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corbeaux et de jeunes ramiers. J'en revis une fois par la neige en janvier 1845. J'ai connu dans le même quartier et vers la même époque, un renard évadé de la montre d'un foureur de la rue Saint-Honoré, qui avait trouvé un asile dans ces tumulus de blocs de marbres et de pierres de taille qui encombraient alors la cour du Louvre, derrière le manège, et d'où l'on eut toutes les peines du monde à le faire déguerpir pour le tuer.

On distingue la martre de la fouine à la couleur de sa cravate; la martre affectionne pour cet ornement la couleur jaune verdâtre; la fouine préfère le blanc. Le putois est plus petit que les deux espèces qui précèdent. Comme je ne suis pas bien sûr que le vison et la fouine soient deux bêtes différentes, je me tairai sur le vison, dont le nom est devenu, en certains pays, comme celui du bouc et du rat mort, un terme de comparaison vulgaire pour la puanteur. La belette, l'hermine, l'herminette, sont des diminutifs de la fouine, de petits moules mignons d'où a disparu en partie l'odeur fétide, mais où l'humeur sanguinaire est restée. On rencontre tous les jours dans les champs et dans les garennes, des cadavres de lapins et de lièvres, dont l'autopsie fait découvrir qu'ils ont été saignés à la jugulaire par d'habiles praticiens. Ces praticiens sont des belettes un peu plus grosses que des souris, moins fortes que des rats.

Comment le lièvre et le lapin, qui sont doués d'une mâchoire presque aussi puissante que celle du castor, et dont les incisives. formidables trancheraient une belette en deux d'un seul coup, comment le lièvre et le lapin se résignent-ils à tendre la gorge à un ennemi aussi méprisable? Je répondrai à cette question quand on m'aura répondu à cette autre :

Comment se fait-il que les travailleurs, qui sont les seuls êtres utiles, qui sont les plus nombreux et les plus dévoués, qui ont pour eux le droit et la force musculaire, comment ces travailleurs ont-ils pu se résigner à se laisser exploiter et assassiner, depuis que le monde est monde, par une imperceptible minorité de paresseux et de vampires?

Ah! voilà; c'est que ceux-ci règnent par la terreur sur les âmes timides et ignorantes, comme la belette sur le lapin ; c'est

que les oisifs ont toujours soin d'avoir pour eux la tradition religieuse, la loi et le tirailleur de Vincennes.

A côté de la stupidité de ces lapins et de ces lièvres, qui se croiraient damnés de se révolter une bonne fois contre la tyrannie sanguinaire des belettes et des putois, admirez chez les mêmes cette disposition à tourner contre leur propre sang, contre leurs frères en souffrance, les incisives formidables dont ils n'osent faire usage pour reconquérir leurs droits! Image frappante de la folie et du chauvinisme risible de ce brave peuple français et de ce brave peuple anglais, qui, au lieu de s'entendre et de se prêter la main pour se débarrasser de l'aristocratie d'argent qui les gruge et les saigne, s'amusent à s'insulter et à s'entr'égorger pour le plus grand bénéfice d'icelle !

L'hermine et l'herminette, qui ne s'attaquent qu'à l'enfance et qui portent la robe blanche, symbolisent les hypocrites professeurs de fausse morale qui s'appellent M. Rodin, M. Tartufe, don Basile, et qui revêtent la robe de chasteté et d'innocence pour s'introduire dans les familles et pervertir la jeunesse. La noirceur des projets de l'hermine se trahit par la couleur du pinceau de poils qu'elle porte à l'extrémité de la queue. On remarque, en outre, que les professeurs de droit et les docteurs de la plupart des sciences civilisées, qui ne sont bonnes qu'à corrompre la jeunesse, se montrent très-friands de la parure d'hermine.

L'hermine blanche est très-rare en France. Je ne me rappelle pas en avoir vu plus d'une dizaine et en avoir tué plus de cinq ou six dans une carrière de trente années de chasse, où j'ai dû arpenter beaucoup de mètres carrés. L'hermine porte une robe rousse pendant la belle saison; elle n'endosse sa pelisse blanche qu'à l'époque des grands froids. L'hermine, qui se tire du nord. comme la zibeline, était, au temps jadis, une fourrure précieuse et réservée à l'aristocratie. On en faisait des manteaux à l'usage des pairs de France, des femmes de qualité et des grands dignitaires de l'état. Mais depuis que la haute noblesse a vendu ses blasons aux juifs pour en faire des enseignes de boutique, depuis que les grands dignitaires se font condamner pour crime de vol ou de concussion, depuis que les ducs et pairs assassinent leurs

femmes comme de simples bourgeois, l'hermine est tombée à rien. A un franc cinquante centimes la pièce, qui en veut en

aura.

De toutes ces bêtes-là, je le répète, la meilleure ne vaut rien; seulement faut il faire exception à l'anathème universel en faveur du furet qui s'est rallié à l'homme et lui a apporté l'utile concours de son antipathie pour le lapin.

La Bible, que je n'aime pas, parce que c'est le livre où tous les peuples de proie, le Juif, l'Anglais, le Hollandais et les autres ont appris à lire, la Bible qui contient tant de calomnies contre le Créateur, la Bible a eu par hasard une idée ingénieuse à propos de la fouine : elle a prohibé la chair de cet animal, qui se prohibait bien toute seule, sous prétexte que cet animal avait la mauvaise habitude de faire ses petits par la bouche. Le législateur hébreux avait vu dans ce fait de parturition anormale une allusion aux habitudes de ces enfanteurs de ragots, qui amplifient tout ce qu'on leur conte, et qui ont l'habitude d'en mettre gros comme un bœuf, là où il y en avait tout au plus comme un œuf. Ils n'ont jamais été excessivement forts en Judée sur l'analogie passionelle.

