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leurs priviléges; déclaration à laquelle, depuis lors, les dues de Lorraine, en prenant possession de leurs Etats, furent tenus de jurer de se conformer.

Charles II, dans le but de diminuer l'influence de la Chevalerie, avait fait entrer dans les Etats-généraux les représentants de la bourgeoisie, qui vinrent y former le troisième ordre. On ne sait pas au juste à quelle époque cette révolution s'était opérée; ce qui est certain, c'est qu'à partir du règne de René ler et d'Isabelle, ils furent assez régulièrement admis dans cette assemblée, et on lit au commencement de l'acte par lequel, en 1509, elle approuva le testament de René II : « Soit chose notoire que... hauts et puissans seigneurs les comtes, barons, chevaliers, baillifs et autres nobles; pareillement les vénérables abbés, prieurs, collèges et gens d'Eglise ; ensemble les bourgeois et commun peuple des duchiez de Lorraine et de Bar,... convoquez et assemblez, faisans et représentans les trois estats desdits duchiez... »

...

Nous ne suivrons pas M. Digot dans les détails qu'il donne sur le mode de convocation des Etats-généraux, sur les formes adoptées pour la discussion des lois et les matières sur lesquelles les Etats avaient coutume de statuer; il suffira de dire, pour faire connaitre les pouvoirs qui leur étaient attribués, que toutes les affaires importantes étaient soumises à leurs décisions: succession, tutelle du duché, lois, priviléges et impôts.

Nous avons cité précédemment plusieurs faits qui montrent toute l'étendue des attributions des Etats-généraux; il serait facile d'en mentionner plusieurs autres. Ainsi, en 1509, ils déclarèrent que le duc Antoine avait l'âge nécessaire pour régner par lui-même, et que la duchesse douairière Philippe de Gueldres ne devait pas continuer

à exercer la tutelle. Ce furent eux qui, après la mort de François Ier, fils d'Antoine, confirmèrent la dernière volonté du prince, qui avait accordé la régence à Christine de Danemark et adjoint à celle-ci son beau-frère, Nicolas, alors évêque de Metz. Ce furent eux encore qui empèchèrent le duc Henri de donner sa fille Nicole à Louis de Guise, baron d'Ancerville.

Le pouvoir des Etats, en ce qui concernait la confection des lois, n'était pas moins grand, et on voyait rarement le prince apporter quelque modification à ce qu'ils avaient statué; il est vrai cependant qu'aucune loi votée par eux ne pouvait être promulguée avant d'avoir reçu la sanction du souverain.

Quand les Etats-généraux avaient donné leur assentiment à une contribution extraordinaire, ils ne se contentaient pas d'exiger que le duc leur remit des lettres de non-préjudice ; ils voulaient que la levée et la répartition des deniers fussent confiées à des commissaires qu'ils nommaient eux-mêmes, et non aux officiers de finances, que l'on regardait comme trop dépendants du prince. S'il arrivait que les demandes de cette nature fussent exagérées ou mal fondées, les Etats ne craignaient pas d'y répondre par un refus, dont ils exposaient respectueusement les motifs; dans le cas où, malgré l'inutilité apparente des dépenses, ils ne croyaient pas devoir repousser la proposition, ils avaient soin de faire parvenir leurs plaintes au pied du trône. Ces remontrances ou griefs étaient consignés dans le résultat de la session. On appelait ainsi un cahier sur lequel on transcrivait les doléances et les vœux exprimés. Une députation était chargée de le porter au duc, qui se livrait immédiatement à l'examen des différents articles du cahier. Quant il estimait

convenable de répondre favorablement aux demandes, il écrivait en marge de chaque article le mot accordé, qui signifiait qu'il était d'accord avec les Etats; et ce mot suffisait pour donner force de loi aux articles en regard desquels il était tracé. Lorsque le duc ne jugeait pas à propos de faire droit aux requêtes qui lui étaient présentées, il cherchait à les éluder par des temporisations ou des réponses évasives, alléguant toutes sortes de raisons ou de prétextes pour ne pas faire les concessions qui lui étaient demandées.

Quoique la Chevalerie ne représentât qu'un des trois ordres aux Etats-généraux, elle y exerçait néanmoins une prépondérance considérable, dont elle eut peut-être le tort d'abuser. Les allures hautaines de quelques-uns de ses membres, les refus d'impôts et la résistance des Etats lorsque les officiers de finances essayaient de percevoir quelque taxe non accordée par un vote régulier, enfin, la lutte que, dès la seconde moitié du xvie siècle, les gentilshommes avaient engagée contre les divers représentants de l'autorité; tous ces motifs finirent par inspirer aux ducs de Lorraine le désir d'anéantir une institution qui, à leurs yeux, renfermait la prérogative souveraine dans un cercle beaucoup trop étroit.

