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en arrière; l'homme religieux et sensé ne doit se préoccuper que de l'avenir et non pas du passé; le fameux mot d'ordre de la France: en avant, doit être celui de l'humanité entière. Je ne pleure pas le bonheur de l'Eden, par la raison que j'attends mieux et que je désire plus.

En effet, ce bonheur de l'Eden dont on a tant parlé, n'était qu'un bonheur mesquin, si on le compare à celui dont nous jouirons en France et partout, quand nous aurons réalisé l'harmonie sur le globe; si on le compare à celui dont jouissent présentement les harmoniens de Saturne ou d'Herschell. C'était, si vous voulez, l'heureuse quiétude de la période d'Enfance, comparée aux voluptés enivrantes de la période d'Amour. Les Paradisiens ignoraient le luxe, et le luxe est le foyer vers lequel converge l'essor collectif des passions sensitives. Or, qu'est-ce qu'une félicité qui ne donne pas satisfaction au plein essor des sensitives! Un jour, en Harmonie, quand nous aurons réduit le moraliste et le ✓ guerrier à l'état de mythe, les diamants, les parfums et les essences précieuses ruisselleront dans les moindres fêtes; les femmes mettront à contribution les mers et les forêts, les bêtes et les plantes, pour ajouter par la parure à la puissance de leurs charmes, dont les statues des Phidias d'aujourd'hui n'offrent qu'une pâle idée. La musique déploiera ses innombrables phalanges de chanteurs et d'exécutants pour entonner l'hymne de la prière et du travail. Dans ce temps-là, nous ne serons guère éloignés de confondre dans nos obscurs souvenirs le séjour du paradis terrestre avec celui de la Sibérie et de l'Irlande, où les pauvres travailleurs mouraient de faim par milliers.

Les historiens dits religieux qui se sont chargés de transmettre aux générations postérieures le tableau des délices de la vie paradisiaque, ont abusé ici comme toujours du droit de calomnier Dieu. Ils ont écrit que ce Dieu avait commandé à ses créatures de croître et de multiplier, c'est-à-dire qu'il leur avait mis au cœur un ardent besoin de connaître et de s'instruire, et puis après qu'il leur avait défendu de toucher au fruit de l'arbre de science. De telles contradictions, je le répète, sont une honte pour ceux qui les fabriquent, aussi bien que pour ceux à qui on les sert. Comme

ces tristes et fastidieuses descriptions du bonheur pastoral des Paradisiens qu'on trouve dans la Genèse sont bien faites pour de grossières imaginations de juifs, de barbares ou de civilisés! Comme ils devaient s'amuser, ce monsieur et cette dame si peu vêtus, qui se promenaient tout le long du jour sans rien faire, dans un superbe parc émaillé de toutes sortes d'animaux ! Quelle est édifiante la tenue de ce couple infortuné qui se tient toujours par la main et jamais par la taille! Et que j'admire la vertu de ces deux malheureuses victimes de sexe différent, qui se résignent philosophiquement à bayer aux corneilles, ce pendant que les oiseaux du voisinage se livrent en leur présence à une foule de conversations criminelles contagieuses!... Que vous semble enfin de cette femme que Dieu aurait dotée de la beauté suprême et à qui il n'aurait pas donné en même temps un admirateur pour lui dire combien elle était belle! Excusez-les, mon Dieu, car ils ne savent ce qu'ils disent!...

J'ignore de quelle pâte sont pétris les chrétiens et les chrétiennes qui regrettent encore les délices du paradis perdu, mais j'avoue n'avoir jamais bien compris qu'un homme de sens pût ambitionner la position sociale de nos premiers parents, à moins d'une passion exagérée pour l'histoire naturelle et d'une forte provision de cigares.

Le bonheur des Edéniens ne venait pas de ce que l'amour y était interdit, au contraire. Le bonheur des Edéniens était un bonheur composé, mais seulement de premier degré. Il résidait, au passionnel, sur la liberté illimitée d'amour, sur l'absence de préjugés (innocence), sur le droit d'insouciance surtout, ce droit précieux que la nature accorde à l'Enfant et au Sauvage, et qu'elle refuse au Barbare et au Civilisé. Il est difficile de faire entendre aux hommes corrompus de la phase sociale actuelle que la liberté d'amour, que la liberté du choix est la première condition de la dignité de la femme et du bonheur de l'homme. L'imagination de ces êtres profondément gangrenés de moralisme et d'hypocrisie, ne veut pas admettre la compatibilité de la liberté amoureuse et de la pudeur, charme suprême du sexe féminin et qui décuple le prix des conquêtes d'amour. Ces moralistes, qui

sont pour la plupart assez vieux et très-laids, sont persuadés que si l'on émancipait en ce moment toutes les femmes, ces malheureuses viendraient se jeter à leur cou. Illusion gratuite et superlativement ridicule! Que messieurs nos législateurs nous accordent seulement la loi du divorce, ils verront.

Au matériel, le bonheur des Edéniens reposait sur l'équilibre parfait de température, sur l'abondance de tous les fruits de la terre et sur l'absence du capital. L'équilibre de température fut cause que, pendant toute la durée de cette période, le rhume de cerveau et le catarrhe, sources originelles de toutes les maladies humaines, furent totalement inconnus; d'où ces exemples fréquents de longévités fabuleuses qui nous étonnent dans l'histoire de nos premiers parents. Alors la durée de la vie moyenne était de cent quarante-quatre ans, et l'on aimait encore passé quatre-vingt-dix-neuf. La taille de l'homme approchait de sept pieds, celle de la femme de cinq et demi. L'abondance des fruits que la nature, prodigue de ses dons, appendait toute seule audessus de la bouche de l'homme, le dispensait du travail et lui conférait l'heureux droit d'insouciance. Le capital enfin, qui donne le droit de fainéantise et de parasitisme, n'était pas encore inventé; le capital n'est jamais qu'une précaution contre la misère, et ne saurait exister là où est inconnue la misère.