LE BLAIREAU.

Il existe mille raisons pour faire ranger le blaireau dans la catégorie des bêtes puantes. Il est pourvu de la poche membraneuse; c'est une mauvaise bête, amie des demeures sombres, plus vorace et presque aussi rusée que le renard, plus carnivore que l'ours, mais douée, comme celui-ci, d'un gout très prononcé pour les fruits et le miel. C'est un pillard acharné du maïs et du raisin, qui se lève fort tard et se couche de grand matin, et qui engloutit en quelques heures, en raison de son omnivoracité et de l'ampleur prodigieuse de ses intestins, une masse incroyable d'aliments. Tout fait ventre au blaireau, poulets, grenouilles, mulots, fruits, céréales. Les poches du voleur à la tire, pris en flagrant délit, un premier jour d'exposition, et le carnet de l'agent de change qui rentre de la Bourse, après avoir acheté des actions

de toutes couleurs, peuvent seuls donner une idée de la panse du blaireau, au retour d'une expédition nocturne.

Ce méchant quadrupède à pattes courtes et à large abdomen qui prélève des dépouilles opimes sur la noble industrie du vigneron et du laboureur, cet omnivore quasi-insatiable, qui s'endort quaud il est repu, et dont l'oisiveté s'étaie sur la rapine, est l'image parfaite de ces parasites commerciaux qui s'arrondissent, eux et leur bourse, aux dépens de tous les travailleurs. La dépouille du blaireau s'utilise pour les harnais de l'attelage, pour les ustensiles de la toilette et pour le pinceau des artistes. Sa graisse s'emploie comme remède contre les douleurs rhumatismales. Cela veut dire que l'industrie agricole, les beaux-arts et le bien-être général, ont énormément à gagner à la destruction du parasitisme commercial. Le banquier continue à n'être pas heu reux dans ses analogies. Il y a dans les insectes, comme on sait, l'araignée et le ténia qui lui font bien du tort.

Le blaireau, rentrant de bonne heure au terrier et ne s'oubliant jamais au dehors comme le renard, ignorerait complètement les désagréments de la chasse, si l'homme ne parvenait quelquefois à lui fermer l'entrée de son repaire. L'opération est facile quand le terrier n'a que quelques bouches, ce qui est rare. Il suffit, pour la pratiquer avec succès, de se rendre à minuit sur la marnière, la carrière ou la roche où la bête a creusé ses galeries souterraines, de fermer hermétiquement chaque gueule avec une bonne bourrée d'épines qu'on enfonce solidement et qu'on recouvre de terre. Les instruments dont il faut se munir pour ce travail sont la serpe et la pioche. L'opération doit se faire avec le plus de silence et de rapidité possibles, afin que l'animal qui rôde dans les environs ne se doute pas de la mystification qu'on lui prépare, et ne songe pas à aller chercher un refuge à quelques lieues de là. Quand l'affaire a été bien conduite, le blaireau, qui veut rentrer à son domicile un peu avant le jour et qui trouve porte close, n'essaie pas de forcer la consigne; mais comme il est trop tard pour se dépayser, il remet son voyage à la nuit suivante, choisit dans le voisinage le fourré le plus épais, et s'y blottit pour passer le jour. Malheureusement pour lui, sa retraite est bientôt

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découverte, car sa piste est presque aussi forte que celle du renard, et le chasseur qui en veut à sa peau ne manquera pas de l'attaquer à la première pointe du jour. Le blaireau, qui n'est pas taillé pour la course, ne peut prendre d'avance sur les chiens, ce qui fait que cette chasse ressemble à un hallali perpétuel. Cependant si la bête ne sait pas courir, elle sait mordre, et j'ai vu des chiens vigoureux et de la plus haute taille tenus en respect par le blaireau, et quitter la partie plutôt que de s'exposer aux atteintes de ses crochets terribles. J'en ai vu d'autres, plus courageux, payer leur audace généreuse de la perte d'une patte; mais le fusil a bientôt raison de la mauvaise bête. Des boule-dogues, dressés à la chasse du blaireau, n'en auraient pas pour un quart d'heure à le porter bas. Ce n'est pas une chasse.

On peut encore attaquer le blaireau chez lui, si mieux on n'aime le prendre au piége. L'attaque du terrier du blaireau est un siége dans toutes les formes, dans lequel il faut creuser des parallèles, des tranchées et quelquefois faire jouer la mine. On envoie contre l'animal des chiens terriers qui l'attaquent courageusement et dont les aboiements indiquent aux sapeurs la direction à suivre. La bête oppose à ses assaillants une résistance désespé rée et fait souvent payer cher la victoire aux vainqueurs. Le blaireau a l'instinct de faire le mort, comme le renard, pour saisir sa belle de se venger.

En Belgique, où cette espèce abonde et porte le nom de Taisson, le blaireau pris vivant est destiné aux jeux du cirque, suivant un usage qu'on dit remonter aux jours de la domination romaine. Le peuple belge se montre avide de ces combats comme le peuple de Madrid de ses courses de taureaux. Le jour des combats est annoncé par la voie des affiches et de la presse. On cite le nom des chiens célèbres qui figureront dans la lutte. Ces batailles sont parfois meurtrières pour les assaillants. On a vu des blaireaux faire des défenses sublimes, et, renversés sur le dos, la gueule ardente, les griffes ouvertes, tenir en respect quatre ou cinq chiens à la fois.

Il est certain que cette féodalité financière nous donnera du fil à retordre avant de réclamer merci !

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