Nous avons vu que Charles III avait fait une première tentative dans ce sens, en refusant de prêter le serment accoutumé à l'entrée solennelle des dues dans leur capitale, mais que les circonstances l'avaient ensuite forcé à remplir cette formalité. Aussi, nonobstant la protestation qu'il fit rédiger par son procureur général1, il n'osa restreindre les droits des Etats, et, tant qu'il vécut, le gou

1. Voy. ci-dessus, p. 135.

vernement constitutionnel fonctionna dans notre pays avec une certaine régularité.

La bonne harmonie entre les deux pouvoirs reçut une grave atteinte sous le règne d'Henri II, tant à cause des remontrances que les Etats ne lui ménagèrent pas au sujet de ses prodigalités, qu'à raison de la contrainte qu'ils exercèrent sur lui en le forçant à marier sa fille aînée au prince Charles, depuis Charles IV. Il songeait à se débarrasser d'une assemblée si ombrageuse et si exigeante; mais la mort le surprit avant qu'il eût réalisé ses projets.

La suppression des Etats-généraux devait être l'ouvrage de ce même Charles IV auquel ils avaient ouvert le chemin du trône, en facilitant son mariage avec la princesse Nicole, et en sanctionnant son usurpation, lorsque, au mépris des droits de cette princesse, il voulut régner seul et sans partage. Dès 1627, il anéantit dans le bailliage de Vosge la juridiction des Assises et la remplaça par un tribunal composé de gradués. En 1629, les Etats, qui se défiaient de leur souverain et craignaient, sans doute, qu'il ne fit disparaître les titres constitutifs de leurs droits, décidèrent que toutes les pièces qui les concernaient seraient enfermées dans un dépôt particulier, et ils prièrent le duc de n'avoir pour « désagréable » une résolution qui devait vivement le froisser.

Aussi la session de cette année fut-elle la dernière : sans avoir recours à aucun acte d'autorité, Charles IV, tantôt sous un prétexte, tantôt sous un autre, évita d'expédier des lettres de convocation. En 1653, voulant lever une nouvelle contribution, il demanda un aide au tribunal des Assises, qui formait, ainsi que nous l'avons dit, comme une commission intérimaire, représentant les

Etats dans l'intervalle qui séparait deux sessions'. Il renouvela la même demande l'année suivante, et il y fut encore fait droit.

A cette époque, les Français venaient d'envahir le Barrois et une partie de la Lorraine et occuper Nancy; Charles IV avait abdiqué en faveur de son frère, et pris le chemin de l'exil. Louis XIII, maitre des deux duchés, établit à Nancy un Conseil souverain auquel il attribua la connaissance des affaires qui se portaient auparavant tant devant les Assises que devant les tribunaux supérieurs ; et, faisant droit, jusqu'à un certain point, aux réclamations des gentilshommes, il en admit quelques-uns dans ce Conseil, leur y donnant rang, séance et voix délibérative.

Lorsque Charles IV reprit possession des deux duchés en 1661, il ne voulut rétablir ni les Etats-généraux ni le tribunal des Assises, et il usa de rigueur envers les membres de la noblesse qui avaient protesté contre cette usurpation de pouvoir."

A l'avènement de Léopold, on lui demanda de rétablir la constitution, de convoquer les trois ordres et de rendre

1. Les Assises votèrent quelquefois des aides extraordinaires, lorsqu'il n'était pas possible de réunir les Etats; mais cette prétention fut presque toujours mal accueillie par les trois ordres, témoin, notamment, la plainte qui fut faite à ce sujet en 1626, et qui est ainsi conçue: On n'a pas encore entendu dire que les seigneurs des Assises ayent pouvoir d'accorder aucune contribution; aussy cela seroit d'une très-grande conséquence. Si un Estat ne peut astreindre personne à donner contre sa volonté et consentement, tant moins peuvent faire MM. desdictes Assises, n'y ayant point d'apparence que sept ou huit qui seroient à une assise puissent disposer de tout le reste du corps; ils devroient se souvenir que Son Altesse, qui est le prince souverain, lorsqu'il désire avoir quelque contribution, il ne le fait qu'au préalable il n'aye faict l'honneur à sa noblesse de les appeler et convoquer ".

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