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JUN 1921

LES ENSEIGNEMENTS

DE SAINT LOUIS A
LOUIS A SON FILS.

RÉPONSE A M. NATALIS DE WAILLY

ET OBSERVATIONS POUR SERVIR A L'HISTOIRE CRITIQUE DES GRANDES CHRONIQUES DE FRANCE

ET DU TEXTE DE JOINVILLE1.

PRÉAMBULE.

Les instructions de saint Louis à son fils nous ont été transmises par divers chroniqueurs, mais avec des différences trèssensibles la critique s'efforce aujourd'hui de reconstituer un texte aussi conforme que possible à l'original depuis longtemps perdu cette restitution mettra à la disposition de l'historien un monument important pour l'appréciation du caractère de saint Louis.

En 1869, j'ai examiné moi-même les divers textes des Ensei

1. Grâce à la courtoisie de M. Natalis de Wailly, ce travail a été lu, pendant l'été de 1873, devant l'Académie des inscriptions et belles-lettres à laquelle avait été communiquée précédemment l'étude de M. de Wailly intitulée: Joinville et les enseignements de saint Louis à son fils. Je dois remercier ici l'Académie de m'avoir admis à développer une thèse contraire à celle de M. Natalis de Wailly; honneur périlleux dont je voudrais ne m'être pas montré trop indigne.

Au moment de publier cet essai, j'y fais de légers changements: quelquesunes de ces modifications m'ont été suggérées par les observations sommaires de M. de Wailly. Toute discussion avec cet éminent critique m'inspire le désir de donner à ma pensée une rigueur, une exactitude, une précision plus grande; car dans l'adversaire je ne cesse pas un instant de sentir le maître.

gnements et j'ai cru devoir signaler comme très-suspectes plusieurs phrases qui sont attribuées à saint Louis par Joinville et par les Grandes Chroniques de Saint-Denis. Dans un mémoire trop bienveillant pour moi, M. de Wailly a étudié tout récemment la même question et s'est prononcé pour l'authenticité des passages que j'avais contestés : il me paraît difficile d'accepter les conclusions de ce maître éminent et je prends la liberté d'exposer les motifs qui m'empêchent de me rallier à son sentiment.

Je résumerai dans un premier chapitre les considérations qui, à mon sens, dominent le problème et fournissent à elles seules une conclusion: cette discussion sera suivie de quelques observations qui m'ont semblé utiles, mais que je ne crois pas indispensables elles formeront la matière du second et du troisième chapitre. Dans cette partie supplémentaire, je signalerai une rédaction des Chroniques de Saint-Denis antérieure pour le règne de saint Louis à la rédaction du manuscrit de Sainte-Geneviève, et je comparerai avec le texte des Chroniques de Saint-Denis divers fragments de Joinville. Cette excursion dans le domaine de l'histoire des sources me ramènera, en finissant, au texte des enseignements de saint Louis et me permettra d'en aborder la critique sous une forme nouvelle.

I. CONSIDÉRATION ESSENTIELLE. PREUVE DES

INTERPOLATIONS.

M. de Wailly répartit en trois grandes familles les divers textes des enseignements de saint Louis à son fils; je résume ci-après le classement de M. de Wailly.

Première famille. Cette famille comprend tous les grands textes. Ces grands textes dérivent de celui qui figura au procès de canonisation. Ce que saint Louis avait écrit en français fut traduit, pour cette circonstance, en latin (nous possédons cette traduction latine); les textes français de la même famille ne sont que des traductions du latin.

Les textes de cette première famille, quoique très-developpés, sont incomplets: il faut les compléter à l'aide des passages contenus dans les textes de la troisième famille dont il sera parlé ci-après.

Deuxième famille. Cette famille a deux types primitifs l'abrégé latin de Beaulieu, l'abrégé français placé à la suite de Beaulieu et dû au même Beaulieu.

Troisième famille. Elle est représentée par un texte unique, celui des Grandes Chroniques de Saint-Denis (Manuscrit de Sainte-Geneviève). Ce texte est abrégé, mais c'est un abrégé distinct des abrégés de la seconde famille et ne remontant pas à la même source.

Ce texte de la troisième famille contient les passages incriminés; et ce sont précisément ces passages dont M. de Wailly se sert pour compléter les textes de la première famille.

Un quatrième texte, celui de Joinville, est d'une nature mixte: il dérive tout à la fois de la seconde et de la troisième famille.

