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faux prophètes aux renards. Origène et les autres Pères de l'Église vont plus loin; ils affirment positivement que la fourrure du renard sert d'enveloppe au démon, et la tradition se perpétue jusque dans le moyen-âge. Elle se reproduit dans les légendes démoniaques de nos pères; elle s'incruste en mythes vivants dans les pierres de nos cathédrales. On peut voir dans les stalles du chœur de la curieuse église de Cuiseaux (Saône-et-Loire), Satan sous la forme d'un renard, éteignant d'un souffle impur la flamme de l'Esprit saint.

Le livre des Juges, les Fastes d'Ovide, Tite-Live, l'histoire sacrée comme la profane, mentionnent l'emploi du renard comme stratagème de guerre. Un grand nombre d'écrivains incrédules et sceptiques ont paru révoquer en doute la véracité de l'histoire des trois cents renards accouplés deux à deux et munis de torches à l'arrière, avec lesquels le valeureux Samson fit tant de mal aux moissons des Philistins. On se récrie sur la difficulté de réunir une telle quantité de renards et de leur attacher simultanément tant de mèches incendiaires à la queue; mais j'arrive à la justification de la version hébraïque en commençant par signaler une confusion du texte. Il est évident pour moi qu'il faut toujours lire sanglier et chacal, là où les livres saints disent pourceau et renard, attendu que le chacal et le sanglier sont aussi communs dans la Judée et dans l'Asie-Mineure que les porcs et les renards y sont rares, et, encore, parce que les renards ne vivent pas en troupes comme les chacals, et parce que la loi de Moïse prohibait l'élève du pourceau comme la loi de Mahomet. Avec cette simple rectification, l'histoire de Samson s'explique le plus aisément du monde, comme toutes les histoires des possédés de l'Évangile, et la véracité des Saintes Écritures est sauvée. Pour qui a vu l'Égypte et l'Asie-Mineure, ou seulement l'Algérie, ce n'est pas la mer à boire assurément que de réunir, Dieu aidant, quelques centaines de chacals. Dans l'hiver de 1841, à Boufarik, j'avais prié trois de mes administrés de me procurer quelques peaux de chacal pour m'en faire des tapis; ils m'en apportèrent deux douzaines chacun au bout de trois ou quatre jours. Il y a plus, je tiens que, sans les chacals,

l'Algérie eût été dévastée dix fois déjà depuis notre occupation par la peste, et cela, grâce aux innombrables décès de bœufs et de mulets provoqués par la négligence de l'administration militaire. En février 1842, le seul troupeau de Boufarik, troupeau du gouvernement, livra aux chacals de la Mitidja, en huit jours, plus de cent cadavres de bœufs d'Espagne et de Sicile, des bêtes gigantesques. Le neuvième jour, il n'en restait plus que les os.

Élien rapporte aussi que, de son temps, les renards étaient si communs dans les contrées voisines de la mer Caspienne, qu'on les rencontrait par bandes dans les rues des cités, où la présence des hommes ne les intimidait pas. Je répète que ces habitudes familières sont dans le caractère du chacal et non dans celui du renard. La version d'Élien est toute en faveur de ma thèse. Mais renard ou chacal, toujours est-il que toutes les fois qu'il s'agit de faire un mauvais coup, la vilaine bête est là. L'antiquité l’a même accusée d'aimer la chair humaine, et Pausanias a cité un fait à l'appui de cette accusation, l'histoire du Messénien Aristomène qui s'échappa des oubliettes où il avait été jeté par les Lacédémoniens, au moyen d'un conduit souterrain que les renards avaient creusé pour venir manger les cadavres des oubliés. La faim est mauvaise conseillère, j'en conviens, mais je n'ai par devers moi aucun fait authentique moderne qui justifie l'imputation ci-dessus. Quant au chacal, c'est autre chose; le chacal a déterré en Algérie plus de cadavres que l'hyène. Le chien, redevenu sauvage, donne également dans ce travers regrettable. Le chien, ne l'oublions pas, est le très-proche parent du chacal. La chacale ne dissimule même pas ses préférences amoureuses pour le chien, et produit avec lui comme la louve; mais il y a antipathie invincible et mortelle entre le renard et la chienne. Jamais le dévouement et l'épicerie ne se donneront la main. L'amour de l'humanité m'a logé sous le crâne deux idées fixes dont j'entends poursuivre l'application jusqu'à ma dernière heure l'extermination du renard et celle du brocanteur.

On sait enfin que les fabulistes ont fait abus de l'analogie du renard, affublant de sa robe le flatteur, le parasite, le gourmand, le marchand d'amulettes, le fripon, le plaideur, l'orateur politi

que. Ils ont usé le costume à force de le prêter aux procureurs (avoués d'aujourd'hui). J'ai besoin de citer à ce propos la réponse sublime de l'un de ces interprètes jurés du Code, retiré de la chicane, où il avait laissé un nom illustre, avec une fortune honorable acquise en dix ans d'exercice. Comme on le félicitait un jour sur son rare talent à embrouiller les causes et à éterniser les procès, — « Plût à Dieu, répondit-il, que j'eusse à recommencer ma carrière ! je vous jure que je m'y prendrais autrement! - Et comment cela? s'exclama l'interlocuteur, désireux de s'instruire. -Eh! parbleu ! en me faisant honnête homme... il Y a si concurrents...» Je n'ai pas besoin de dire que la réponse ci-dessus remonte au temps passé.

peu de

Et maintenant que vous savez les raisons de ma haine et de mes mépris pour la bête favorite des veneurs d'Albion, écoutez la parole du Christ (Évangiles selon saint Luc, chap. 9, v. 58; saint Matthieu, chap. 8, v. 17):

« Vulpes foveas habent et volucres cœli nidos, at Filius Hominis non habet ubi caput reclinet ! »

<< Les renards ont leurs terriers, les oiseaux du, ciel ont leurs nids; mais le Fils de l'homme n'a pas où reposer sa tête ! »

Ainsi parlait le Christ aux puissants de la terre, il y a dix-huit siècles, reprochant à la société antique son égoïsme et son inhumanité. Depuis ce temps, la parole libératrice du Fils de Dieu s'est répandue sur le monde, et le dogme de la charité chrétienne n'a pas manqué d'apôtres ni de martyrs; mais, vainement ces apôtres ont prêché la justice, l'égalité et l'amour du prochain par tous les coins du globe : les renards ont encore pour l'hiver une fourrure et une retraite chaudes, les oiseaux du ciel ont leurs nids; le Fils de l'Homme lui seul, le prolétaire infortuné, n'a pas οὐ reposer sa tête !

FIN.

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