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et la controverse date des romanistes: Puis-je, après avoir revendiqué sans succès la terre A revendiquer le domaine tout entier, c'est-à-dire les terres A. B. C.? M. de Savigny estime que non parce que, dit-il, la demande ainsi présentée comprendrait celle déjà adjugée quant à A et que par conséquent il pourrait y avoir contradiction entre la décision qui m'accorderait le domaine entier et celle qui déjà m'aurait éconduit quant à la terre A.-Identité de demande, d'objet, de cause, de parties, de qualités.

Beaucoup d'auteurs, et parmi les plus illustres, ne partagent pas l'opinion de Savigny à cet égard, et prétendent qu'après avoir ainsi échoué dans la terre A, rien n'empêche de demander par voie d'action nouvelle la propriété de A. B. C.; et ils se fondent sur ce que, si la partie est comprise dans le tout, le tout n'est pas compris dans la partie, et qu'ainsi la seconde action est différente de la première, quoiqu'elle comprenne celle-ci. C'est l'enseignement de Larombiére, de Toulier, de Xachariae d'Arndz, de bien d'autres encore.

Dans cette controverse, qui n'est pas la nôtre, je ne veux pas examiner si c'est Savigny ou si ce sont ses contradicteurs qui ont raison; il me suffit que tout le monde soit unanime à reconnaître que l'on peut soulever une seconde fois un même débat, identiquement le même, s'il porte sur un objet matériellement différent. Et peu importe qu'il s'agisse du domaine B. après le domaine A, ou de certains intérêts, après d'autres intérêts, ou d'autres loyers. Le débat est toujours le même, mais il porte sur un objet matériellement différent.

Et il n'y aurait rien de plus extraordinaire à ce qu'en fait il y eût ainsi deux choses jugées contradictoires, que si Mgr de Grass Valley, qui n'est pas au débat-nous ne savons pas encore pourquoi-reprenant pour lui-même le procès actuel, cette nouvelle instance aboutissait à une solution opposée. Là, la question serait évidemment entière et il pourrait échouer là où Mgr. de San Francisco aurait réussi, ou réciproquement.

C'est la conséquence de cette nature spéciale de la vérité de la chose jugée et de la présomption qui en résulte, sur laquelle j'insistais au début de ma plaidoirie.

M.

Ici encore, on a invoqué l'autorité de Griollet, et j'y reviens une dernière fois. Il serait véritablement surprenant que M. Griolet, qui combat si énergiquement la doctrine de Savigny quant à la confusion que celui-ci voudrait établir entre le dispositif d'une sentence judiciare et ses motifs objectifs, ne fût pas de notre avis. Ce matin, j'ai cité déjà certains passages de son livre en disant qu'il y en a d'autres. Descamps a demandé à cet égard des indications plus complètes; c'est une lacune que je répare. A la page 114 Griolet approuve la Cour de Cassation de France d'avoir décidé qu'une décision qui tranche un différend quant à la compétence en alléguant la qualité de commerçant, ne fait pas chose jugée quant à cette qualité.

Il y avait eu déclaration de faillite, et la faillite suppose nécessairement que l'on soit commerçant. Mais il n'y avait pas à cet égard chose jugée. On plaide qu'elle était implicite. Non, dit la Cour de Cassation, c'est un motif cella, rien de plus, donc pas de chose jugée.

Veuillez écouter, messieurs, ce que dit encore Griolet à la page 114 de son livre, en résumant ce qui précède:

Le fait juridique qui a donné naissance au droit jugé ne peut être affirmé par le juge que comme cause de ce droit et comme motif de la décision: ainsi il n'y a pas de jugement sur la cause elle-même; la déclaration du jugement ne s'étendra donc pas aux

droits nés de cette cause qui n'auraient pas eux-mêmes été l'objet d'un jugement rendu.

C'est toute ma plaidoirie; elle est encore résumée dans quatre lignes que je trouve à la page 117:

Les jugements qui déclarent la faillite, qui prononcent l'interdiction, la séparation de corps, la séparation de biens, affirment ou nient les faits qui donnent naissance à la faillite, qui autorisent l'interdiction, la séparation de corps et la séparation de biens, mais il n'y a chose jugée sur aucun de ces faits.

Et page 123:

Il est bien certain que le juge a prononcé sur l'existence d'un droit lorsqu'il a sanctionné ou refusé de sanctionner ce droit; en connaîtra toujours et d'une manière sûr les déclarations rendues par le juge en interprétant la sanction ou le refus de sanction, la condamnation ou l'absolution, c'est-à-dire en recherchant les déclarations de droit qui dans chaque espèce sont appliquées par la décision du dispositif.