Équilibre de température, absence de préjugés et de capital, nature riche et prodigue, tout cela s'est presque retrouvé, hélas! dans la Cythère de l'Océanie que découvrit Bougainville, il n'y a pas cent ans. Taïti nous offrait encore, dans le siècle dernier, un tableau de mœurs de demi-Edénisme, période de transition de l'Edénisme pur à la Sauvagerie, période mixte où l'homme jouit encore du droit d'insouciance, où l'on s'aime beaucoup encore, mais où l'on commence déjà à se manger un peu et à employer des moyens énergiques contre l'excès de population. A Taïti, aussi, les hommes avaient près de sept pieds, et les femmes étaient toujours jeunes. Les civilisés d'Europe nous ont déjà gâté ces îles fortunées qui inspirèrent à Jean-Jacques de si touchantes sympathies. Ils y ont introduit leur Bible et leur morale, et en moins de quatre-vingts ans, la population de Taïti a décru du

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ces tristes et fastidieuses descriptions du bonheur pastoral des Paradisiens qu'on trouve dans la Genèse sont bien faites pour de grossières imaginations de juifs, de barbares ou de civilisés! Comme ils devaient s'amuser, ce monsieur et cette dame si peu vêtus, qui se promenaient tout le long du jour sans rien faire, dans un superbe parc émaillé de toutes sortes d'animaux ! Quelle est édifiante la tenue de ce couple infortuné qui se tient toujours par la main et jamais par la taille! Et que j'admire la vertu de ces deux malheureuses victimes de sexe différent, qui se résignent philosophiquement à bayer aux corneilles, ce pendant que les oiseaux du voisinage se livrent en leur présence à une foule de conversations criminelles contagieuses!... Que vous semble enfin de cette femme que Dieu aurait dotée de la beauté suprême et à qui il n'aurait pas donné en même temps un admirateur pour lui dire combien elle était belle! Excusez-les, mon Dieu, car ils ne savent ce qu'ils disent!...

J'ignore de quelle pâte sont pétris les chrétiens et les chrétiennes qui regrettent encore les délices du paradis perdu, mais j'avoue n'avoir jamais bien compris qu'un homme de sens pût ambitionner la position sociale de nos premiers parents, à moins d'une passion exagérée pour l'histoire naturelle et d'une forte provision de cigares.

Le bonheur des Edéniens ne venait pas de ce que l'amour y était interdit, au contraire. Le bonheur des Edéniens était un bonheur composé, mais seulement de premier degré. Il résidait, au passionnel, sur la liberté illimitée d'amour, sur l'absence de préjugés (innocence), sur le droit d'insouciance surtout, ce droit précieux que la nature accorde à l'Enfant et au Sauvage, et qu'elle refuse au Barbare et au Civilisé. Il est difficile de faire entendre aux hommes corrompus de la phase sociale actuelle que la liberté d'amour, que la liberté du choix est la première condition de la dignité de la femme et du bonheur de l'homme. L'imagination de ces êtres profondément gangrenés de moralisme et d'hypocrisie, ne veut pas admettre la compatibilité de la liberté amoureuse et de la pudeur, charme suprême du sexe féminin et qui décuple le prix des conquêtes d'amour. Ces moralistes, qui

sont pour la plupart assez vieux et très-laids, sont persuadés que si l'on émancipait en ce moment toutes les femmes, ces malheureuses viendraient se jeter à leur cou. Illusion gratuite et superlativement ridicule! Que messieurs nos législateurs nous accordent seulement la loi du divorce, ils verront.

Au matériel, le bonheur des Edéniens reposait sur l'équilibre parfait de température, sur l'abondance de tous les fruits de la terre et sur l'absence du capital. L'équilibre de température fut cause que, pendant toute la durée de cette période, le rhume de cerveau et le catarrhe, sources originelles de toutes les maladies humaines, furent totalement inconnus; d'où ces exemples fréquents de longévités fabuleuses qui nous étonnent dans l'histoire de nos premiers parents. Alors la durée de la vie moyenne était de cent quarante-quatre ans, et l'on aimait encore passé quatre-vingt-dix-neuf. La taille de l'homme approchait de sept pieds, celle de la femme de cinq et demi. L'abondance des fruits que la nature, prodigue de ses dons, appendait toute seule audessus de la bouche de l'homme, le dispensait du travail et lui conférait l'heureux droit d'insouciance. Le capital enfin, qui donne le droit de fainéantise et de parasitisme, n'était pas encore inventé; le capital n'est jamais qu'une précaution contre la misère, et ne saurait exister là où est inconnue la misère.

Équilibre de température, absence de préjugés et de capital, nature riche et prodigue, tout cela s'est presque retrouvé, hélas! dans la Cythère de l'Océanie que découvrit Bougainville, il n'y a pas cent ans. Taïti nous offrait encore, dans le siècle dernier, un tableau de mœurs de demi-Edénisme, période de transition de l'Edénisme pur à la Sauvagerie, période mixte où l'homme jouit encore du droit d'insouciance, où l'on s'aime beaucoup encore, mais où l'on commence déjà à se manger un peu et à employer des moyens énergiques contre l'excès de population. A Taïti, aussi, les hommes avaient près de sept pieds, et les femmes étaient toujours jeunes. Les civilisés d'Europe nous ont déjà gâté ces îles fortunées qui inspirèrent à Jean-Jacques de si touchantes sympathies. Ils y ont introduit leur Bible et leur morale, et en moins de quatre-vingts ans, la population de Taïti a décru du

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