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qu'enrichis de quelques additions nouvelles. Au fol. 235, vo du ms. fr. 2615 se trouve un chapitre consacré à l'énumération des diverses fondations pieuses faites par saint Louis, chapitre qui manque dans Nangis: voici la copie de ce texte: je place en regard celui de Sainte-Geneviève :

Manuscrit fr. 2615.

Fol. 235, verso.

que il furent

Li rois amoit toutes gens qui se metoient à Dieu servir et qui portoient habit de relegion; ne nus ne venoit à lui qui fausist à avoir aucune chevance de vivre il provit les freres du Carme et leur acheta une place sus Saine par devers Charenton, et leur fist faire leur meson, et leur acheta revestemenz et tex choses comme il convenoit, à fere le service nostre Seigneur. En apres il provit les freres de Saint Augustin et acheta la granche à 1 bourgeois de Paris et toutes les apartenances et leur en fist faire 1 moustier dehors la porte de Montmartre; et les freres de Saz provit-il, et leur dona place sus Saine par devers saint Germain des Prés; mais il n'i demorerent gueres abatu. Assez tost apres que les freres des Saz furent herbergié, revint une autre maniere de freres que l'on apeloit l'ordre des Blans Mantiaus, et requistrent au roi qu'il leur aidast à ce qu'il peussent demourer à Paris ; et li rois leur acheta une meson et places entour pour eus herbergier delez la viez porte du Temple de Paris. Ices Blans Mantiaus furent abatu au concile à Lions, que Gregoire li X tint. Apres revindrent une autre maniere de freres qui se faisoient apeler les freres de Sainte-Croix, et portent la crois devant leur piz et requistrent au roi qu'il leur aidast; et li rois le fist moult volentiers ; et les herberga à Paris en une rue qui est appellée le quarrefour du Temple, qui ore est apelée la rue Saint Croiz.

Ainsi avironna li bons rois de gens de relegion la cité de Paris.

Manuscrit de Sainte-Geneviève,
Fol. 359, verso.

Le roy amoit toute gent qui entendoient à Dieu servir et qui portoient habit de religion. Il fist grace aus freres Nostre Dame du Carme et leur fist fere une meison seur Saine et acheta la place d'entour pour eus eslargir; et leur donna revestemenz et galice et toutes choses qui sont convenables à Dieu servir et à fere son office. Après, il acheta la granche à 1 bourgois de Paris et toutes les apartenances, et leur en fist fere 1 moustier dehors la porte de Montmartre; les freres des Sacs furent hebergié en une place seur Saine par devers saint Germain des Prez qu'il leur donna; mes poi i demourerent, quar il furent quassé et abatu. Aprés qu'il furent abatu, les freres de saint Augustin vindrent demourer en icelle place pour ce qu'il estoient trop estroitement hebergié. Une autre maniere de freres vindrent au roy, qui disoient qu'il estoient de l'ordre des Blanz Mantiaus et et li requistrent qu'il leur aidast à ce qu'il poissent avoir une place où il peussent demorer à Paris. Et le roy leur acheta une meison et la place entour delez la viez porte du Temple assez pres des tesserranz; mes il furent abatus au concile de Lyons que Gregoire le X fist. Apres revint une autre maniere de freres qui se fesoient apeler freres de Sainte Croiz et requistrent au roy qu'il leur aidast; et le roy le fist volentiers; en une rue les heberga qui estoit apelée le quarrefour du Temple, qui ore est apelée la rue sainte Crois. En ceste maniere, comme nos avons dit, avironna li roys tout Paris de gens de religion.

1. Fol. 332 v. Conf. P. Paris, ibid. pp. 251, 252.

Ici Sainte-Geneviève ajoute çà et là quelques traits et, en même temps, copie mal son modèle: ces mots : « en après il provit les freres de Saint-Augustin » sont omis : il en résulte que l'achat de la grange à un bourgeois de Paris, la construction d'un moutier dehors la porte de Montmartre sont appliqués aux « frères du carme » et non pas aux frères de Saint-Augustin. En revanche, Sainte-Geneviève complète le texte primitif au sujet des frères Sachets par un renseignement, d'ailleurs exact, qui manquait dans son modèle; il nous apprend que les frères de StAugustin s'établirent dans le couvent précédemment occupé par les frères des Sacs.

J'en ai dit assez pour établir que la rédaction de Sainte-Geneviève est postérieure à celle de 2615: le langage de Sainte-Geneviève est plus moderne et la rédaction primitive y est dénaturée (parfois enrichie). Si j'essaye de serrer de plus près encore ce problème littéraire, si je cherche à fixer approximativement la date de chacune de ces rédactions, je remarque que 2615 garde des traces d'une rédaction antérieure à la canonisation de saint Louis; Sainte-Geneviève au contraire, comme l'a déjà fait observer M. Paulin Paris1, paraît postérieur à cette canonisation. En effet, 2615 désigne Louis IX par des termes qui s'expliqueraient très-difficilement s'il s'agissait d'un saint déjà canonisé: << Ci commence l'estoire du roi Looys, le relegieus home de sainte vie2. — Ci faut l'estoire du roi Looys, le relegieus homme de bone vie, et de sainte, et de bone memoire3. »