Je crois avoir ainsi donné satisfaction à mon honorable contradicteur, il voudra bien m'excuser de ne pas l'avoir fait dès ce matin.

Il est si vrai que d'après Griolet il ne peut y avoir chose jugée que sur ce qui a été demandé, par quelque conclusion formelle, qu'appuyé du reste de nombreuses autorités il enseigne qu'il n'est pas permis au juge de donner raison au demandeur qui fait défaut. Le juge peut trouver la preuve de son droit dans le dossier de la partie adverse, il peut y avoir quelque titre irrécusable et la conviction du juge est donc faite, il est en mesure de dire droit, eh bien, il ne le peut pas, et pourquoi? Parce que, comme le dit Griolet, il doit avoir été conclu et plaidé.

Le juge est saisi du droit que le demandeur met lui-même en cause (pages 127 et 136).

L'on voit que l'enseignement de Griolet ne diffère guère de celui de Laurent, dont l'autorité avait été plus spécialement invoquée par le Gouvernement mexicain dans la correspondance diplomatique et que nos honorables contradicteurs ont mal lu, qu'ils me permettent de le leur dire. Laurent est formel, et nous n'avons guère fait que répéter en d'autres termes son opinion. Il faut lire notamment son No 32 tout entier:

Le dispositif d'un jugement a-t-il l'autorité de la chose jugée à l'égard de tout ce qui s'y trouve énoncé? Non; si le dispositif fait chose jugée c'est parce qu'il décide une contestation. Tel est le principe qui domine la matiére. Tout ce qui est étranger à la décision est aussi étranger à l'autorité que la loi attribue à la chose jugée. Ainsi, les simples énonciations n'ont jamais l'autorité de la chose jugée. Cela est fondé en raison; la loi attache une présomption de vérité aux décisions judiciaires parce qu'elle suppose que le juge les a mûrement délibérées et qu'il a pesé tous les termes de sa sentence. Cette raison ne s'applique pas aux simples énonciations; c'est une opinion que le juge émet sans en avoir fait l'objet d'une délibération. Un jugement accorde à une personne des aliments en qualité d'enfant; a-t-il l'autorité de la chose jugée sur la question de filiation? Si la question a été débattue entre les parties, l'affirmative n'est pas douteuse.

Et plus loin:

On objecte que le demandeur a réclamé les aliments en qualité d'enfant et qu'il ne pouvait les obtenir qu'à ce titre. Sans doute le juge n'a accordé les aliments qu'en supposant qu'il était enfant du défendeur, mais supposer n'est pas juger. La raison est d'accord avec la subtilité du droit; l'état d'enfant légitime est la base de l'ordre civil, etc.

En note, Laurent renvoie à l'autorité de Toullier et ajoute: "Toullier Tome 5, et tous les auteurs; " puis il passe à un second exemple: Le créancier demande contre son débiteur les intérêts d'un capital

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J'ai montré que, dans notre cas, il ne s'agit pas d'un capital, mais supposons-le:

Le créancier demande contre son débiteur les intérêts d'un capital; le juge condamne le débiteur à les payer; y a-t-il chose jugée quant au capital? On suppose que le dispositif énonce le montant du capital. Il a été jugé que la décision n'avait pas l'autorité de la chose jugée quant au capital. On peut objecter que le juge en allouant les intérêts décide implicitement que le capital est dû, puisqu'il ne peut y avoir d'intérêts sans capital. Sans doute, mais la question est de savoir s'il y a chose jugée, et le juge n'a rien décidé quant au capital.

II passe encore છે un autre cas, qui mérite également votre attention: Une instance s'engage sur une adjudication; l'adjudicataire allègue certains créanciers, le juge fixe le chiffre de ces créances et énonce le chiffre qui constitue le prix; postérieurement, l'adjudicataire soutient qu'une remise lui avait été consentie, on lui oppose la chose jugée. La Cour a décidé qu'il n'y avait pas de chose jugée quant au prix d'adjudication, car le prix n'avait été l'objet d'aucune conclusion devant le juge.

Voilà ce que dit Laurent, vous voyez qu'il est aussi net que possible. Dans ce même ordre d'idées, messieurs, il me reste à vous citer deux autorités puissantes. C'est d'abord un arrêt de la Cour de Cassation de France du 6 février 1883, rapporté dans le Recueil Périodique de Dalloz, 1883-1-451. Il décide qu'après une demande en paiement de loyers, le litige peut se reproduire entre les mêmes parties quant à des loyers échus à d'autres dates, sans que la chose jugée puisse être opposée.

