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a, Messieurs, une partie du jugement arbitral que je ne vous ai point lue et que ces attaques m'amènent à vous lire. Voici ce que dit l'arbitre en appréciant l'attitude prise par le Mexique concernant la teneur du Fonds des Californies:

Il n'y a pas de doute que le Gouvernement mexicain ne doive avoir en sa possession tous les comtes et documents relatifs à la vente des biens fonciers appartenant au Fond pie et aux produits; cependant, ils n'ont pas été fournis et la seule conclusion que l'on puisse tirer du silence sur ce point est que le montant des produits actuellement reçus par le Trésor n'était, tout au moins, pas inférieur à celui qu'allèguent les demandeurs.

Si le Gouvernement mexicain critique aujourd'hui de bonne foi, je n'en doute pas, mais sans grand succès de lumière, puisqu'il allègue surtout la destruction accidentelle de documents-le montant du Fonds fixé par le premier arbitre, il faut reconnaître qu'il y a eu faute initiale de son côté et il semble juste dès lors de lui appliquer la maxime usuelle: “Adscribat sibi!”.

J'ai tenu, Messieurs les Arbitres, à relever dans leur texte, en les accompagnant d'un bref commentaire, les points saillants du jugement arbitral de 1875. Les décisions du surarbitre concernant les demandes en revision de la sentence introduites par le Mexique et spécialement la dernière décision (24 octobre, 1876), rectifiant une erreur d'arithmétique et fixant à nouveau et le total du fonds (1.135,033 dollars), et la moitié de l'intérêt de cette somme à 6 p. c. (43,050.99) et, en conséquence, la somme des intérêts dus pour vingt et un ans (904,070.29), méritent également d'être signalés.

Je crois avoir démontré que le premier arbitre a statué en réalité, et n'aurait pas pu faire autrement que de statuer sur la débition de la rente annuelle, fondement juridique essentiel et inséparable de l'attribution de vingt et une années d'arrérages échus et non payés.

Mais voici Fobjection de nos adversaires: dans ce cas, disent-ils, l'arbitre a statué ultra petita, car l'objet de la demande était seulement les arrérages de quelques années. Mais comment soutenir un seul instant, après lecture des mémoires des deux parties devant les commissaires, des opinions formulées par ceux-ci, notamment par le commissaire mexicain, des nouveaux mémoires présentés par les avocats du Mexique au surarbitre après le désaccord des commissaires, que l'existence de la rente n'a pas fait l'objet des débats et des conclusions des parties.

L'existence ou l'inexistence de l'obligation de payer une rente annuelle! Mais les parties n'ont ent quelque sorte, discuté que cela; car le fait du non-payement des arrérages à concurrence de vingt et une années n'était pas contesté.

Les conséquences du statut du juge sur ce point comme norme des décisions de l'avenir! Mais elles ont été nettement saisies et itérativement signalées par les organes autorisés de l'opinion du Gouvernement du Mexique et par le membre mexicain de la Commission mixte.

Ecoutez Avila, le plus advisé défenseur du Mexique:

Il serait curieux de nous voir payer un tribut perpétuel au profit des Etats-Unis et d'une secte religieuse. (Mémorial, p. 551.)

Ecoutez Zamacona, le commissaire mexicain:

Voici que les réclamants veulent changer la situation, et obliger le Mexique à payer le tribut perpétuel d'une rente à certaines corporations américaines. (M., p. 543.) Les défenseurs du Mexique avaient done la parfaite clairvoyance des conséquences d'un jugement arbitral éventuellement défavorable à leur cause.

Et eux-mêmes donnaient de la rente annuelle dont les

demandeurs sollicitaient la reconnaissance à leur profit cette définition: "C'est une rente perpétuelle." En cela ils ne se trompaient point et étaient d'avance d'accord avec les maîtres de la science du droit définissant précisément ainsi les rentes perpétuelles. "Les rentes perpétuelles sont celles dont le service n'est pas limité à une durée déterminée." Le service des arrérages, disent-ils encore, est l'exécution de l'obligation et non sa cause génératrice. Nous empruntons ces lignes à MM. Aubry et Rau sur Zacharie.

