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PHOQUES.

Les morses et les phoques occupent le second gradin de la Mammiférie, dont les Cétacés sont la première expression. Les cétacés tiennent plus du poisson que du quadrupède. Les morses et les phoques tiennent plus du quadrupède que du poisson.

Ils ont quatre nageoires au lieu de deux, et ces nageoires sont attachées par paires, une à l'avant, l'autre à l'arrière, et elles sont composées de véritables doigts armés d'ongles.

Ces animaux sont, en outre, couverts, depuis les pieds jusqu'à la tête, d'une robe fourrée et lustrée. Enfin ils peuvent vivre à terre aussi bien que dans l'eau, ce qui est le trait caractéristique de l'ambiguité.

Les morses et les phoques sont donc de véritables amphibies, qui auraient dû prendre leur nom scientifique de ce caractère, et dont, par conséquent, l'étiquette actuelle est absurde.

Il est intéressant d'observer, à l'occasion de cette série nouvelle, avec quel art infini la nature procède dans la graduation de ses types, et quelle crainte surtout elle a de tout saut brusque, même dans ses débuts.

Nous avons vu, au précédent chapitre, qu'aucun cétacé piscivore, ni baleine ni dauphin, ne pouvait toucher le sol sans courir danger de mort. Le péril disparait déjà en partie pour le cétacé herbivore, Steller ou Lamantin, à qui la progression n'est pas complètement interdite sur le sol où il est quelquefois forcé de venir paître. Les morses et les phoques, pour être incomparablement plus ingambes que ceux-ci, qui se trainent, ne peuvent cependant encore ni marcher ni courir. Ils sautent, mais d'une façon pénible et difficile, non des pieds de derrière comme tous les quadrupèdes, mais de l'avant, mais de la poitrine, et leur allure ne peut mieux se comparer qu'à celle de ces clowns désossés qui exécutent des courses à cloche pied sur les mains. L'étrangeté de ce mode de locomotion provient de ce que les morses et les phoques sont bien de véritables quadrupedes, mais des quadrupèdes estropiés, ou plutôt infirmes de naissance.

Ils ont bien, en effet, quatre jambes, mais de ces quatre membres les extrémités seules sont sorties du corps; tout le reste est demeuré comme emprisonné et cousu dans le sac du sternum ou de l'abdomen; et c'est même tout au plus si les pieds de derrière passent. Pour surcroît de malheur, la nature leur a ganté ces pieds et ces mains de mouffles si démesurément larges, que l'action individuelle de ces doigts s'en trouve paralysée complètement. Il est vrai que l'amplitude exagérée de la mitaine restitue à la nageoire en puissance, ce qu'elle fait perdre en dextérité à la patte; et qu'il résulte de là que les morses et les phoques, qui font d'assez mauvais marcheurs, sont en revanche d'excellents nageurs. C'est une compensation qui leur était bien due, et dont ces deux espèces sentent d'autant mieux tout le prix, qu'elles sont exclusivement piscivores et n'ont besoin d'aller à terre que pour aimer, bâiller, jouer et dormir.

La plupart de ces animaux ont la tête ronde par défaut d'oreilles externes, le museau carré et garni de superbes moustaches, les yeux grands, la physionomie douce et intelligente. Les vertèbres de leur cou sont douées d'une flexibilité extrême, avantage qui manque aux baleines et à presque tous les poissons. Leur corps arrondi et renflé vers le milieu se termine en cône comme celui des dauphins. Leur queue, coupée en tronçon et remarquable par son exiguité anormale, semble se confondre avec les pieds, qui sont situés à l'extrémité du corps et quasi-contigus. Une épaisse couche de lard, trop riche en huile pour le malheur des pauvres bêtes, leur ceint le corps comme aux cétacés et leur sert de bouclier contre le froid. La nature, du reste, pour les prémunir contre le péril de réfrigération par contact, a fait couler dans leurs veines un sang vivace et copieux, chauffé à une température beaucoup plus haute que celui des espèces appartenant aux latitudes raisonnables. Tous ces animaux ont la vie dure, à moins qu'on ne les frappe sur le nez.

Les morses qui viennent, dans la série des mammifères, immédiatement après les cétacés, sont des bêtes puissantes et majestueuses qui atteignent facilement une taille de douze pieds et un poids de six cents kilogrammes. Ils sont totalement étrangers

à nos mers et n'habitent que les régions voisines du pôle Arctique, principalement au nord du continent d'Asie. Tous les îlots de l'Océan glacial en étaient encore peuplés il y a deux cents. ans, et la confiance de ces animaux dans l'ho:nme était extrême; mais depuis le jour où le démon du commerce apprit aux marchands de l'Europe le profit qu'on pouvait tirer de leurs dents et de leur chair, la population des morses a bien diminué. On a dirigé contre eux des expéditions meurtrières; on les a traqués d'ile en île, de glaçon en glaçon; bref, on a réussi à changer leur dispositions amicales pour l'homme en amères pensées de haine et de vengeance. Il n'est pas de morse aujourd'hui qui n'entre en furcur à la vue de l'homme, et ne soit disposé à se ruer sur lui ; mais la nature n'a pas armé la malheureuse espèce pour soutenir avantageusement la lutte contre un ennemi si terrible, et son courage n'a guère abouti jusqu'ici qu'à multiplier de son côté le nombre des victimes. Enfin, quelques rares survivants de la noble famille ont profité des leçons du malheur et de guerre lasse, sont partis pour chercher de l'autre côté du pôle et par-delà les Cordilières de glace, un refuge inaccessible à la cupidité des humains. Puisse Dieu leur venir en aide!