Voici la seconde espèce, et elle est toute récente: il s'agit d'un arrêt de la Cour de Cassation de Belgique en date du 5 avril 1900 (Pasicrisie Belge 1700-1-201). C'était un vieux débat remontant à l'ancien régime; des rentes étaient réclamées à charge de la commune de Jupille lez Liège par le bureau de bienfaisance de Liège; or, un premier arrêt avait condamné la commune de Jupille pour une moitié du capital, mais l'autre moitié n'avait pas été l'objet d'une décision formelle; il n'y avait que condamnation implicite. Cet arrêt rendu, le Bureau de bienfaisance de Liège décrouvrit de nouveaux documents qui modifiaient la situation et lui donnaient l'espoir de réussir là où il avait d'abord échoué. Le débat est repris et naturellement on oppose la chose jugée La Cour de Liège l'admet. Mais la Cour de Cassation l'a rappelée aux véritables règles du droit en cassant sa décision, et voici ce que je lis dans l'arrêt:

Considérant qu'aux termes de l'article 1351 du Code Civil l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement:

Considérant que ce principe s'applique aussi bien quand la chose sur laquelle il a été statué est un objet déterminé dans son intégralité que quand elle n'en est qu'une partie indivise; qu'en constatant l'indivision de la dette, l'arrêt attaqué n'en constate nullement l'indivisibilité, et que les parties indivises d'un tout sont susceptibles d'affectations juridiques très diverses;

Considérant qu'en décidant que ce qui avait été statué in terminis pour la moitié indivise de la dette l'avait été implicitement, mais nécessairement, pour l'autre moitié, l'arrêt attaqué a étendu l'autorité de la chose jugée à une partie de la dette qui n'avait pas fait l'objet de l'instance antérieure et a ainsi contrevenu au dit article 1351.

La Cour aurait pu en juger autrement s'il s'était agi d'une chose indivisible, mais pour une chose indivise pas de chose jugée.

Il y a, messieurs, d'autres autorités encore sur les quelles je voudrais appeler votre attention, et notamnent celles citées par M. Azpiroz et dans la correspondance par M. le Ministre des affaires étrangères du Mexique, Mariscal, avec les Etats-Unis. Mais il faut se borner et je prie la Cour de se reporter aux documents que je viens de citer.

Il y a par contre certaines autorités citées par la partie adverse que j'avoue ne pas connaître malgré une longue pratique du droit, par exemple: le Dictionnaire général de Bertheau. M. Descamps est peutêtre plus heureux que moi.

Je viens de dire qu'il n'y a pas à tenir compte d'un simple préjugé. Cela est plus particulièrement vrai quand il s'agit de sentences arbitrales. Je ne veux pas méconnaître, messieurs, que les sentences arbitrales ont force de chose jugée; je sais que des auteurs recommandables ont soutenu le contraire, et M. Ralston a cité notamment l'autorité de M. Rivier qui était assurément un jurisconsulte important, et celle de M. Bonfils; mais tel n'est point mon avis; je crois que les sentences arbitrales ont la même autorité, la même, la même force de chose jugée que les décisions des juges ordinaires; et le Mexique a si peu songé à le contester qu'il a exécuté la sentence de Sir Thornton. Mais s'il est vrai, messieurs, qu'il y a ici chose jugée, nous disons, comme nous l'avons toujours dit, que la Commission mixte n'a pu juger que ce qu'on lui a demandé, et que s'agissant de quasi-arbitres l'autorité de la chose jugée doit être ici plus strictement comprise.

La juridiction arbitrale, messieurs, n'emane pas de la puissance publique, elle n'en est pas une délégation; l'arbitre n'est pas chargé comme le juge de dire le droit, ce n'est point sa fonction. Il est seulement chargé de dire droit dans un cas déterminé, et parce qu'il est appelé à cet honneur par le consentement privé et libre des parties qui l'en ont chargé; sa fonction procède donc non de la loi mais du consentement des parties, et du mandat privé qu'elles ont donné. Et c'est à raison de ce fait que les sentences arbitrales rendues en pays étranger ont au dehors la même autorité que dans le pays même. L'autorité du juge s'arrête à la frontière, parce que là s'arrête la puissance publique. Mais un collège arbitral a un autre caractère: Mandataire des parties, il agit et juge en vertu de leur consentement: ce consentement ne comporte pas de frontières, et par conséquent la chose jugée vaut au-delà ce qu'elle valait endeçà.

Larombière dit avec raison que l'arbitrage considéré comme convention appartient au droit des gens et établit entre les contractants un lien de droit. Done ici, messieurs, c'est à la convention qu'il s'en faut rapporter, et vous savez si l'on peut voir dans les correspondances échangées naguère quelque plein pouvoir donné aux membres de la commission mixte et qui leur aurait permis d'excéder même les bornes de la demande; donc, messieurs, ici, impossibilité d'admettre un préjugé quelconque. Les pouvoirs des arbitres sont strictement et rigoureusement circonscrits dans les bornes de la demande; ils jugent ils ne peuvent préjuger.

