En prenant possession de la présidence à laquelle m'ont appelé vos sympathiques suffrages, je dois tout d'abord vous remercier de l'honneur que vous m'avez fait en me mettant à la tête de notre chère Société. Je vous suis profondément reconnaissant de la distinction que vous avez bien voulu me conférer, mais ce n'est pas sans une certaine appréhension que je m'assieds dans le fauteuil présidentiel.

Je ne puis, en effet, oublier que ce siège a été illustré par les plus grands noms de la science dauphinoise. Si je jette un regard vers le passé, j'aperçois devant moi ces grandes figures qui avaient nom Emile Gueymard, Scipion Gras, Charles Lory, Alexandre Charvet, Carlet, Crozet, Pilot, Chaper, et bien d'autres, et je me demande ce qui a pu m'amener à leur succéder. Certes, j'ai comme eux l'amour de notre chère patrie dauphinoise dont ils ont su fonder la géologie, scruter la faune, faire connaître l'histoire, à laquelle ils ont fait de leurs noms une rayonnante auréole! Mais cet amour, nous l'avons tous également, il bat avec la même force au cœur de tous les enfants de nos montagnes, et il ne saurait être la raison pour laquelle vous m'avez élevé à ce poste d'honneur.

J'ai dû penser que vous aviez voulu, en ce faisant, mettre en lumière les quelques services que j'ai pu rendre à la connaissance topogra

phique des Alpes, et la contribution que les évènements, souvent plus forts que nos volontés, m'ont amené à apporter à la topographie alpine. Dès lors, il m'a paru utile de rappeler en quelques mots la génèse de cette science et l'importance du rôle qu'elle a dans nos connaissances actuelles.

HISTOIRE DE LA TOPOGRAPHIE

Fille de la géographie, issue comme elle de ce désir bien naturel de connaître les coins et recoins de notre habitation terrestre, la topographie peut être appelée la géographie au microscope. Là où la première se contente de grands traits et d'indications sommaires, celle-ci veut la connaissance des détails, des accidents du sol, de sa physionomie, de son allure et presque de sa constitution. La topographie alpine est l'application aux grands reliefs de cette étude minutieuse; elle est la connaissance de leur altitude, de leur modelé, de leur accessibilité. Elle est, entre toutes, une science expérimentale et pratique : expérimentale, car les raisonnements y sont impuissants et ne peuvent qu'enfanter des erreurs; pratique, car de cette connaissance dépendent les communications des peuples et aussi leur défense.

Je vous ai dit qu'elle était d'origine relativement récente, et en effet, quand on considère le mode dont se créent les sciences humaines, on comprend sans peine, que malgré son éminente utilité, elle ait dû être un des derniers sujets d'études. Il fallait, pour l'aborder, un degré de sécurité et de connaissances générales qui ne pouvait s'acquérir qu'après de longues étapes de la civilisation.

Les études quelconques ne sont point filles de la solitude: il faut, pour s'adonner aux recherches spéculatives, une sécurité générale, une absence de soucis matériels, qui ne pouvaient point être l'apanage des rudes fils de la montagne, obligés de lutter sans relâche contre les éléments et d'arracher leur subsistance à des terres nécessairement peu fertiles. Aujourd'hui encore, l'habitant des hautes régions connaît sa vallée et rien au-delà; et ils sont rares ceux que l'attrait de la chasse, seul mobile qui puisse les faire sortir des terrains de production, a entraînés jusque sur les sommets qui environnent le berceau de leur existence.