227; Gall. Christ., VI, 739, et Instrum. 348 sq.; Arnaud de Verdale, ap. Labbe, Nov. biblioth. manuscript. libr., I, 798, et ap. De Grefeuille, Hist. de Montp., II, 424; Chron. de Mag., édit. 1853; Gariel, Ser. præs. Magal., I, 440 et 131, et Idée générale de la ville de Montpellier, partie 1, p. 124 sq.

Afin de les prémunir en même temps contre la reprise des pirateries sarrasines, il ferma l'ancien grau, qui, en servant de port à Maguelone, pouvait donner accès à l'ennemi. Il en ouvrit un autre moins périlleux, conduisant à un nouveau port mieux abrité, et relia l'île à la terre ferme, en la mettant, au moyen d'un pont, en permanente communication avec le territoire de Villeneuve.

Ces faits se trouvent indiqués non-seulement dans les deux chroniques que je reproduis en les résumant, mais aussi dans le petit poème en vers léonins dont j'ai déjà transcrit le commencement:

Inde manens annis urbs hæc deserta trecentis,
Tandem pontificem repperit artificem.
Præsulis Arnaldi sit semper subdita laudi,
Cujus nacta vicem, crevit in hunc apicem.
Hic muros jecit, turres hic undique fecit,
Clerum divinis contulit officiis.

Ipse gradum clausit, quo predo piraticus hausit
Sæpe latrociniis littora nostra suis.

Navibus introitus per eum gradus alter apertus,

Non procul a terris est, Magalona, tuis.
Illicitumque thorum dissolvit presbyterorum,
Pontem constituit, trans mare post abiit.
Ut rediit moritur; in sede sua sepelitur,

A se compositum servet ut ipse locum 3.

1 Voy. l'excellente Carte dressée en 1861 par M. Régy, pour mon Histoire du commerce de Montpellier, où le savant ingénieur a si bien décrit, d'après les documents originaux, toute cette portion du littoral méditerranéen.

2 Ou plutôt d'une jetée entrecoupée de petits ponts, pour n'intercepter ni le passage des eaux, ni la navigation de l'étang; le tout vraisemblablement assez étroit: car il y avait danger par le mauvais temps à s'y aventurer. Il existe aujourd'hui, presque au même endroit, un reste de jetée postérieurement établie, pouvant donner une idée de ce qu'a dû être celle de l'évêque Arnaud.

3 Arnald. Verdal., ap. Labbe, Nov. biblioth. manuscr. libr., I, 796, et De Grefeuille, Hist. de Montp., II, 449. Cf. Gariel, Ser. præs. Magal., I, 143, et Gall. Christ., VI, 740. Je mentionnerai une fois pour toutes, afin de ne pas paraître en ignorer l'existence, le manuscrit 43832 de la bibllothèque de Nimes, provenant du fonds d'Aubaïs, et le manuscrit 41849 du fonds latin de la bibliothèque impériale de Paris, où se trouvent

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