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un pareil ouvrage est insuffisant parce que nous ne pouvons apprendre le français que par notre langue maternelle; c'est-à-dire par le provençal. Cela est trop clair pour avoir besoin d'être démontré autrement aux personnes qui ont fait de l'étude des langues le sujet de quelque méditation; pour les autres, quelques exemples doivent suffire pour porter la conviction dans leur esprit.

Comment faire comprendre à un provençal la différence qu'il y a entre je formais et je formai, si vous ne comparez pas ces deux expressions aux mots formavi et formeri? La différence peu sensible entre les deux désinences françaises ne le satisfera pas. Il voudra la caractériser davantage et il vous dira, par exemple: « Je vins, il y a dix ans, à Paris, et j'y forma un établissement. » On entend à chaque instant des phrases semblables à Marseille.

Un provençal ne dira pas, en parlant de plusieurs personnes: « j'apprécie leurs qualités, » mais «j'apprécie ses qualités,» parce que le pronom leur n'existe pas dans la langue provençale.

Enfin, les Provençaux n'emploient point les pronoms personnels devant les verbes; ce qui fait qu'ils construisent barbarement une foule de phrases françaises.

On sent, par ce peu d'exemples, de quelle nécessité est l'ouvrage que je présente aujour

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d'hui au public. Je ne veux pas dire toutefois qu'il serait impossible à un provençal d'apprendre le français au moyen des grammaires actuellement en usage: un homme intelligent et laborieux peut à-peu-près tout ce qu'il veut; mais je prétends, et j'ai la ferme conviction, qu'au moyen de ma grammaire, on apprendra, en se jouant, les mêmes choses qui coûteraient des peines inouïes par la méthode ordinaire. Je prie aussi qu'on ne perde pas de vue le titre de mon ouvrage. Quoiqu'il convienne même au provençal qui a fait ses études, il s'adresse plus spécialement à ceux qui n'en ont fait que d'incomplètes, ou même qui n'en ont pas fait du tout; aux femmes, dont l'éducation est généralement si négligée; aux ouvriers; enfin à tous ceux qui ne savent que lire. Cette connaissance est la seule qu'exige mon ouvrage. Tout homine qui sait lire pourra, par son secours, apprendre en peu de tems tout ce qu'il est nécessaire de savoir sur les règles grammaticales de la langue française. J'en ai la ferme conviction, et cette conviction je l'ai acquise par l'essai que j'ai fait de ma méthode sur quelques personnes de ma connaissance, qui n'avaient jamais pu ouvrir sans dégoût une grammaire purement française. L'effet a été au-delà de mes espérances.

Mais en voilà assez sur mon ouvrage. Je n'ai été mu, en l'écrivant, ni par l'attrait du gain,

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par celui de la gloire. Ma plus douce espérance sera cependant dans son succès, car il me prouvera que je ne me suis pas trompé en croyant offrir à mes concitoyens un travail utile.

Quelques personnes pourraient croire que j'aurais mieux fait d'écrire cette grammaire en provençal : ce serait une erreur. Tout le monde, en Provence, apprend à lire en français. Un provençal instruit lit même très-difficilement le provençal, et d'ailleurs cette langue est livrée à une si horrible confusion, sous le rapport de l'orthographe, qu'on peut dire qu'elle n'est plus que parlée. Les livres de prières même sont écrits en français, et, chose étrange! mis entre les mains de gens à qui, dans certains quartiers de la ville, on est obligé de prêcher en provençal, sous peine de ne pas en être entendu. Je devais donc écrire le gros de ma grammaire en français pour ne pas la rendre illisible.

GRAMMAIRE FRANÇAISE

EXPLIQUÉE

AU MOYEN DE LA LANGUE PROVENÇALE.

NOTIONS GÉNÉRALES.

LA grammaire est la science qui nous enseigne

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composer et à décomposer la phrase".

Deux choses importantes doivent être considé rées dans la phrase: 1o les élémens dont elle se compose, 2o la manière de faire usage de ces élé

mens.

Les élémens de la phrase sont les mêmes pour tous les peuples de la terre, parce que les hommes ayant une organisation semblable, et étant affectés de la même manière par les objets extérieurs, ont dû nécessairement se rencontrer dans le choix de ces élémens lorsqu'ils ont voulu représenter leurs pensées au moyen de la voix ou de l'écriture. Lorsque la grammaire s'occupe de ces élémens, recherche leur essence, les classe par genres, les divise en espèces, les subdivise en individus, les modifie et les arrange entr'eux d'une manière ra

Phrase signifie: réunion de mots fermant un sens complet,

tionnelle, ou si l'on veut idéale, elle prend le nom de grammaire générale.

Mais si tous les peuples se sont ainsi accordés pour le choix des élémens de la phrase, il n'en a pas été de même, tant s'en faut, relativement aux méthodes qu'ils ont suivies pour arranger ces élémens entr'eux, c'est-à-dire pour construire la phrase. Dans chaque langue elle est construite différemment. Un élément, qui, dans une langue, se trouve au commencement de la phrase, est placé dans une autre langue à la fin ou au milieu. Lorsque la grammaire, ayant en vue une seule langue, fait connaître l'ordre dans lequel les élémens sont arrangés dans cette langue pour former la phrase, elle s'appelle grammaire particulière. On conçoit donc qu'il y a autant de grammaires particulières qu'il y a de langues différentes. C'est ainsi qu'on dit grammaire française, grammaire latine, grammaire allemande, etc.

Enfin on nomme grammaire comparée, la science qui enseigne à comparer la structure de la phrase dans une langue avec la structure de la phrase dans une autre langue. La grammaire comparée peut enseigner ainsi, non-seulement une langue inconnue au moyen d'une langue connue, mais encore à comparer les formes de deux ou plusieurs langues et à tirer de cette comparaison des inductions utiles aux progrès des connaissances humaines.

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