Un jour que des navigateurs d'Albion flànaient vers les parages de la mer de Baffin, par le travers du 75° degré de latitude nord, au commencement du dernier siècle, ils avisèrent un si grand nombre de morses endormis sur les bords d'une île, que la fantaisie leur prit naturellement d'en faire un opulent massacre au profit de la science, afin de savoir au juste ce qu'il était humainement possible à une quantité donnée de matclots anglais d'assommer de morses en un jour. Ils opérèrent si habilement et si consciencieusement que, le soir, le chiffre des morts s'élevait à plus de huit cents!! Tous les jours on envoie au bagne de malheureux notaires qui n'ont pas fait pis que cela.

Je n'ai accordé place dans le présent chapitre à ces détails concernant les morses, que pour faciliter aux jeunes naturalistes l'étude de l'agencement de la série universelle. J'étais bien obligé de traverser le pont de la tribu intermédiaire entre les cétacés et les phoques pour passer de l'histoire des premiers à celle des se

conds. Or, j'ai gardé avec préméditation pour la fin le signalement des deux caractères génériques appartenant en propre aux morses, qui démontrent le plus ostensiblement la proche parenté de cette tribu avec celle des baleines :

Les morses ont des narines quasi-jaillissantes, et ils portent à la mâchoire supérieure deux défenses (énormes canines) recourbées en dessous, à la façon de l'anarnak, caractères remarquables qui ne se retrouvent pas chez les phoques.

Mais voici maintenant que l'esprit d'analogie me pousse encore, malgré moi, à propos de ces défenses, à vouloir établir de nouveaux liens de parenté entre des espèces hétéroclites et réputées jusqu'ici étrangères l'une à l'autre. Laissons divaguer à son aise l'esprit d'analogie qui n'en finit jamais; c'est le meilleur moyen d'en être plus tôt quitte.

L'éléphant, qui occupe dans son ordre le même rang que la baleine dans le sien, relativement au poids et au volume, et qui porte des défenses, n'est pas sans avoir avec les cétacés de nombreux rapports d'inélégante massiveté de formes. Sa robe n'est guère plus velue que celle du cétacé; l'œil n'est guère plus grand, le moulage des membres plus achevé dans une espèce que dans l'autre. Le lamantin et la baleine emportent leur petit sous leurs aisselles pour le préserver de la fatigue et le dérober à la vue de ses ennemis. Ainsi fait l'éléphante, qui cache son éléphan teau entre ses jambes pour l'abriter derrière le rempart de son corps, et qui, au moyen d'un vigoureux noeud de trompe, le soutient dans ses premiers pas et l'entraîne parfois dans une course rapide. J'ai cependant eu pour amis des chasseurs de haut titre qui avaient tué des femelles d'éléphant dans cette situation intéressante, et qui me racontaient de sang-froid qu'il arrivait presque toujours, en pareil cas, que le pauvre orphelin, se voyant tout à coup privé de sa nourrice et de sa protectrice naturelle, se donnait à l'assassin de sa mère et le suivait chez lui.

La trompe de l'éléphant est un évent véritable, puisque l'animal s'en sert pour absorber des quantités d'eau immenses qu'il s'amuse ensuite à faire jaillir en l'air pour qu'elle lui retombe sur le dos. Il se procure par le même procédé d'agréables douches de sable.

L'éléphant étant le seul quadrupède qui jouisse du privilége d'imiter les fontaines jaillissantes, il est bien de l'employer en fonte à ce genre de décoration publique; car l'Art, pour être tenu de faire mieux que la Nature, ne doit pas cependant s'écarter de ses lois.

L'hippopotame, qui porte ses défenses à la mâchoire inférieure comme l'hyperoodon, et dont la chair est bardée de lard (1) comme celle des cétacés, l'hippopotame, qui passe tous ses jours au fond de l'eau, comme le lamantin, et n'en sort que la nuit pour paître, l'hippopotame, quand il est forcé de remonter à la surface des eaux pour prendre l'air, charge son petit sur son dos. Le sanglier, le babiroussa, toutes les bêtes à défenses et à lard, sont essentiellement amies de l'eau. Mais ne poussons pas plus loin ces excursions dans le domaine de la fameuse Théorie des ressemblances, et laissons à M. da Gama Machado, notre maître, ce qui est à M. da Gama Machado.

Les phoques constituent l'une des plus nombreuses et des plus intéressantes familles de la mammiférie. On en connaît une vingtaine d'espèces qui sont répandues sur le rivage de toutes les mers, et habitent même quelques grands lacs de l'intérieur du continent d'Asie.

Cependant leurs séjours de prédilection sont aux alentours de l'un et l'autre pôle, et pour eux comme pour les morses, le plus doux oreiller est celui du glaçon. Les plus grandes espèces connues appartiennent aux terres antarctiques. Il y a des individus. de certaines familles (le lion et l'éléphant marin) qui ont vingtcinq pieds de long, et dont un seul fournit jusqu'à sept cents kilogrammes d'huile.

Tous les naturalistes sont d'accord pour reconnaître que que l'histoire de ce groupe intéressant est une de celles où il leur reste le plus à apprendre. Ils ont tort de parler ainsi; car on sait réellement de ces bêtes beaucoup plus qu'un savant ordinaire n'a be

(1) La graisse la plus délicate et la plus exquise de toutes les graisses du monde, au dire de Delegorgue, celle de la caille y comprise.]

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