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pays où les connaissances humaines ont fait quelprogrès, et où d'ailleurs on jouit communément d'une certaine liberté de penser, on trouve facilement un grand nombre de déistes ou d'incrédules, qui, contens d'avoir mis sous les pieds les préjugés les plus grossiers du vulgaire, n'osent point remonter jusqu'à la source, et citer la Divinité même au tribunal de la raison. Si ces penseurs ne restaient point en chemin, la réflexion leur prouverait bientôt que le Dieu qu'ils n'ont point le courage d'examiner, est un être aussi nuisible, aussi révoltant pour le bon sens, que tous les dogmes, les mystères, les fables, et les pratiques superstitieuses dont ils ont déjà reconnu la futilité. Ils sentiraient que toutes ces choses ne sont que les suites nécessaires des notions primitives que les hommes se font de leur fantôme divin; et qu'en admettant ce fantôme, on n'a plus de raison pour rejeter les inductions que l'imagination doit en tirer. Un peu d'attention montrerait que c'est précisément ce fantôme qui est la cause des maux de la société que des querelles interminables et des disputes sanglantes, enfantées à chaque instant par la religion et par l'esprit de parti, sont des effets inévitables de l'importance qu'on attache à une chimère toujours propre à mettre les esprits en combustion.

:

Bien des gens reconnaissent que les extravagances que la superstition fait éclore, sont des maux très réels; bien des personnes se plaignent des abus de la religion: mais il en est très peu qui sentent que ces abus et ces maux sont des suites nécessaires des principes fondamentaux de toute religion, qui ne peut être elle-même fondée que sur les notions fâcheuses qu'on est forcé de se faire de la Divinité.

On voit tous les jours des personnes, détrompées de la religion, prétendre néanmoins que cette religion est nécessaire au peuple, qui, sans cela, ne

pourrait être contenu : mais, raisonner ainsi, n'est-ce

pas dire que le poison est utile au peuple, qu'il est bon de l'empoisonner pour l'empêcher d'abuser de ses forces? N'est-ce pas prétendre qu'il est avantageux de le rendre absurde, insensé, extravagant; qu'il lui faut des fantômes propres à l'aveugler, à le soumettre à des fanatiques ou à des imposteurs qui se servent de ses folies pour troubler l'univers ?

D'ailleurs, est-il bien vrai que la religion influe sur les mœurs des peuples d'une façon vraiment utile? Il est aisé de voir qu'elle les asservit, sans les rendre meilleurs; elle en fait un troupeau d'esclaves ignorans, que leurs terreurs paniques retiennent sous le joug des tyrans et des prêtres. Elle en fait des stupides, qui ne connaissent d'autres vertus qu'une aveugle soumission à des pratiques futiles, auxquelles ils attachent bien plus de prix qu'aux vertus réelles et aux devoirs de la morale, qu'on ne leur a jamais fait connaître. Si cette religion contient par hasard quelques individus timorés, elle ne contient point le plus grand nombre, qui se laisse entraîner aux vices épidémiques dont il est infecté. C'est dans les pays où la superstition a le plus de pouvoir, qu'on trouve toujours le moins de moeurs. La vertu est incompatible avec l'ignorance, la superstition, l'esclavage. Pour former des hommes, pour avoir des citoyens vertueux, il faut les instruire, leur montrer la vérité, leur parler raison, leur faire sentir leurs intérêts, leur apprendre à se respecter eux-mêmes et à craindre la honte, exciter en eux l'idée du véritable honneur, leur faire connaître le prix de la vertu et les motifs de la suivre. Comment attendre ces heureux effets de la religion qui les dégrade, ou de la tyrannie qui ne se propose que de les dompde les diviser, de les retenir dans l'abjection? Les idées fausses qu'on a de l'utilité de la religion,

ter,

comme propre au moins à contenir le peuple, viennent elles-mêmes du préjugé funeste qu'il est des erreurs utiles, et des vérités qui peuvent être dangereuses. Ce principe est le plus propre à éterniser les malheurs de la terre. Tous les maux du genre humain sont dus à ses erreurs; et les erreurs religieuses doivent être les plus nuisibles de toutes, par l'importance qu'on y attache, par l'orgueil qu'elles inspirent aux souverains, par l'abjection qu'elles prescrivent aux sujets, par les frénésies qu'elles excitent chez les peuples. On est forcé d'en conclure que les erreurs sacrées des hommes sont celles dont l'intérêt du genre humain exige la destruction la plus complète, et que c'est principalement à les anéantir que la saine philosophie doit s'attacher. Il n'est point à craindre que leur renversement produise ni troubles, ni révolutions. Plus la vérité sera simple, moins elle séduira les hommes épris du merveilleux: Ceuxlà même qui la cherchent avec le plus d'ardeur, ont une pente irrésistible qui les porte à vouloir incessamment concilier l'erreur avec la vérité.

