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c'est à dire qu'il a fait bondir une autre victime à sa place et qu'il s'est rasé dans le buisson qu'occupait celle-ci, ou bien il a rebattu ses voies; la fanfare sonne le hourvari. Le défaut est-il relevé, la partie recommence, le bien aller, l'à vue; ce sera le bat l'eau, quand le cerf aura pris l'eau et se sera jeté dans l'étang; puis l'hallali sur pied, quand le cerf, le dos arqué, la langue pendante, sera sur ses fins, qu'il s'acculera pour attendre la meute de pied ferme et pour vendre chèrement son dernier souffle de vie; puis l'hallali à terre, le dénouement du drame, quand la noble bête sera tombée sous la rage de ses nombreux ennemis, et enfin la curée. Maintenant, peuplez la forêt d'un escadron volant de jeunes chasseresses qui courent à toute bride par les vertes allées de chênes, escortées de leurs cheveux flottants et d'un galant cortége de veneurs aux riches uniformes, et franchissant à l'envi fossés, roches et troncs d'arbres, se pressant, se distançant pour arriver les premières à la mort... Faites se gonfler et se renvoyer par les échos des monts les clameurs de la meute ardente accompagnées du tapage étourdissant des fanfares, des hennissements belliqueux des coursiers, du pétillement des fouets, des hurlements douloureux des chiens blessés, des cris de guerre des piqueurs. Prenez pour théâtre du drame quelque site enchanté, au sein d'une nature poétique, quelque rive feuillue d'un lac de la reine Blanche qui dorme enseveli au fond de la vallée, sous les rideaux des peupliers mobiles. Que les vents fassent silence aux bois, qu'un doux soleil d'automne colore les coteaux jaunissants de ses lueurs empourprées.. et vous aurez placé sous les regards de l'homme un des plus nobles et des plus émouvants spectacles qu'il lui soit donné de contempler ici-bas.

Ceci est la chasse à courre le peu que j'en ai dit suffit pour faire comprendre que le plaisir en est réservé aux fortunes princières. Quand la propriété morceléc, qui n'a plus que des jours à vivre, aura disparu de la terre pour faire place à la propriété sociétaire, chaque commune aura ses équipages de chasse, ses meutes, ses filets. Les fonctions de piqueurs et de valets de chiens seront exercées par des artistes passionnés pour leur art et non plus par des laquais; le capital ne sera plus représenté à

la chasse, et chaque commune harmonienne aura sa Diane chasseresse pour présider aux fêtes de cet ordre; la gloire sera pour quelques uns, le plaisir et le gibier pour tous.

On force quelquefois le lièvre avec des lévriers; mais c'est une chasse sans poésie, car le lévrier est muet et le lièvre ne peut pas ruser. La loi française a prohibé cette chasse, qui ne peut s'excuser que par le besoin de destruction. La loi française a sanctionné, cette fois, le vœu unanime des chasseurs.

On a chassé autrefois, en France, la grande bête, avec des lévriers de forte taille qu'on lançait sur l'animal aussitôt qu'il prenait la plaine. On chasse encore de cette manière le loup et le chevreuil en Russie, en Pologne et dans plusieurs contrées de l'Europe; mais cette pratique est aujourd'hui chose inconnue en France. Le lévrier n'est plus dans nos mœurs. Le législateur a néanmoins octroyé au lévrier la faculté de se produire dans le régime cynégétique actuel comme moyen de destruction des animaux nuisibles. On se sert quelquefois encore du lévrier dans certains pays de plaine, et notamment dans la Camargue, pour forcer la perdrix. C'est une chasse brutale qui ne vaut pas qu'on s'arrête à la décrire.

La misère des civilisés ne permettant pas à chaque chasseur d'avoir une meute et des piqueurs, la masse se contente d'entretenir une dizaine de chiens courants, beaucoup moins quelquefois, deux chiens, voire un seul. Et, avec ces simples moyens, il faut suffire à tout, chasser indifféremment tout ce qui se présente. C'est la chasse du petit propriétaire, la chasse de la bourgeoisie, une dégradation de la chasse noble; mais ça ressemble encore à de la chasse, puisque le chien y joue un rôle. Alors l'homme est forcé de prendre autant de peine que le chien et de courir aussi vite que lui. Il faut qu'il connaisse les bons postes, qu'il prenne les devants pour se trouver au passage de la bête et la tirer à portée. Ici on ne chasse plus pour chasser, mais pour tuer, pour tirer, ce qui revient au même. C'est cependant encore la plus agréable de toutes les chasses après la chasse à courre, en raison des nombreuses qualités qu'elle exige de la part du chasseur expérience, patience, tempérament de fer, jarrets souples,

coup d'œil sûr. Le chien, dans le principe, s'était bien formalisé de la prétention de son maître à vouloir lui ravir la moitié de ses peines et de sa gloire; mais l'homme lui ayant fait comprendre sa misère, le chien s'est raisonné, et il a fini par prendre son parti en philosophe; ce qui n'a pas empêché que le chien courant n'ait perdu énormément de son importance depuis l'invention du fusil.

