TROISIÈME PARTIE. INSTITUTIONS POLITIQUES. Parvenus au terme de ce travail, nous nous apercevons qu'il est incomplet, et qu'il faut nécessairement y ajouter une troisième partie. En effet, nous avons bien tâché de faire connaître, jusque dans leurs plus minutieux détails, les diverses institutions administratives et judiciaires de la Lorraine et du Barrois, ainsi que les noms des fonctionnaires chargés d'en assurer le jeu; mais on demandera nécessairement si, en dehors de ces institutions et au-dessus de ces fonctionnaires, il n'y avait pas un corps politique ayant mission d'élaborer les lois, et quels étaient les personnages appelés à le composer; on se demandera aussi quelles étaient l'étendue et les limites du pouvoir souverain. Ces questions ont été traitées par notre savant et regrettable ami Aug. Digot dans un mémoire que nous 1. En ce qui concerne les institutions judiciaires, nous ne pouvons mieux faire que de renvoyer à l'étude sur le procureur général Nicolas Remy, dont M. Leclerc, premier président de la Cour impériale, a fait le sujet de son discours de réception à l'Académie de Stanislas. 2. Mémoire sur les Etats-généraux de Lorraine, dans les Mémoires de l'Académie de Stanislas, année 1854. Voy. aussi Essai historique sur les principales coutumes, etc., par M. Beaupré, et Tableau de l'histoire constitutionnelle et législative du peuple lorrain, par M. Schütz, dans les Mémoires de l'Académie de Stanislas, année 1842. regardons comme une de ses meilleures productions, et qu'il nous suffira presque d'analyser. La thèse qu'il a développée est indiquée dans les lignes suivantes, écrites sur une des premières pages de ce mémoire : Dans l'origine, et pendant longtemps, l'autorité ducale fut très-limitée. Le prince ne pouvait lever aucune imposition et n'osait prendre aucune décision législative de quelque importance sans avoir préalablement obtenu le consentement des trois ordres, dont les délégués se réunissaient, au moins une fois chaque année, pour voter l'impôt, décider souverainement sur plusieurs matières, et présenter au duc des vœux et des remontrances que celuici se permettait rarement de mépriser. La réunion des trois ordres formait les Etats-généraux, que nous avons vus intervenir à plusieurs reprises pour formuler des griefs et faire entendre des réclamations plus ou moins légitimes. La Chevalerie exerçait une grande prépondérance dans ces assemblées. Composée exclusivement, au moins pendant longues années, de familles indigènes, dont la puissance et l'illustration remontaient au berceau de l'autorité ducale, et peut-être aux leudes de l'ancienne Austrasie, cette haute aristocratie était, par droit de naissance, investie de la juridiction souveraine dans les bailliages de Nancy, de Vosge et d'Allemagne, et le tribunal où ses membres étaient appelés à siéger, se nommait les Assises. Celles-ci, dont l'existence était inhérente à l'état constitutionnel du pays, joignaient à l'exercice du pouvoir judiciaire une certaine participation au pouvoir législatif. Les députés de la Chevalerie, chargés de les tenir, l'étaient aussi de veiller et de pourvoir à l'exécution des résolutions prises dans l'assemblée des Etats; ils formaient, en quelque sorte, une commission permanente, qui pouvait suppléer au vote des Etats-généraux durant l'intervalle d'une session à une autre, et quand les circonstances étaient trop urgentes pour qu'il fût possible de les convoquer1. D'où il résulte qu'il y avait comme deux corps politiques les Assises, où siégeaient seulement les gentilshommes; les Etats-généraux, dans lesquels les trois ordres étaient représentés, ou, pour parler d'une manière plus exacte, dans lesquels, à partir d'une certaine époque, les trois ordres eurent leurs représentants. Originairement, il n'y eut place que pour la Chevalerie. Son intervention dans les affaires publiques se montre dès les temps des premiers ducs héréditaires de Lorraine. Après la mort de Gérard d'Alsace, elle déclare que le duché doit revenir à Thierry, son fils ainé. Au décès de Mathieu 1er, elle décide, contrairement aux prétentions de sa