Voilà, sans doute, pourquoi l'athéisme, dont jusqu'ici les principes n'ont point encore été suffisamment développés, semble alarmer les personnes -mêmes les plus dégagées de préjugés. Elles trouvent l'intervalle trop grand entre la superstition vulgaire et l'irréligion absolue. Elles croient prendre un sage milieu en composant avec l'erreur. Elles rejettent les conséquences, en admettant le principe. Elles conservent le fantôme, sans prévoir que tôt ou tard il doit produire les mêmes effets, et faire, de proche en proche, éclore les mêmes folies dans les têtes humaines.

La plupart des incrédules et des réformateurs ne font qu'élaguer un arbre empoisonné, à la racine duquel ils n'osent porter la coignée. Ils ne voient

pas que cet arbre reproduira par la suite les mêmes fruits. La théologie ou la religion seront en tout temps des amas de matières combustibles: couvées dans l'imagination des hommes, elles finissent toujours par causer des embrasemens. Tant que le sacerdoce aura droit d'infecter la jeunesse, de l'habituer à trembler devant des mots, d'alarmer les nations au nom d'un Dieu terrible, le fanatisme sera le maître des esprits; l'imposture, à volonté, portera le trouble dans les états; le fantôme le plus simple, perpétuellement alimenté, modifié, exagéré par l'imagination des hommes, deviendra peu à peu un colosse assez puissant pour renverser toutes les têtes et culbuter les empires. Le déisme est un système auquel l'esprit humain ne peut pas long-temps s'arrêter. Fondé sur une chimère, on le verra tôt ou tard dégénérer en une superstition absurde et dangereuse.

C'est avec intention que j'ai autant insisté sur le contenu du Système de la Nature. Jamais, ni chez les anciens, ni chez les modernes, le naturalisme et le fatalisme n'ont été développés d'une manière aussi complète, aussi spécieuse, et, en apparence même, aussi solide; jamais non plus, ils n'ont été aussi évidemment dirigés contre le système opposé de théologie et de morale, que par l'auteur de ce livre. Aussi doit-on le considérer comme le coryphée de l'athéisme moderne, telle surtout que cette dernière doctrine est exposée dans les écrits des encyclopédistes. Les autres sectateurs français du naturalisme ne firent que répéter ses argumens philosophiques. Ils se contentèrent de leur donner plus d'extension, de les orner des charmes de leur esprit, ou d'y ajouter des sarcasmes et des plaisanteries, tant sur la religion positive, que sur la source du culte des chrétiens, la Bible. Aucun livre ne peut,

par conséquent, être plus dangereux que le Système de la Nature, pour ceux qui ne sont pas exercés aux spéculations philosophiques, et qui ne connaissent pas bien l'esprit des différentes doctrines des philosophes; d'autant mieux surtout que l'auteur, malgré le zèle avec lequel il défend la cause du naturalisme et du fatalisme soutient cependant la nécessité de la morale, et cherche à la fonder d'une manière qui lui est propre. A l'égard de certains points, pour ce qui concerne, par exemple, les fausses religions et l'abus du christianisme, il a, sans contredit, raison, et c'est là une des causes principales qui rendent sa philosophie séduisante.

La question principale, de la solution de laquelle dépend la validité du naturalisme et du fatalisme, tels qu'ils sont exposés ici, est celle-ci : Peut-on expliquer l'univers, spécialement le monde intellectuel et moral, d'après les seules lois du mouvement de la matière éternelle, d'après la simple mécanique?

Mais il reste encore deux points, dont le mécanisme ne saurait donner l'explication, l'harmonie des choses et la liberté. La matière, autant que nous la connaissons par l'expérience, est un système de forces aveugles, dont l'action obéit bien à certaines lois qui ont leur fondement dans la matière ellemême, mais dont on ne saurait absolument point dériver tout ce que nous rapportons à l'intelligence. Regarder un hasard aveugle comme l'auteur de l'harmonie, dire que la raison est un produit de la nonraison, ce sont là des contradictions trop manifestes. Si on nie une activité harmonique dans la nature appelée inerte ou sans vie, et même dans le monde animal, on ne peut au moins pas la méconnaître dans la nature de l'homme. Il existe un art humain qui agit d'après des vues, et avec lequel la nature a

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