Je conclus, messieurs. Aux divers points de vue que je viens successivement d'examiner, j'estime que le terrain juridique du débat actuel est absolument libre d'obstacles. Sans aucun doute il y a pour la partie adverse des arguments, et la sentence Thornton en est un, mais ce n'est pas une barrière, ce n'est pas la chose jugée, et c'est, messieurs, à la très haute juridiction devant laquelle je plaide en ce moment-ce que je tiens pour l'un des grands honneurs de ma vie judiciaire c'est, dis-je, à la Cour, à la Cour seule à dire le droit.

M. LE PRÉSIDENT. La parole est à M. l'agent des Etats-Unis mexicains. M. EMILIO PARDO. Messieurs, pour couper court à toute espèce de difficulté, je me décide à imposer au Tribunal la corvée d'entendre une S. Doc. 28- -47

lecture qui doit être très pénible pour Messieurs les arbitres, et aussi pour moi. Nos contradicteurs ont eu l'avantage de parler leur langue, tandis que je suis obligé de parler une langue qui ne m'est pas du tout familière. Voilà pourquoi, pour fatiguer le moins possible l'attention de la Cour, je me décide à lire le plaidoyer que j'ai l'honneur de soumettre à sa considération; je suis du reste dans les prévisions du protocole du 22 mai dernier, puisqu'il autorise les plaidoyers oraux et les plaidoyers par écrit.

Mais, avant d'entrer en matière, je demande au Tribunal la permission de lui présenter quelques explications au sujet d'un reproche que j'ai entendu plusieurs fois dans la bouche de nos contradicteurs, et un peu aussi dans la bouche de nos avocats. C'est à cause de certaines données indiquées par les Etats-Unis et qui ont été démandées à mon pays. On a demandé des éclaircissements, des documents au sujet de tel ou tel incident du procès; mon pays n'a pas été en mesure de répondre à ces requêtes. On en a fait un reproche à mon Gouvernement, et même il y a eu un des avocats de la partie adverse qui a considéré ce défaut de présentation de certains documents comme la base d'une présomption contre le Mexique. Or, vous pouvez savoir, messieurs, par la lecture du dossier, que tous les documents que les Etats-Unis ont demandés à mon pays et qui ont été signalés d'une façon précise, ont été présentés. Le Gouvernement des Etats-Unis et leur agent ont eu toutes les facilités désirables pour se renseigner sur les actécédents de cette affaire, ils ont pu s'adresser à toutes les archives, ils ont même trouvé des avocats mexicains pour les aider dans leurs recherches. Ainsi donc, mon Gouvernement à fait tout son possible pour éclairer la religion de la Cour: il a fourni tous les moyens et tous les documents qui étaient à sa disposition.

Il est bien vrai que les archives ne sont pas tout à fait complètes, mais cela s'explique du reste parfaitement bien. Vous savez, parce que malheureusement le fait est très connu, que mon pays a traversé des époques très agitées, il a été la proie de révolutions qui heureusement paraissent définitivement finies; pendant ces révolutions, ces agitations, les archives ont été exposées à tous les accidents de la guerre civile. Le Mexique a eu à soutenir dernièrement deux guerres, non seulement civiles mais étrangères; le Gouvernement a été obligé, pour sauver ses archives, de les transporter avec lui pendant ses pérégrinations à travers le territoire; il n'y a donc rien de surprenent si ces archives laissent quelque chose à désirer, si tous les documents que le Gouvernement des Etats-Unis a voulu avoir n'ont pas pu être mis à sa disposition.

Une fois cette explication donnée, je commence ma lecture, demandant d'abord pardon à messieurs les arbitres de l'ennui et de la fatigue que je suis obligé de leur imposer.

Quelques remarques sur la réplique de l'Agent des Etats-Unis à la réponse de M. J. Mariscal à la réclamation présentée au nom de MM. les Evêques de la Haute Californie.

1. La réclamation présentée dans la demande des Etats-Unis se fonde sur le décret du Gouvernement du Mexique en date du 24 octobre 1842, qui incorpora au Trésor les biens du Fonds Pie, ordonna leur vente pour le capital représenté par leur intérêt annuel à 6 pct. et disposa que le Trésor affectât le revenu à 6 pct. du produit total des aliénations aux intentions des donateurs.

2. Que le décret du 24 octobre soit le titre invoqué par les récla

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