Avant de critiquer cette classification, j'exprime un doute sur la question de savoir si elle autorise la thèse de M. de Wailly. Sur trois familles de textes, une seule lui fournit les passages litigieux et les deux familles qui ne les contiennent pas (la première et la seconde) sont éminemment respectables en raison de leur origine ne serait-il pas prudent de recueillir ces fragments à titre de variantes douteuses au lieu de les faire pénétrer dans le texte des enseignements de saint Louis? Mais je n'insiste pas en ce moment sur cette considération : j'ai voulu seulement l'indiquer et je me hâte d'arriver au cœur du débat.

Pour que la discussion à laquelle je vais me livrer soit parfaitement claire, je dois tout d'abord faire connaître les points communs et incontestés. Nous reconnaissons de part et d'autre :

1° Une famille de grands textes que j'ai appelée tout à l'heure première famille. Nous pouvons différer d'avis sur la question de savoir si les textes français de cette famille sont ou non traduits du latin; mais nous groupons l'un et l'autre ces grands textes en une même famille : dans mon premier essai, j'ai assigné à cette famille les lettres A et B.

2o Une famille de textes abrégés remontant à Geoffroy de Beaulieu j'ai appelé, en 1869, les divers textes de cette famille C 1, C2, C3, C4, et j'ai tout à l'heure mentionné ce groupe sous le nom de Deuxième famille. Nous différons d'avis sur la valeur relative de ces deux familles, car M. de Wailly croit pouvoir corriger le texte à l'aide de la seconde famille quand elle contredit la première; ce que je ne ferais pas. Mais nous reconnaissons l'un et l'autre ces deux groupes distincts: 1o textes A B; 2o textes C 1, C2, C3, C 4.

Tel est le fond commun entre nous. Voici maintenant le point essentiel du débat: M. de Wailly reconnaît l'existence d'une troi

sième famille (C 6 dans mon énumération de 1869); à mon sens, cette famille n'a pas d'existence propre, et C 6 se rattache étroitement aux textes de la seconde famille.

L'intérêt de cette question est capital. Si C 6 dérive de Beaulieu, il ne peut légitimement rien contenir de plus que ce que contient Beaulieu. Mais, en fait, C 6 contient les passages litigieux qui manquent dans Beaulieu ces passages seraient donc condamnés et leur caractère apocryphe serait reconnu par le seul fait que la parenté de C 6 avec Beaulieu serait démontrée.

Or, on peut prouver que C 6 dérive des manuscrits de la seconde famille, c'est-à-dire de Beaulieu; et voici comment : si on examine un des grands textes et si on le compare avec les abrégés, on s'aperçoit immédiatement qu'il contient un nombre considérable de pensées, de mots qui manquent dans tous les abrégés, y compris C 6, preuve certaine que C6 n'a pas, comme le pense M. de Wailly, une origine distincte. Admettra-t-on, en effet, que deux abréviateurs différents aient pu se rencontrer, je ne dis pas une fois, deux, trois ou quatre fois, mais dix fois, mais vingt fois et plus encore, pour supprimer les mêmes passages? Il tombe sous le sens que deux personnes, travaillant séparément, n'ont pu traiter notre texte original d'une manière identique dans les 22 cas suivants 2:

. 1° § 1. La suscription ainsi conçue : « Suo caro primogenito Philippo salutem et dilectionem paternam » manque dans tous les textes abrégés.

2o § 2. Ce paragraphe est ainsi conçu : « Care fili, quia ego desidero toto corde quod tu sis bene doctus in omnibus, penso quod tibi aliquod documentum faciam per hoc scriptum. Ego enim audivi aliquociens te dicentem quod plus a me quam ab alio retineres. »

Ce paragraphe tout entier manque dans les textes abrégés.

1. Pour éviter toute discussion secondaire inutile au débat, je choisis le texte latin dont M. de Wailly a donné lui-même une édition critique. Ce texte figure dans une compilation historique rédigée par le moine Yves (de St-Denis) et offerte en 1317 à Philippe le Long par l'abbé Gilles de Pontoise. Voy. Delisle, Notice sur un recueil historique présenté à Philippe le Long par Gilles de Pontoise, abbé de St-Denis.

2. Je cite les paragraphes d'après le numérotage de M. de Wailly, numérotage qui ne pourrait, bien entendu, subsister dans une édition conçue sur des bases différentes.

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