Sainte-Geneviève, au contraire, tout en conservant peut-être quelques traces d'une rédaction primitive antérieure à la canonisation (rédaction plus purement conservée dans 2615) s'exprime à plusieurs reprises en des termes qui paraissent bien supposer la canonisation, surtout si on les rapproche des expressions correspondantes de 2615. Sainte-Geneviève débute par ces mots : << Ci commence la vie de Monseigneur St Looys1» ; il finit par cette formule: << explicit vita beati Ludovici quondam regis Francie 5. »

Je rapprocherai encore ces deux phrases:

1. Les grandes Chron. de France. t. IV, p. 209, t. VI, p. 503.

2. Fol. 217 r.

3. Fol. 24, r°.

4. Fol. 327 recto.

5. Fol. 374.

Ms. fr. 2615.

Fol. 247, recto.

L'endemain de la feste Saint Berthelemieu l'apostre, trespassa de ce siecle li bons rois Looys, en l'an de l'Incarnacion notre Seigneur MCC et LXX.

Sainte-Geneviève.

Fol. 374, recto.

L'endemain de la feste Saint Berthelemi trespassa de ce siecle saint Looys, en l'an de l'Incarnation Nostre-Seigneur MCC et LXX.

Je reconnais que le titre de saint a pu être accordé à Louis IX avant la canonisation. La présence de cette épithète ne suffirait donc pas pour prononcer qu'une rédaction est postérieure à 1297; mais ce qualificatif oblige, comme l'a remarqué M. de Wailly1 à considérer la rédaction qui l'a admis comme postérieure à celle où il ne figure pas. Pour n'employer que des termes d'une rigoureuse exactitude, je me contenterai donc de dire que 261 5 conserve une rédaction antérieure à 1297 et que Sainte-Geneviève a été composé après 2615. Je dois ajouter que 2615 ne représente pas d'une façon adéquate cette rédaction antérieure à 1297. Le manuscrit 2615 a été écrit après la mort de Philippe-le-Bel et cette circonstance a exercé quelque influence, légère à la vérité, sur la rédaction primitive: en effet, je lis dans l'énumération des rois de France qui se trouve au fol. 189 verso, cette phrase: « Le XLVI (roi) ot non Phelippe le Biau qui trespassa l'an de grâce M IIIc et XIIII et fu filz Philippe le Hardi. »

Inutile de commenter ce paragraphe; il est clair que 2615 a été écrit après la mort de Philippe-le-Bel, mais je pense néanmoins que la rédaction signalée plus haut se retrouve à bien peu de chose près dans 2615 et je ne crois pas qu'il y ait lieu de distinguer deux rédactions2, une rédaction antérieure à 1297 et la rédaction de 2615: je me contenterai de dire qu'une famille de manuscrits inconnue, famille X devait contenir la rédaction antérieure à 1297 sous une forme plus pure encore que 2615.

1. Nat. de Wailly, Examen de quelques questions relatives à l'origine des Chroniques de Saint-Denis, dans Mém. de l'Académie des Inscript. t. XVII, 1re partie, 1847, pp. 396, 401, 402.

2. Je ne distingue pas deux rédactions, car 2615 n'a pas même canonisé saint Louis; ce qui était si facile à faire. Ce détail paraît indiquer que 2615 ne constitue pas une rédaction distincte. On verra aussi que Joinville, dont le livre fut écrit avant 1314, s'est servi d'une rédaction extrêmement voisine de celle qui nous est parvenue par 2615; ceci nous conduit à affirmer qu'il a existé des manuscrits des Chroniques de Saint-Denis contenant le texte interpolé des enseignements et n'ayant pas cette mention: « Le XLVI (roi) ot non Phelippe le » Biau qui trespassa l'an de grâce MIII et XIIII. »

Après avoir déterminé la position relative des rédactions de la Chronique de Saint-Denis contenues dans 2615 et dans SainteGeneviève1, il me reste à examiner les chapitres de Joinville empruntés à la grande Chronique de Saint-Denis, chapitres qui renferment le texte des Instructions de saint Louis à son fils.

Joinville nous apprend qu'il s'est servi d'un « romant », c'est-àdire d'un ouvrage en français, et ce « romant » n'est pas autre chose qu'une rédaction des Chroniques de Saint-Denis. Sur ce point, je me trouve en parfait accord avec M. Natalis de Wailly: mon illlustre adversaire a cru s'apercevoir que j'étais d'un autre avis 2: c'est une erreur que je ne m'explique pas. Aurais-je, par inadvertance, écrit quelques lignes d'où on pût conclure que Join

1. Primitivement le manuscrit de Sainte-Geneviève contenait une histoire de saint Louis différente de celle qui s'y trouve aujourd'hui et dont je viens de m'occuper. La rédaction originairement insérée dans le manuscrit de SainteGeneviève devait se rattacher étroitement à Primat. Conf. Paul Meyer, Documents manuscrits de l'ancienne littérature de la France conservés dans les bibliothèques de la Grande-Bretagne, Paris, 1871, p. 22.