Je voudrais maintenant signaler un fait sur lequel j'ai le devoir d'appeler l'attention toute spéciale de la Cour parce que je le considère comme décisif contre toute tentative que pourrait faire présentement le Mexique de restreindre la portée de la décision arbitrale de 1875 à un simple statut sur des intérêts sans lien avec la reconnaissance de l'obligation même concernant la rente. Non seulement le Mexique a sollicité de l'arbitre une décision sur ce point, mais il a voulu obtenir à cet égard, en sa faveur, une interprétation authentique du statut arbitral dans des conditions vraiment singulières.

Voici quelques extraits de la correspondance diplomatique qui a eu lieu immédiatement après la decision arbitrale définitive.

Nous lisons dans la note adressée par Avila à M. Mariscal, en date du 21 novembre 1876:

Dans la réunion que les agents et les secrétaires de la Commission ont tenue hier pour publier les dernières décisions de l'arbitre, j'ai présenté par écrit certains exposés dans le but d'obtenir leur insertion dans le registre des délibérations de ce jour, mais je n'obtins point cette insertion, parce que l'agent et le secrétaire des Etats-Unis estimèrent que cela ne devait pas être.

Et voici le point dont Avila demandait l'insertion:

Que la réclamation concernant le Fonds pie fût considérée comme finalement réglée in toto et que toute autre nouvelle réclamation quant au capital du dit fonds ou à ses intérêts accrus ou à accroitre dût être considérée comme inadmissible pour toujours.

C'est-à-dire qu'Avila, conformément aux instructions du Gouvernement mexicain, demandait une interprétation officielle et authentique de la sentence rendue, constatant qu'elle impliquait décision concernant le sort de la rente elle-même et des intérêts à échoir comme des intérêts échus.

Et voici comment répondit M. Hamilton Fish à la communication que lui fit M. Mariscal de la note d'Avila:

Vous apprécierez de suite mon extrème aversion, au moment où l'obligation de chaque Gouvernement de considérer le résultat dans chaque case comme absolument final et concluant devient parfaite, en voyant que le Gouvernement du Mexique a fait ou se propose de faire des démarches qui altéreraient cette obligation.

M. Mariscal se tira d'affaire comme il pouvait en répondant à la date du 3 décembre:

Señor Avila a voulu seulement exprimer l'opinion de son Gouvernement quant à l'impossibilité de réclamer dans l'avenir le capital du Fond pieux dont l'intérêt accumulé sera maintenant payé conformément au jugement. Il s'efforce d'éviter si possible une réclamation future des parties interessées par l'intermédiaire des ÉtatsUnis, mais il ne prétend pas mettre en doute la présente decision.

Il est inutile d'insister sur la différence entre la première suggestion d'Avila et l'explication ultérieure de ses intentions après la réponse des Etats-Unis. Ce que nous avons tenu à mettre en relief, c'est l'instruction donnée par le Gouvernement mexicain à ses agents d'obtenir une interprétation de la sentence arbitrale impliquant statut sur

S. Doc. 28- -50

l'existence même de la rente: ce qui ne lui permet guère, se semble, de soutenir le contraire sans se mettre en fâcheuse posture. Ce qu'il est peut-être bon aussi de constater, c'est l'accord tacite des deux Gouvernements, à la suite de cet incident, pour ne plus soulever de complications entre eux concernant le Fonds Californien avant l'accomplissement complet des obligations contenues dans la sentence. Et ceci n'est pas sans importance: car, d'une part, il explique l'absence de réclamations avant cet accomplissement et, d'autre parte, il met en relief l'impossibilité de transformer ce silence en moyen de prescription pour le Gouvernement mexicain.

Ainsi, en résumé, non seulement le premier arbitre a statué manifestement sur l'existence de la rente annuelle, non seulement les demandeurs et les défendeurs ont débattu à fond ce point et adopté des conclusions opposées, mais le Gouvernement mexicain à sollicité une interprétation authentique du jugement impliquant statut sur le même point essentiel. Comment ce Gouvernement pourrait-il aujourd'hui avec quelque succès soutenir une thèse différente?

Je voudrais maintenant essayer de montrer à quel point le système défendu par nos adversaires est contraire non seulement à l'esprit, mais aux dispositions formelles d'un Acte que la première Cour d'arbitrage siégeant à La Haye ne reniera certainement pas: la Convention pour le règlement pacifique des conflits internationaux.

La Conférence de La Haye s'est occupée à trois reprises de la chose jugée et elle l'a fait dans des conditions que j'ai le devoir de rappeler brièvement ici.