Le Lièvre.

C'est le type de l'espèce victime. Le lièvre a pour ennemis tous les animaux carnassiers des forêts et de l'air, plus l'homme. Il n'y a pas jusqu'à la belette et le lapin qui ne lui déclarent la guerre. C'est l'emblème des races inférieures réduites à l'ilotisme et condamnées par le droit du plus fort à servir aux vainqueurs l'impôt du plaisir et du sang. Dieu a donné à la malheureuse créature, pour la préserver des chances innombrables de destruction qui la menaçaient, la fécondité d'abord, triste privilége de la misère, puis la vitesse pour fuir et la ruse pour dépister ses persécuteurs. Le lièvre est bien armé, comme le rat et l'écureuil, de puissantes incisives dont il pourrait tirer parti contre ses bourreaux, mais la démoralisation, conséquence forcée d'une trop longue servitude, lui a ôté jusqu'à la conscience de ses moyens. Il ne se sert de ses armes naturelles que contre les siens, à l'instar de l'esclave, et ne demande son salut qu'à la fuite.

Le lièvre est taillé pour la course; son nom latin lepus n'est que la contraction des deux mots levis pes. La longueur démesurée de ses pattes de derrière en fait deux ressorts puissants qui se détendent à volonté et communiquent à ses mouvements de progression une impulsion énergique. Cette disposition particulière de l'arrière-train du lièvre lui permet également de gravir les collines avec la même rapidité que les surfaces horizontales, privilége dont il use pour gagner l'avance sur les chiens, sur le lévrier surtout, le seul de ses ennemis à quatre pattes qui l'emporte sur lui par la vélocité. Par la même raison, la descente lui est défavorable. L'homme n'a pas encore réussi à imaginer un système de véhicule à l'imitation de la charpente du lièvre, c'est à dire apte à transformer la montée en plan horizontal, par la hausse proportionnelle de l'arrière-train.

Le lièvre péche par la vue; il est doué, en revanche, d'une finesse d'ouïe extrême, comme l'annoncent ses oreilles longues, effilées, mobiles, et qui semblent remplacer chez lui la queue

dans l'office du gouvernail. C'est un animal de sang chaud et de tempérament ardent. L'amour maternel, hélas! est la seule jouissance qui ne soit pas interdite au pauvre, puisqu'elle ne coûte rien. La femelle du lièvre, la hase, fait dans nos climats une quinzaine de petits chaque année, une portée chaque mois, de février à la Toussaint. Le mâle les tue quelquefois, mais en domesticité plutôt qu'à l'état libre; car il faut de graves motifs, comme la privation absolue de la société des femelles, pour le pousser à ces extrémités. La femelle elle-même, placée dans les mêmes circonstances, ne respecte pas plus le sentiment familial; mais ni l'un, ni l'autre, selon moi, ne mangent leurs petits; ils se contentent de leur broyer la tête d'un coup de dent. La servitude est comme la faim une mauvaise conseillère.

Bien que l'espèce soit répandue à profusion sur toute la surface de l'ancien et du nouveau continent, bien qu'elle s'accommode de toutes les zones, sa vraie patrie est la steppe, la plaine incommensurable et aride où croissent le serpolet, la lavande, les labiées odoriférantes. Le lièvre ne boit pas; il aime le grand air, l'espace nu, d'où l'ennemi s'entend de loin, et où il y a moyen de fuir. Il périt de marasme et de consomption dans nos parcs trop ombreux, pour peu surtout que le lapin y abonde. On n'a jamais pu en conserver à Vincennes. C'est un des animaux les plus difficiles à acclimater et à retenir en un pays qui ne lui convient pas. M. Viardot raconte une mystification très plaisante dont furent victimes, il y a quelques années, d'illustres chasseurs de SaintPétersbourg, qui avaient fait venir à grands frais, de Moscou, un troupeau de lièvres de quatre cents têtes. A peine les pauvres bêtes furent-elles arrivées à leur destination, que leurs propriétaires convoquèrent, pour les occire, le ban et l'arrière-ban des chasseurs indigènes. La Russie ne connaît guère d'autre procédé de chasse que la battue; trois cents rabatteurs et quatre-vingts hommes se trouvent réunis sur le champ de bataille. L'attaque s'engage vivement de la part des traqueurs, mais les fusils restent muets; la seconde, la troisième battue ont le même succès que la première. Stupéfaction universelle! Bref, un seul coup de fusil est tiré à la dernière enceinte, et tiré sur un lièvre impotent, un malheu

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