2. M. de Wailly, Joinville et les enseignements de saint Louis, p. 20.

3. Bien loin de contester sur ce point l'opinion de M. de Wailly, j'ai écrit en toutes lettres : « Joinville a emprunté le texte C 5 et plusieurs chapitres de son histoire de saint Louis à un ouvrage en langue vulgaire qu'il désigne lui-même sous le nom de romant. Cet ouvrage ne peut guère être autre chose, suivant la conjecture de M. de Wailly, qu'une ancienne chronique de St-Denis. » Ce qui suit dans ma dissertation aurait-il donné le change à M. de Wailly? Après avoir exprimé cette pensée que Joinville a dû se servir d'une grande Chronique de St-Denis, voici la marche que je suis dans ce travail : je me demande si quelque indice nous permet de supposer que l'on conservat à St-Denis depuis une époque très-voisine de la mort de saint Louis un texte contenant les passages litigieux : si ce fait venait à se dégager, mes critiques précédentes n'en seraient-elles point affaiblies? J'examine donc cette hypothèse et je fais voir qu'elle n'est nullement fondée, puisque la rédaction la plus ancienne des Chroniques de Saint-Denis, aujourd'hui perdue, celle qui se rattache à Primat, ne pouvait pas légitimement contenir le texte litigieux, Primat lui-même ne le contenant pas. Ma conclusion est celle-ci : le plus ancien texte (aujourd'hui perdu) des Chroniques de SaintDenis ne contenait pas les passages litigieux. Je laisse au lecteur le soin d'ajouter puisque Joinville s'est servi d'une rédaction des Chroniques de Saint-Denis et que son texte contient les passages litigieux, c'est que la rédaction consultée par lui n'était pas la plus ancienne (cellé qui se rattache à Primat). Dès lors, ce fait que le texte litigieux nous vient des Chroniques de Saint-Denis n'est plus de nature à m'inquiéter sur la valeur de mes conclusions, puisque ces Chroniques ne le contenaient pas originairement. (Bibl. de l'Ecole des chartes, VI• série, t. V, pp. 147, 148.)

Tel est le sens de ce que j'écrivais en 1869. C'était pousser trop loin le scrupule que de me préoccuper de ce détail : alors même que les plus anciennes Chro

ville a utilisé un autre ouvrage que les Chroniques de St-Denis? S'il en était ainsi, ce qui me surprendrait beaucoup, je n'hésiterais pas à me rétracter.

Sans aucun doute Joinville s'est servi d'une grande Chronique de Saint-Denis: je retrouve dans des notes déjà vieilles de quatre ou cinq ans une dissertation où je m'efforçais de prouver que Joinville n'a pas consulté deux auteurs différents, Nangis et les Grandes Chroniques, mais un seul texte, celui des Grandes Chroniques. Joinville, disais-je, parle d'un roman consulté par lui, un roman et non deux romans; mais les passages qu'il a empruntés à quelque source étrangère se retrouvent tous dans les Chroniques de Saint-Denis, tandis que plusieurs de ces passages ne figurent pas dans Nangis. D'où cette conclusion nécessaire Joinville n'a pas utilisé Nangis et la Grande Chronique, mais simplement la Grande Chronique. Ce premier point établi, je comparais dans Joinville et Sainte-Geneviève les chapitres communs et je constatais des différences secondaires intéressantes, qui me permettaient d'affirmer l'existence d'une rédaction des Grandes Chroniques antérieure pour le règne de saint Louis à la rédaction de Sainte-Geneviève et mise à profit par Joinville. Je n'allais pas plus loin je signalais une rédaction de la Chronique de Saint-Denis qui avait eu cours au temps de Joinville; mais cette rédaction existait-elle encore dans nos bibliothèques? Je l'ignorais absolument.

niques de Saint-Denis contiendraient le texte litigieux, ma démonstration n'en serait pas affaiblie. La rédaction que je signale aujourd'hui est-elle plus ancienne ou plus récente que la rédaction perdue qui se rattachait à Primat? Je l'ignore et ceci n'importe pas à ma thèse; ce qui m'intéresse, c'est de constater que ni la rédaction des Grandes Chroniques remontant à Primat (branche perdue), ni la rédaction remontant à Nangis ne pouvaient contenir par Primat ou par Nangis le texte litigieux, puisque Primat et Nangis ne le donnent pas.

Lorsque je parle d'une rédaction perdue des Chroniques de Saint-Denis se rattachant à Primat, j'entends tout simplement signaler le texte qui, originairement, figurait dans le ms. de Sainte-Geneviève et qui était annoncé par ces vers bien connus :

Phelippes, rois de France, qui tant ies renomez

Je te rent le romanz qui des rois est romez.
Tant à cis travaillié qui Primaz est nomez
Que il est, Dieu mercì, parfaiz et consummez.

Ce texte était-il arrangé d'après Primat ou bien n'était-il autre chose que la rédaction pure et simple de Primat? Je l'ignore; en ce dernier cas, il ne faudrait plus traiter cette rédaction de rédaction perdue. Je lui donne ce qualificatif à cause du doute qui subsiste à cet égard.

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