A l'article 18 la Convention, à laquelle ont souscrit les deux parties aujourd'hui en litige,-elle s'exprime comme suit:

La convention d'arbitrage implique l'engagement de se soumettre de bonne foi à la sentence arbitrale.

Et le commentaire du rapporteur est significatif:

Le trait caractéristique de l'arbitrage est précisément la soumission convenue des Etats à un juge de leur choix, avec l'engagement qui en découle naturellement de se conformer loyalement à la sentence.

Oui, se conformer, c'est-à-dire non seulement exécuter, mais tenir d'une manière permanente la sentence pour norme régulatrice des rapports juridiques, en un mot, la considérer comme veritas inter partés, et tout cela de bonne foi, sans subterfuge ni retour offensif. A coup sûr, toutes les intentions demeurent sauves, mais les faits doivent d'autre part être constatés dans leur teneur objective.

La conférence s'est occupée une seconde fois de la chose jugée à l'article 55, à propos de la question de savoir si et dans quelle mesure il fallait admettre une procédure spéciale en revision. Elle a déclaré que les parties pouvaient se réserver dans le compromis cette faculté et elle a organisé, en vue de cette hypothèse, le système d'une revision, strictement limitée quant à la juridiction appelée à en connaître, quant aux faits qui peuvent la motiver et quant au délai dans lequel elle serait recevable.

Voici le texte de l'article 55:

Les parties peuvent se réserver dans le compromis de demander la revision de la sentence arbitrale.

Dans ce cas et sauf convention contraire, la demande doit être adressée au tribunal qui a rendu la sentence. Elle ne peut être motivée que par la découverte d'un fait nouveau qui eût été de nature à exercer une influence décisive sur la sentence et qui, lors de la clôture des débats, était inconnu du tribunal lui-même et de la partie qui a demandé la revision.

La procédure de revision ne peut être ouverte que par une décision du tribunal constatent expressément l'existence du fait nouveau, lui reconnaissant les caractères prévus par le paragraphe précédent et déclarant à ce titre la demande recevable.

Le compromis détermine le délai dans lequel la demande de revision doit être formée.

On voit combien la Conférence a été pénétrée de la nécessité de terminer définitivement les litiges déférés à la justice arbitrale et de ne pas ébranler l'atorité des sentences rendues par les arbitres. Mais il y a dans la Convention de la Haye un article plus intéressant encore, et qui accuse clairement, avec la volonté de la Conférence de sauvegarder en tout cas l'autorité de la chose jugée, son dessein d'en étendre les effets régulateurs et pacificateurs non seulement à des points de fait, mais à des points de droit servant de bases aux jugements, non seulemente entre les parties immédiatement en cause, mais entre toutes les parties éventuellement intéressées. L'initiative de cette proposition ingénieuse revient à M. Asser. Voici son économie. La chose jugée n'est obligatoire qu'entre parties. Mais en droit international, spécialement dans les conventions appelées unions universelles, il y a de trés nombreuses parties, souvent intéressées également à la solution de tel litige. Par exemple tel Etat a parçu la taxe postale de telle façon; un autre lui conteste cette manière de procéder. Il faut recourir à un arbitre. Mais la décision, quelle qu'elle soit, ne constituera chose jugée qu'entre parties. Cela peut être regrettable. De là l'organisation d'un système de mise en cause de tous les Etats participants à une même convention en vue d'obtenir une décision judiciaire qui les liera

tous.

Voici le texte de l'article 56.

La sentence arbitrale n'est obligatoire que pour les parties qui ont conclu le compromis.

Lorsqu'il s'agit de l'interprétation d'une convention à laquelle ont participè d'autres Puissances que les Parties en litige, celles-ci notifient aux premières le compromis qu'elles ont conclu. Chacune de ces Puissances a le droit d'intervenir au procès. Si une ou plusieurs d'entre elles ont profité de cette faculté, l'interprétation contenue dans la sentence est également obligatoire à leur égard.

Voilà comment la Conférence de La Haye a témoigné de sa volonté de consolider et d'étendre l'autorité de la chose jugée.