veuve, Berthe de Souabe, que le fils du prince défunt est en àge et en état de gouverner. Cette décision fut prise dans une session tenue au château de Gondreville. Deux autres eurent lieu sous le règne de Simon II, l'une en 1177, l'autre en 1179 dans la première, on accorda au duc les subsides dont il avait besoin pour réprimer les brigandages des cottereaux; dans l'autre, les gentilshommes reçurent la déclaration du duc, portant que son frère hériterait de la couronne s'il venait à mourir sans enfants. Après la mort de Mathieu II, le tròne échut à un enfant, et la régence ou mainbournie, 1. Voy. Essai historique, etc., p. 68. 2. Voy. ci-après, p. 425. : comme on disait, fut confiée, très-vraisemblablement par les Etats, à la duchesse douairière, Catherine de Limbourg. En 1506, l'assemblée tenue à Colombey trancha une question importante touchant la succession au duché sur la proposition de Thiébaut 11, et après une mùre délibération, les Etats déclarèrent que, d'après l'usage constamment suivi en Lorraine, si le fils d'un duc venait à mourir avant son père, et qu'il laissat des enfants légitimes, garçons ou filles, ces enfants devaient succéder au duché, à l'exclusion de tout autre héritier.— En 1528, les Etats déférèrent la régence à la duchesse douairière Isabelle d'Autriche, pendant la minorité de Raoul. L'assemblée se composait non-seulement de tous les membres de l'ancienne Chevalerie, mais encore de certains ecclésiastiques, parmi lesquels Thomas de Bourlémont, évêque de Toul. On voit par ce qui précède que, dans le duché de Lorraine comme dans l'Empire germanique, l'assemblée des Etats ne fut formée, au moyen àge, que des nobles, qui d'abord eurent seuls voix délibérative, et des prélats, qui ne furent admis régulièrement que vers la fin du XVIe siècle, et n'eurent que le second rang'. La noblesse, qui occupait le premier2, n'admettait à siéger que les gentilshommes appartenant à l'ancienne Chevalerie, c'est-à-dire ceux dont les familles avaient. 1. A partir du xve siècle, ou au moins vers le règne de René II, la liste des membres de cet ordre qui eut entrée aux Etats fut arrêtée définitivement, et, si elle subit plus tard quelques modifications, ces modifications furent sans importance réelle. 2. Il paraît qu'elle le céda ensuite aux ecclésiastiques, car ces derniers sont nommés les premiers dans le discours que Charles-le-Téméraire adressa aux Etats-généraux lorsqu'il fut devenu maître de Nancy. toujours habité la Lorraine, et dont l'origine se perdait dans la nuit des temps. Mais, comme ces familles étaient en petit nombre, et que plusieurs s'éteignirent dans le cours des XII, XIVe et XVe siècles, on donna entrée dans les Etats à beaucoup de gentilshommes dont les ancêtres s'étaient fixés dans le duché et avaient épousé des filles de l'ancienne Chevalerie. Plus tard même, on y admit les principaux officiers du prince, quel que fùt le degré de leur noblessse. Les priviléges de l'ancienne Chevalerie étaient trop étendus pour ne pas porter ombrage au souverain, et les ducs ne cessèrent, à partir de la seconde moitié du XIIe siècle, de chercher à les restreindre c'est ce que firent, notamment, Ferry III et Thiébaut II, son successeur; mais ce dernier finit par comprendre qu'il s'était montré injuste, et, sans rendre aux gentilshommes toutes les prérogatives dont il les avait dépouillés, il déclara que l'exercice des droits de justice, qui leur appartenait, ne serait plus subordonné au bon plaisir du prince, et que leurs jugements n'auraient plus besoin, pour leur validité, d'être revêtus du placet ducal. La nécessité où se trouva Charles II de ménager la noblesse, pour l'empêcher de se déclarer en faveur du comte de Vaudémont, l'avait porté à faire quelques concessions sur la fin de sa vie; mais ces concessions ne furent rien auprès de celles que René Ier et Isabelle furent obligés de souscrire pour attacher les gentilshommes à leur fortune. Le 30 janvier 1431, ils remirent à ces derniers une déclaration1 portant reconnaissance de 1. M. Digot en a donné le texte dans son Histoire de Lorraine, t. III, p. 7 et suiv. |