Au contraire et c'est là, à mon sens, une remarque d'importance capitale, la thèse soutenue par nos adversaires tend à rendre impossible, sauf dans des proportions dérisoires, l'existence même d'une chose jugée et le fonctionnement nécessaire de son autorité dans d'immenses domaines du monde juridique pratique. En effet, pour toutes les obligations dont l'exécution est successive, impossibilité radicale d'arriver à la chose jugée. Vous réclamez les éléments exigibles, les termes échus d'une créeance dont la capital ne peut, pour le moment, être réclamé? Impossibilité radicale d'arriver à la chose jugée en cette matière. Chaque année, bien qu'il ait été établi par le juge que la créance était due et qu'il n'ait fait que liquider les intérêts exigibles en conséquence, la controverse pourra reprendre à fond et donner lieu à des jugements successivement contradictoires.

Dans le cas présent, où l'on ne conteste nullement le compromis en contient l'aveu formel-que les arrérages de la rente n'ont pas été payés depuis trente et un ans et où la contestation porte et a toujours porté en réalité sous l'existence ou la non-existence d'un droit à la rente annuelle, c'est précisément sur ce point que la chose jugée devrait être écartée. Si les Etats-Unis ont gain de cause dans

le présent litige, le Mexique pourra, dans un an, à la première échéance, recommencer le procès à fond et sur toute la ligne; et si le Mexique triomphe, les Etats-Unis pourront faire de même. Est-ce admissible?

Et en supposant même que cela fût possible dans le droit strict de tel ou tel pays, est-ce admissible en droit international où dominent ces deux grands principes:-le principe de bonne foi qui écarte les solutions de strict droit reposant soit sur un formalisme outre, soit de purs expédients de procédure, le principe de la nécessité impérieuse de terminer les conflits au lieu perpétuer et de les multiplier.

Et ceci me conduit à présenter à la Cour une observation dont la portée ne lui échappera point. Cette observation n'est pas de moi; elle m'a été faite par un de mes éminents collégues de l'Institut de Droit international, dont je suis autorisé à citer le nom, mais qu'il me parait inutile de mèler à ce débat, la valeur objective de l'observation étant suffisante. Voici donc ce qu'il me disait: "Quelque controverse que l'on puisse soulever dans les diverse pays, quelque subtilité que l'on puisse invoquer, la présomption dans les arbitrages internationeaux doit toujours être que les Etats en cause ont engagé la question et que le juge l'a résolue dans des conditions qui permettent d'en finir. Toute autre supposition est inadmissible en mátière de procédure arbitrale internationale."

On peut ajouter qu'elle est le plus souvent et très expressément contre dite par le libellé même des compromis d'arbitrage, lesquels déclarent vouloir régler d'une manière concluante les différends en question, et non les éterniser et less envenimer par d'incessantes revisions à perspectives contradictoires.

Je viens de citer l'opinion d'un de mes collègues de l'Institut de droit international. Si je l'ai fait, c'est surtout pour montrer qu'il ne faut pas toujours conclure du national à l'international, et que certaines questions posées sur le terrain du droit des gens peuvent se colorer de teinte particulière, dont il est juste et nécessaire de tenir compte.

Mais, au fond, dans cette affaire, la question qui se débat est moins une question de haute science qu'une question générale de bon sens et de bonne foi. Que l'on enfasse l'expérience. Que l'on expose au premier venu qu'un différend s'est élevé entre les Etats-Unis et le Mexique concernant le paiement d'une rente de 43,000 dollars environ; que les deux Etats sont convenus en 1868 de recourir à une juridiction arbitrale, que l'arbitre a condamné le Mexique, à payer aux Etats-Unis vingt et une années d'arrérages-vingt et une fois 43,000 dollars,pour les années échues et de la rente. Si l'on ajoute que le Mexique, depuis la sentence de l'arbitre, a refusé de payer annuellement les 43,000 dollars et allègue aujourd'hui que la rente n'existe pas et n'a jamais existé, l'interlocuteur répondra invariablement:

C'est une chose jugée, cela: le premier juge a manifestement décidé le contraire. Aussi ce que le Mexique a de mieux à faire, ce semble, c'est de payer volontairement les arrérages actuels afin de ne pas être condamné judiciairement, comme précédemment, à payer les arrérages en souffrance.

C'est un peu ce qu'ont répondu les États-Unis au Mexique lorsque celui-ci, après avoir refusé de liquider l'arrière déclarait qu'il n'y avait qu'une seule voie pour terminer le différend: le recours aux tribunaux mexicains interprétant souverainement la sentence du premier arbitre international. Vous ne voyez qu'une voie, ont répondu les EtatsUnis et nous nous en voyons trois autres: payer, transiger, plaider

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